Télécoms cherchent fréquence seniors

Les campagnes de marketing pour attirer la juteuse clientèle des seniors sont souvent à côté de la plaque.

Magui débarque dans vos foyers. Après avoir été testé dans les maisons de retraite, l’ordinateur pour seniors, vainqueur du concours Lépine en 2008, est fin prêt pour sa commercialisation, dès le mois de mai, en France mais aussi en Belgique (1). Utilisation ultra-simplifiée, abandon du  » mulot  » cher à Jacques Chirac, écran tactile et lisible… Tout est conçu pour rendre son usage abordable à une frange de la population jusqu’ici délaissée par les firmes informatiques. Le début d’une nouvelle ère ? Pas si sûr.

 » Le public des seniors n’est pas une cible prioritaire « , constate Bernard Mangelinckx, du bureau de consultance Senior Innovation. Etonnant, quand on observe à la loupe les perspectives de vieillissement de la population belge. Et pourtant, malgré les perspectives juteuses que représente ce marché,  » 80 % des dépenses médias se font à destination des « jeunes » de 15 à 50 ans « , indique Fons Van Dyck, responsable de Think BBDO, bureau de conseils stratégiques en marketing. Une situation paradoxale, les seniors étant  » nombreux, riches, disponibles et en assez bonne santé « , d’après le spécialiste.

Chez Belgacom, les seniors sont une cible

Les opérateurs de téléphonie et entreprises informatiques commencent à prendre le taureau par les cornes. Chez Belgacom, on annonce clairement que les seniors sont une cible. L’entreprise commande des études qualitatives à des bureaux d’études et adapte son offre, consciente de la variété des profils. Et mise surtout sur les offres adaptées, axées sur la pédagogie.  » Du côté de la télé digitale, nous leur proposons de venir installer le tout à domicile, indique Guy Huyberechts, responsable du marketing client chez Belgacom.

Mais si l’entreprise agit à visage découvert, tous les autres opérateurs n’osent pas se positionner clairement du côté des aînés. Interrogés à ce sujet, Base et Mobistar ont tous deux affirmé qu’ils n’avaient pas directement de stratégie ciblant les seniors. Oui, mais… Base a quand même évoqué son pack Postpaid zero,  » qui plaît aux seniors, qui veulent être joignables tout le temps, mais n’ont qu’une utilisation ponctuelle de leur GSM « . Du côté de Mobistar, on a opté pour le Tempo comfort, soit une carte prépayée valable 24 mois.

Des pots pour bébés aux pots pour aînés

Le soi-disant marché des seniors n’est pas si uniforme qu’il en a l’air. Entre la nouvelle race des mediors (voir interview page 50) et le groupe des personnes dépendantes s’égrène toute une panoplie de profils difficiles à réunir en un ensemble cohérent. Du coup, pas mal de sociétés se sont cassé les dents sur ce segment protéiforme. A l’instar de l’entreprise agroalimentaire Masterfoods, qui s’est rendu compte que certains seniors mangeaient des petits pots pour bébés et a commercialisé des petits pots à manger… pour vieux. Echec complet.

 » La première chose à éviter, c’est de cibler les seniors en insistant sur leur âge, analyse Fons Van Dyck. Surtout quand le but est de toucher la génération des baby-boomers. C’est la génération yé-yé, mais aussi celle de Sarkozy et de Richard Branson : ils tiennent à leur indépendance, et ils veulent être respectés.  » La règle d’or, selon le spécialiste de la pub : quand on cible les 55 ans et plus, les modèles et acteurs ne doivent pas dépasser les 45 ans.

Autre difficulté : les produits destinés aux seniors sont de type  » thérapeutique « . La question est la suivante : quels problèmes rencontrent les seniors vis-à-vis d’un produit comme le téléphone portable ? En gros, la manipulation du GSM  » standard  » est trop complexe, en raison de la petite taille des touches.

La solution : les téléphones à grosses touches, bien sûr ! Mais si ceux-ci ressemblent à un talkie-walkie géant pour paralytiques, les seniors risquent de passer leur chemin. Quelques marques se sont engouffrées dans la brèche, comme Emporia et Auro. Reste qu’aujourd’hui les firmes de téléphonie n’ont pas encore réussi à affiner leur gamme pour la rendre pratique, sans faire passer leurs utilisateurs pour des infirmes.  » Les téléphones à grosses touches et autres produits de ce genre restent cantonnés dans les rayons sanitaire ou gérontologie, commente Bernard Mangelinckx. Bizarrement, on ne ressent pas beaucoup de proactivité du côté des constructeurs ; leur gamme n’évolue pas. « 

De plus, des sociétés télécoms et informatiques ne mènent guère de campagnes de pub dans les journaux pour ce type de produits. Et quand on y parle informatique, c’est pour gloser sur Windows Vista, Linux et compagnie.  » Ce vocabulaire est inintelligible de la part de beaucoup de seniors, qui n’ont jamais abordé l’informatique de manière concrète, poursuit Bernard Mangelinckx. Du coup, lorsqu’un vendeur de 25 ans leur parle de RAM, de mémoire vive et de mégaoctets, c’est l’incompréhension totale. « 

Or, pour éveiller l’intérêt des seniors, il ne suffit pas de faire une campagne d’affichage pour un disque dur externe de 500 gigas, il faut aussi expliquer de quoi il s’agit, ce que le senior pourra stocker dessus, et comment il doit s’y prendre. Un travail de longue haleine, qui nécessite du temps… et de l’argent.

Quant à notre vainqueur du concours Lépine, Fabrice Guiraud, il s’est bien gardé d’affubler son invention du nom d’ordinateur,  » qui ne dit rien ou fait peur à certaines personnes âgées « . Sa Magui n’est d’ailleurs pas un PC à proprement parler.  » Nous avons utilisé l’outil informatique et des innovations technologiques pour proposer un appareil facilitant la communication intergénérationnelle.  » Les utilisateurs peuvent par exemple enregistrer des messages vocaux à leurs proches, qu’ils appellent en cliquant sur des photos visibles à l’écran. Finis claviers, au revoir souris.  » Rien que pour utiliser une souris, il faut la maîtrise d’un doigt et, souvent, les personnes âgées ne comprennent pas la relation entre le mouvement de cet objet et celui de la flèche à l’écran.  » Un constat encore bien loin d’effleurer l’esprit des concepteurs de campagnes de marketing, dont la moyenne d’âge ne dépasse pas les 35 ans.

(1) A commander auprès de Simplistay : www.simplistay.com ou +33 (0)4 66 76 20 70 (pour les flippés d’Internet).

Chloé Andries et Gilles Quoistiaux

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