François Hollande Cherche raison d’espérer, désespérément

Le président français veut rebondir. Mais comment et avec qui ? Les ministres se sentent en sursis, les députés traînent des pieds, le PS n’existe pas… et la transparence fait déjà des dégâts.

Dans quelques jours, François Hollande franchira le cap de la première année à l’Elysée.  » Je souhaite bon courage à celui qui va lui proposer de fêter l’événement « , glisse un conseiller. Le chef de l’Etat n’a pas l’esprit à souffler sur des bougies.  » Il devient plus impatient qu’avant, moins tolérant « , note un collaborateur. On connaissait ses colères froides. Voici ses coups de sang. Avant de partir pour le Maroc, le 3 avril, il doit enregistrer un message pour la télévision. L’ancien journaliste Claude Sérillon, qui s’occupe de son image, a prévu que la scène soit tournée dans une salle de l’Elysée, devant deux portes ouvertes. François Hollande ne comprend pas ce choix, il a l’impression de s’exprimer dos à un couloir. Il s’emporte, fait sortir tout le monde sauf le caméraman et le technicien chargé du prompteur. Et se met à débiter, un brin poussif, son allocution sur la  » faute impardonnable  » de Jérôme Cahuzac, ex-ministre du Budget.

François Hollande cherche à reprendre la main. Il a fait avancer d’un mois la date de l’examen final du mariage gay à l’Assemblée nationale.  » Il était temps, souffle une députée socialiste, à bout de nerfs. On a passé un semestre sur ce p… de mariage pour tous. Et seulement dix jours sur le droit du travail. On a excité les foules. Nos dirigeants n’ont-ils rien dans le ciboulot ?  » A l’Elysée, on espère que cette manoeuvre tactique va relancer le bon vieux conflit gauche-droite :  » Avec le vote définitif sur le mariage pour tous, l’annonce du programme de stabilité financière et l’adoption des nouvelles règles de transparence, l’opposition sera bien en peine de nous critiquer, explique l’entourage du président. On verra qui sont les tartufes et qui, à l’inverse, incarne la vraie modernité.  »

 » Au moins, je vais démontrer que je n’ai pas trois châteaux  »

Pour mener la contre-offensive, il faut disposer de troupes en ordre de bataille. Or les ministres, sommés de dévoiler le montant de leur patrimoine, semblent déprimés (voir en page 60).  » Ils publient ces informations, alors que beaucoup vont sans doute se faire virer bientôt du gouvernement « , commente un jeune député PS. L’Elysée a beau avoir écarté tout remaniement dans l’immédiat, ils se sentent en sursis. Dans un couloir de l’Assemblée nationale, le ministre du Travail, Michel Sapin – un ami de François Hollande -, croise le député écologiste François de Rugy :  » J’en connais qui feront moins les malins quand il y aura un gouvernement resserré « , glisse le socialiste, exaspéré par le manque de discipline de ses camarades sur le vote de sa loi sur l’emploi.

 » Au moins, je vais pouvoir démontrer que je ne dispose pas de trois châteaux « , relativise un membre du gouvernement. Beaucoup se demandent jusqu’où va aller cette opération de transparence. Elle a déjà provoqué un impair du Premier ministre : le 12 avril, Jean-Marc Ayrault, répondant à une question d’un auditeur sur RTL, n’a pas exclu la publication des déclarations d’impôts des membres de son gouvernement. Une sérieuse atteinte au secret fiscal. Cette piste a été écartée le 15 avril, par le ministre des Relations avec le Parlement, Alain Vidalies.

Le PS, non plus, n’est pas prêt. Son premier secrétaire, Harlem Désir, est trop faible, inaudible dans les débats. Sa seule performance : avoir viré Jérôme Cahuzac en trois minutes, le 9 avril, lors d’un bureau national.  » Le texte du communiqué est dans vos pochettes, commence le premier secrétaire en s’adressant à la quarantaine d’élus présents, qui découvrent le document. Jérôme Cahuzac s’est mis de fait au ban de notre parti.  » On vote immédiatement. Unanimité totale : aucune abstention, aucun vote contre.

A Matignon, après des mois de tâtonnements, on en est à remodeler sans ménagement l’équipe de communication. Le 29 mars, la responsable du service de presse, Dominique Bouissou, reçoit à 11 heures un appel de Christophe Chantepy, directeur du cabinet de Jean-Marc Ayrault. Elle est convoquée pour un entretien. C’est à ce moment-là qu’elle apprend son remplacement. Dans la foulée, elle prévient ses collaborateurs et fait ses cartons.

En Hollandie, la sanction est rarissime Plus grave, la majorité se divise avec fracas sur la ligne politique. Le séisme, depuis l’affaire Cahuzac, est tel que la parole se libère. Celle d’Arnaud Montebourg, de Cécile Duflot et de Benoît Hamon, qui interviennent publiquement pour remettre en question l' » austérité « . Matignon n’est pas dans la confidence : le cabinet du Premier ministre a découvert ces déclarations dans la presse.

Et l’Elysée ? Officiellement, le chef de l’Etat désapprouve l’expression de ces trois ministres. Si le démenti n’est que de pure forme, c’est donc que la ligne de politique économique est sérieusement infléchie (voir l’encadré). S’il est sincère, il confirme la faiblesse de l’exécutif : le 28 mars, lors de son intervention télévisée sur France 2, le président de la République menaçait de sanctions les futurs auteurs de couacs. Or rien n’est arrivé aux trois rebelles. En Hollandie, la sanction est rarissime.

Quand il était à la tête du PS, François Hollande n’a sévi qu’une fois contre un poids lourd (en retirant à Laurent Fabius son poste à la direction du parti après le référendum sur l’Europe, en 2005). La politique consiste, pour lui, à naviguer entre les écueils plutôt qu’à les rayer de la carte. Dans ses discours, il use et abuse d’ailleurs des métaphores marines pour expliquer son  » cap  » dans la  » tempête « . Du coup, quand il reçoit les skippeurs du Vendée Globe, le 8 avril à l’Elysée, pour remettre des Légions d’honneur aux (vrais) marins, il n’a pas besoin de se forcer en matière d’allusions.  » Rien ne peut jamais être prévu, dit-il. Il faut de la ténacité, du courage, de la persévérance, de la volonté pour aller jusqu’au bout. Malgré les incidents, les intempéries, les cassures, il faut être capable de tenir bon et de repartir.  »

Seulement, comment  » repartir  » quand 41 députés socialistes refusent de voter en faveur de l’accord sur l’emploi, porté aux nues par le chef de l’Etat ou quand les ambitions se réveillent ? Ainsi, le président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, lorgne de plus en plus sur le poste de Premier ministre. Il s’y prépare en multipliant les visites de terrain et à l’étranger, en déjeunant avec toutes les sensibilités de la gauche.

Comment réformer quand le gouvernement est paralysé ? Pendant les quinze jours qui ont suivi les aveux de Jérôme Cahuzac, le gouvernement était en état de tétanie.  » Tout est en attente depuis le 2 avril « , commente le conseiller d’un ministre. Plusieurs réunions interministérielles ont été annulées. Décidée à chaud, sous le coup de l’émotion (une méthode que dénonçait naguère François Hollande), la transparence peut aggraver le mal.  » Dès qu’on va vouloir baisser des prestations sociales, on va nous ressortir nos propres déclarations de patrimoine « , déplore un ministre, dépité. Or les prochains mois seront marqués par des dossiers épineux : retraites, allocations familiales, budget.

 » On est mal barrés, se lamente un proche du président. La confiance se détruit en trois jours et se reconstruit en trois ans. Elle ne reviendra qu’avec la baisse du chômage. Il ne faut pas espérer de réponse immédiate.  » En attendant, certains novices s’aguerrissent.  » Nous devons apprendre à éviter les nuances de gris, estime un ministre. Il ne faut pas préférer la caricature à la dentelle.  »

Il faudra aussi retourner au contact de la France qui doute. Problème : l’accueil se corse et l’opposition se radicalise. Ces derniers jours, plusieurs personnalités, comme Manuel Valls ou Najat Vallaud-Belkacem, ont été  » accueillies  » par des opposants au mariage pour tous. Manifestants couchés sur le sol, propos racistes… François Hollande, qui a récemment annulé plusieurs déplacements, s’est toutefois rendu six fois dans son fief de Corrèze en onze mois. Il est même à la recherche d’un appartement à acheter sur place. Plusieurs demeures  » pas trop grandes, simples « , ont été visitées pour son compte par Bernard Combes, maire de Tulle et conseiller à l’Elysée. Par les temps qui courent, il est important de savoir où on habite.

MARCELO WESFREID, AVEC TUGDUAL DENIS ET BENJAMIN SPORTOUCH

Il faudra retourner au contact de la France qui doute. Mais l’accueil se corse et l’opposition se radicalise

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