Les vrais dangers du GSM

Les ondes sont-elles un risque pour la santé ? La polémique est récurrente, l’inquiétude, croissante. Les scientifiques, eux, se divisent. Le Vif/L’Express ouvre le dossier et explore son volet le plus préoccupant : les antennes-relais. Installées par milliers dans notre environnement, elles ne sont pas toujours visibles ni répertoriées. Voici comment les détecter, dans chaque commune, et évaluer les risques liés à leur présence.

Après le tabac, le soleil, la pollution ou encore les pesticides, voici les ondes radio accusées à leur tour d’avoir des effets délétères. C’est en tout cas ce que suggèrent les scientifiques et médecins qui, à l’initiative du neuropsychiatre français David Servan-Schreiber, ont lancé, en juin, un appel à la prudence aux utilisateurs de GSM.

L’inquiétude est à la mesure de la place prise par ces technologies dans notre société hypercommunicante. La Belgique compte près de 7 000 sites, opérationnels ou sur le point de l’être, munis d’antennes-relais GSM ou UMTS, beaucoup accueillant plusieurs antennes (parfois plus de dix) plantées sur les immeubles, les pylônes ou les clochers. Ces émetteurs sont chargés d’assurer les liaisons avec le réseau téléphonique. En zone urbaine, on en trouve en moyenne un tous les 300 mètres. Ajoutons les bornes Wi-Fi (75 antennes rien que pour les campus de l’ULB et de la VUB, à Bruxelles), les émetteurs de radio FM et de télévision, la CB, les téléphones sans fil d’intérieur, le Bluetooth, le réseau réservé aux services d’urgence Astrid.

Ce brouillard électromagnétique est-il vraiment toxique ? La question se pose de manière récurrente dans tous les pays depuis près d’une décennie, et elle n’est toujours pas définitivement tranchée. Comme pour les OGM et le nucléaire, voici même réunis tous les ingrédients de la polémique : des spécialistes divisés ; des militants prêts à dénoncer une menace invisible, mais potentiellement catastrophique ; un lobby industriel soucieux de préserver ses intérêts ; des pouvoirs publics dépassés ou paralysésà Une fois de plus se pose aussi la question du principe de précaution : comment évaluer l’impact d’un phénomène dont on ne connaît pas les effets à long terme ?

Il a fallu attendre la fin des années 1960 pour que les scientifiques, notamment militaires, s’intéressent sérieusement à l’impact des rayonnements électromagnétiques sur les organismes vivants. Tout commence à l’ambassade des Etats-Unis à Moscou, où le personnel est victime de malaises inexpliqués et présente un taux de cancers et de leucémies jamais vu. Après la mort de deux ambassadeurs, les services de contre-espionnage découvrent que les Soviétiques ont truffé les murs de micros et d’émetteurs espions, et qu’ils braquent en permanence des faisceaux radar sur le bâtiment. Pour la première fois, des troubles physiologiques sont attribués aux rayonnements hertziens.

Les rats et les tomates n’aiment pas les GSM

Des programmes de recherche lancés sur des animaux mettent bientôt en évidence les effets thermiques des ondes électromagnétiques, notamment dans la gamme des hyperfréquences. Ces fréquences très élevées, comme celles utilisées par les radars, les fours à micro-ondes et les… GSM (a fortiori les relais), agitent les molécules d’eau lorsqu’elles traversent l’organisme, en provoquant un échauffement, voire une brûlure si on se trouve très près de l’antenne.

Depuis les années 1980, d’autres études ont montré l’existence d’effets plus inquiétants encore, qualifiés de  » biologiques « . Ils sont soupçonnés de perturber le fonctionnement des cellules, de fragiliser l’ADN et de dérégler le système immunitaire. Ils peuvent être induits par des rayonnements de faible intensité, mais aussi par les pulsations caractéristiques des signaux radio émis par les mobiles, qui, pour transmettre leur position, envoient des suites d’impulsions à très basse fréquence. Un chercheur de l’Université catholique de Louvain vient ainsi de publier une étude montrant que les rats de laboratoire exposés aux ondes des GSM et des réseaux Wi-Fi ont un taux de mortalité multiplié par deux. En février, une équipe de l’université de Clermont-Ferrand (France) avait pour sa part mis en évidence des réactions préoccupantes chez les plants de tomate exposés aux mêmes rayonnements. Après seulement dix minutes, ils avaient sécrété des molécules de stress !

Les résultats des recherches épidémiologiques menées sur l’homme demeurent malgré tout ambigus. En 2000, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) avait estimé que les mobiles n’entraînaient aucun effet néfaste pour la santé. Reconnaissant des lacunes sur le sujet, l’OMS avait néanmoins lancé, l’année suivante, la plus grande étude jamais réalisée dans 13 pays européens, baptisée  » Interphone « . L’objectif était d’interroger, au sujet de leur usage du portable, des personnes atteintes de tumeurs de la tête. Cette enquête a été bouclée en 2006, mais ses résultats définitifs – sujets à débats entre scientifiques des différents pays – n’ont toujours pas été publiés. Martine Hours, médecin épidémiologiste responsable du volet français de l’étude, s’en indigne et lance dans Le Vif/L’Express un appel pour que ces informations soient enfin diffusées (on parle aujourd’hui d’une publication cet automne). En attendant, d’autres études ne manquent pas d’inquiéter. L’une d’elles, rendue publique en Suède en 2007, a pointé un risque  » faible mais accru  » de gliome (forme de cancer du cerveau) chez les utilisateurs intensifs de GSM.

Les sceptiques ne désarment pas pour autant. A commencer par l’Académie française de médecine. Le 17 juin, celle-ci s’est fendue d’un communiqué en réaction à l’appel de David Servan-Schreiber. Les académiciens ont vu là une  » opération médiatique « . Selon eux, les enquêtes disponibles ne montrent pas d' » excès de risque significatif « . Pis, le fait d' » inquiéter l’opinion dans un tel contexte relève de la démagogie « . Le chercheur français Denis Zmirou, ex-directeur scientifique de l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (Afsset), doute quant à lui que les effets biologiques  » remettent en question la survie de la cellule ou du plan de tomate « . Même ironie du côté du Prix Nobel de physique Georges Charpak :  » Ceux qui vont skier reçoivent en deux mois, à cause des rayons cosmiques, la même quantité de radiations que celle tolérée par l’industrie nucléaire. Alors oui, j’ai peur du téléphone portable : j’ai peur de me faire renverser par un type qui téléphone au volant. « 

Qui a raison ? Et, surtout, qui croire quand on sait que les organismes de contrôle se sont discrédités, particulièrement en France ? On retrouve souvent les mêmes experts dans plusieurs rapports officiels ayant conclu à l’absence de risque pour la santé, en particulier celui de l’Afsset, publié en 2003. Or cet organisme, chargé de surveiller l’impact de la téléphonie mobile, a été malmené, en 2005, par un scandale à la suite d’une enquête conjointe de l’Inspection générale des affaires sociales et de l’Inspection générale de l’environnement. Ces investigations ont en effet révélé les collusions de plusieurs experts de l’agence chargés de rédiger le fameux rapport : l’un était membre du conseil scientifique de Bouygues, l’autre travaillait pour une publication subventionnée par Orange. Un peu partout dans le monde, par ailleurs, des voix se sont élevées contre les conclusions rassurantes de l’Organisation mondiale de la santé elle-même (OMS), dont un des hauts cadres responsable de la recherche, Mike Repacholi, est accusé d’avoir longtemps été très proche de l’industrie de la téléphonie mobile (lire Le Vif/L’Express du 13 juin 2008).

En attendant l’arrêt de la Cour constitutionnelle…

Comment juger du niveau de pollution électromagnétique alors que les réglementations en vigueur paraissent hétérogènes et contradictoires ? Le cas des antennes-relais est symptomatique. Le Parlement européen, en se fondant sur les conclusions d’un rapport scientifique (Tamino), a recommandé de limiter leur niveau d’exposition maximal à 1 volt par mètre, position qui a été adoptée dans plusieurs villes d’Espagne, en Toscane et en Autriche. Au Luxembourg, le seuil est fixé à 3 V/m, la Suisse est à 4 V/m et la Pologne à 6 V/m. Chez nous, où une norme de 20 V/m est en vigueur, le gouvernement bruxellois a bien tenté d’imposer une norme plus sévère (3 V/m) sur son territoire, inspirée par la recommandation du Conseil supérieur de la Santé. Mais l’ancien gouvernement fédéral, via son ministre de la Santé, rejoint par les opérateurs, a introduit un recours contre cette disposition, arguant du fait que la norme belge est déjà deux fois plus sévère que celle de l’OMS (41 V/m). Autre motif de ce coup de poignard : les Régions, estime le niveau fédéral, ne sont pas compétentes en matière de santé. Très attendu, un arrêt de la Cour constitutionnelle, sans doute en octobre, tranchera cette passe d’armes institutionnelle et… commerciale. Car, à n’en pas douter, le respect de la norme de 3 V/m entraînerait, plus que des problèmes véritablement techniques, des coûts importants pour les opérateurs. En attendant, les experts inquiets s’émeuvent.  » Rester rivé à la norme européenne de 41 V/m, c’est comme si on limitait l’impact de la radioactivité aux brûlures superficielles infligées aux irradiés, en ignorant les conséquences délétères et cancérigènes à long terme « , dénonce le Dr Pierre Le Ruz, expert européen sur les pollutions électromagnétiques et cofondateur du Centre de recherche et d’information indépendantes sur les rayonnements électromagnétiques (Criirem).

Maux de tête, trous de mémoire, leucémies, cancers

Si les dangers du téléphone peuvent être évités ou limités (en utilisant une oreillette ou en… se passant de communiquer), il n’en va pas de même pour ceux de ces antennes auxquelles toute la population est exposée et qui suscitent une inquiétude grandissante. Partout, à la ville comme à la campagne, un vent de fronde se lève. Les riverains, relayés par des associations telles que Teslabel (Belgique) ou Robin des toits (France), accusent les émetteurs de provoquer des maux de tête, des trous de mémoire, des leucémies et des cancers. Il y a quelques jours, des riverains excédés, à Liège, se sont fendus d’une lettre aux évêques, appelant à refuser les antennes sur (ou dans) les clochers de tout le pays. Il faut dire qu’il était question, à Liège, de défigurer complètement l’église Sainte-Foy, en posant 13 antennes Wi-fi et de nombreuses échelles sur son toit. En France, des prêtres qui ont donné leur accord sans informer l’évêché se sont fait rappeler à l’ordre. A Watermael-Boisfort (Bruxelles), commune pionnière en la matière, il a fallu quatre années d’opiniâtreté aux édiles locaux – et le passage par la Conseil d’Etat – pour obtenir l’enlèvement d’une antenne illégale. A Paris, ce sont les bornes Wi-Fi qui inquiètent : les systèmes de six bibliothèques municipales ont été débranchés à la suite de plaintes de salariés se disant victimes de malaises et de maux de tête.

Reste à savoir à qui se fier pour estimer le rayonnement des antennes…  » On tombe parfois sur des rapports de mesure faisant état de chiffres fantaisistes, par exemple une exposition de 0,05 V/m, qui rendrait toute communication impossible « , note Pierre Le Ruz. En France, le responsable de l’association Robin des toits, Etienne Cendrier, a été assigné en justice pour avoir accusé Bouygues, SFR et Orange de baisser la puissance de leursémetteurs au moment des mesures. Bouygues a obtenu, en juin 2005, une condamnation pour diffamation devant un tribunal civil. Mais SFR et Orange, qui ont attaqué au pénal, ont été déboutés enmai 2006 : le tribunal a conclu à la bonne foi du militant, et, implicitement, à la véracité de son accusation, étayée par de nombreux témoignages.

En Belgique, l’Institut belge des services postaux et télécommunications (IBPT) procède gratuitement, sur le terrain, à la vérification des expositions aux rayonnements électromagnétiques. Mais il peine à suivre les demandes, qui ont triplé en deux ans.  » Ses rapports sont illisibles pour les profanes « , déplore Michel Geerts, spécialiste, chez Ecolo, de la téléphonie mobile.

Que faire en attendant que les experts tombent d’accord ? Des médecins donnent des conseils de prudence en insistant sur les utilisateurs les plus fragiles : les enfants. Il faudrait donc restreindre l’usage du GSM par les plus jeunes et leur donner des oreillettes, mais aussi, logiquement, les protéger des rayonnements des antennes-relais.

En France, une directive impose l’éloignement des antennes (au moins 100 mètres) par rapport aux classes scolaires. En Belgique, nulle contrainte de ce genre. Benoît Stockbroeckx, directeur des laboratoires de l’Anpi (Louvain-la-Neuve) :  » Vu le temps que les enfants passent à domicile, je suis davantage partisan d’une limite d’exposition beaucoup plus raisonnable que celle de l’OMS, mais partout et pour tous « . Lorsqu’ils choisissent le sommet d’un immeuble pour installer leurs antennes, les opérateurs aménagent souvent une dalle en béton armé.  » Ce type d’aménagement protège les habitants et les travailleurs situés à la verticale de l’antenne, mais ceux qui sont situés en face, surtout à la même hauteur et à quelques dizaines de mètres, subissent le maximum de rayonnement. « 

La polémique ne fait que commencer

A Lyon pourtant, le 20 juin dernier, lors d’un débat organisé par la mairie entre des habitants et une quinzaine d’experts, des parents d’élèves ont notamment évoqué le cas d’une école où un élève a été diagnostiqué avec un lymphome dans une classe située sous une antenne-relais de SFR. Un an plus tard, un autre élève, dans la même classe, assis à la même place, a souffert d’une leucémie. En mars, les parents ont réussi à obtenir le démontage de l’installation. A Saint-Cyr-l’Ecole (Yvelines), huit cas de leucémies et de tumeurs au cerveau sont apparus chez des enfants ayant fréquenté l’école Bizet entre 1991 et 2002. Une enquête épidémiologique du ministère de la Santé a reconnu, en 2004, que l’incidence dans cette classe d’âge était deux fois supérieure à la moyenne, mais elle a également conclu qu’il s’agissait probablement d’une  » fluctuation statistique normale « .

Nul cas récent aussi troublant, semble-t-il, dans notre pays. Mais le nombre de personnes se déclarant  » électro-sensibles  » (irritabilité, insomnies, troubles de la concentration…) – 15 % de la population, selon certaines sources – semble à la hausse. Nul doute que la polémique autour des antennes est loin d’être éteinte. Et qu’elle surgira de plus belle lorsque la Cour constitutionnelle rendra son arrêt. Ou… lorsqu’une nouvelle étude jettera, une fois encore, de l’huile sur le feu des incertitudes.

Quels que soient les résultats de prochaines études sur le sujet, la polémique sur les mobiles et leurs antennes-relais n’est pas près de s’éteindre, à moins d’une preuve écrasante et très peu probable de leur innocuité.

Gilbert Charles et Philippe Lamotte

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