» La violence est d’abord le fait de l’Etat « 

La colère contre la coalition suédoise gronde toujours, entretenue par un PTB en embuscade. Raoul Hedebouw, député fédéral, balise la montée en puissance :  » Il faut d’abord élargir la contestation sociale avant de la radicaliser.  »

Le Vif/L’Express : Taxe des millionnaires, semaine de 30 heures, ville neutre en carbone : laquelle des  » brillantes  » idées ramassées dans son livre- manifeste (1) serait pour le PTB un préalable non négociable à l’entrée dans un gouvernement ?

Raoul Hedebouw : La taxe des millionnaires est un élément important de notre vision politique. Pas par plaisir de faire payer les plus riches, mais par pragmatisme.

 » Taxe des millionnaires  » plutôt qu' » impôt sur la fortune « , c’est pour faire plus joli ou moins peur ?

Pour mieux cibler les fortunes construites sur l’activité actionnariale ou les grands héritages. Soit 88 000 familles millionnaires en euros en Belgique. Cette taxe épargnerait donc 98 % de la population.

Tout n’est pas négociable quand on veut accéder au pouvoir ?

A force de mettre de l’eau dans son vin, on obtient un vin très rosé, voire blanc. Le drame fondamental de la politique belge, c’est le consensus mou, la réflexion dans le même moule. Elio Di Rupo, Premier ministre socialiste, se rendait au Forum économique mondial à Davos pour défendre les intérêts notionnels que le libéral Didier Reynders avait mis en oeuvre…

Le PTB au gouvernement, c’est pour bientôt ? Son président, Peter Mertens, entrevoit la possibilité d’ici dix ans…

L’Histoire s’accélère, l’hypothèse du pouvoir à l’échelle nationale n’est plus une vue de l’esprit. Mais il reste encore du boulot.

Gouverner en coalition, mais avec qui et pour y faire quoi ?

Pour oeuvrer dans une logique de Front populaire et sortir des sentiers battus. Avec la gauche traditionnelle, PS et Ecolo, à condition qu’elle reconnaisse ses erreurs en matière de privatisation, de chasse aux chômeurs, de cogestion de l’austérité.

Un programme de rupture est-il compatible avec la formule de coalition ?

Che Guevara disait :  » Soyons réalistes, exigeons l’impossible.  » Voilà le leitmotiv. Quand le mouvement ouvrier a mis la journée des huit heures de travail sur le tapis, l’exigence était totalement hors cadre.

Est-ce bien la place du PTB de siéger au Parlement, incarnation de la démocratie bourgeoise et libérale ?

Il existe d’autres endroits où je me sens mieux. Le Parlement ne pourra à lui seul faire reculer le gouvernement. Le député que je suis n’a aucun espoir de convaincre Charles Michel de modifier sa politique ou de changer de camp, celui du patronat et des millionnaires. Ce ne sont pas des interpellations parlementaires qui empêchent Charles Michel de poursuivre son boulot. Ce qu’il craint, c’est une extension du mouvement social. Un peuple qui se lève peut faire bouger les lignes. Les gens doivent encore en prendre conscience. C’est pour cela que les députés PTB veillent à entretenir la relation rue-Parlement-rue. Charles Michel l’a dit :  » Le PTB donne le ton dans l’opposition.  »

La clé du changement se trouve dans la rue plus qu’au Parlement ?

Notre histoire sociale le montre. Sans les grèves de 1893 et de 1913, on ne peut pas comprendre le suffrage universel. Ni la semaine des 40 heures sans les grèves de 1936. Ni la Sécu sans le mouvement social de 1945-1946.

Ces grandes luttes sociales se sont souvent déroulées dans la violence et le sang… On pourrait y replonger ?

J’espère que non, du fond du coeur. Cette violence est souvent d’abord le fait de l’Etat. C’est la gendarmerie qui tirait dans le tas lors des grèves des 1950 et de 1960. Et c’est la gendarmerie à Liège qui, lors des manifs étudiantes de 1995, a introduit à coups de matraque les idées du socialisme dans mon petit crâne…

La contestation sociale est loin d’atteindre ce climat pré-insurrectionnel…

Car une partie de la population se dit encore :  » J’attends, la crise va passer.  »

Chômage persistant, restrictions des allocations d’insertion : les jeunes se résignent à leur sort plutôt que de monter aux barricades ?

La colère grandit, elle peut éclater là où on ne l’attend pas. La jeunesse n’ a pas encore repris confiance en elle.

Chacun semble plutôt se défouler dans son coin, devant son écran. Dur, dur de mobiliser ?

Le système économique et politique fait tout pour diviser la jeunesse. L’idéologie de la concurrence est distillée jusque dans les jeux télé. Quel est le but de ces jeux ? Bouffer le voisin. Il faudrait qu’on leur appose la signalétique  » émission libérale « . La priorité est d’élargir le mouvement social, de tendre la main aux syndicats, aux artistes, paysans, aux sans-emploi. Elargir le mouvement avant de le radicaliser est plus important.

Elargir le mouvement social pour mieux l’infiltrer… Ce sont les mauvaises langues qui disent ça ?

Le PTB n’infiltre rien du tout. Partout où on va, on agit à découvert, on le dit et on l’assume. Populisme, danger ! Les libéraux et le patronat ont utilisé les mêmes qualificatifs lorsqu’au début du XXe siècle le mouvement ouvrier réclamait la journée de 8 heures ou la fin du travail des enfants. C’est du n’importe quoi.

Ce n’est plus la révolution qui fait encore courir le PTB ?

C’est la révolution des idées. Réclamer la semaine de 30 heures, c’est une question démocratique avant d’être une question économique : c’est vouloir redonner du temps aux gens, leur permettre de souffler et de réfléchir à nouveau.

Le PTB aurait-il aujourd’hui surtout peur de faire peur ?

Si je fais peur au grand patronat, c’est plutôt un honneur (rires). Nous sommes des radicaux de gauche, pas un parti extrémiste. L’extrémisme, c’est la chasse aux chômeurs, le blocage des salaires.

Cette coalition suédoise N-VA-MR-Open VLD-CD&V n’est-elle pas pourtant un peu tiède pour un gouvernement dit des droites ? Où reste la grande révolution libérale ?

Aujourd’hui, on en est à faire accepter l’idée de mettre les syndicats hors-jeu, de démanteler la Sécu. Margaret Thatcher a procédé de la sorte en Angleterre : tester les acteurs avant de les casser.

Et sur sa gauche, de qui le PTB a-t-il surtout peur ?

Du parti du fatalisme.

La grande famille socialiste resserre les rangs : PS, FGTB, mutualités raniment l’Action commune. Coup dur pour le PTB ?

Ce ne sont pas quelques opérations de com’ qui vont inverser la tendance. Nous conservons une très grande sympathie au sein de la base militante.

Il manque une représentation parlementaire flamande au PTB. Comment porter la voix de la gauche radicale en Flandre ?

On n’intervient pas pour les francophones mais pour tous les travailleurs du pays. On parle leur langue. Le PTB est le dernier parti national.

Raison pour laquelle il est discret sur la question communautaire et institutionnelle ?

Nous rejetons la sixième réforme de l’Etat et ce fédéralisme de concurrence entre entités fédérées qui s’installe sur l’activation des chômeurs, les allocations familiales, etc.

 » L’union fait la force « , en somme ?

Tout à fait. Avec ou sans Roi, c’est une autre question (rires).

(1) La taxe des millionnaires et sept autres idées brillantes pour changer la société, sous la direction de Peter Mertens, Editions Solidaire, 175 p.

Entretien : Pierre Havaux

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