© Belga

Ce que coûte réellement la monarchie

Que coûte réellement la monarchie belge au contribuable ? A côté des dotations, quelles dépenses sont payées par les ministères et quels sont les privilèges fiscaux de la famille royale ? Autopsie d’un système peu transparent.

Pas de ventilation des dépenses, pas de comptes à rendre sur l’usage de l’argent, pas de TVA ni d’accises à payer, un contrôle parlementaire et gouvernemental inexistant… Le système belge des dotations princières est un modèle d’opacité ! Tous les enfants du couple royal sont servis. La reine Fabiola, aussi. Et à des conditions que le monde politique a voulu des plus souples. Une telle désinvolture dans l’octroi des deniers publics peut surprendre. Et accrédite la fâcheuse impression, en pleine crise, que perdure en Belgique un régime de faveur d’un autre temps.

Cela dit, que coûte réellement la famille royale au contribuable ? Le site Internet de la monarchie belge détaille les moyens financiers, immobiliers et mobiliers alloués à la Maison royale. Mais les informations fournies sont lacunaires et biaisées. Ainsi, curieusement, les montants des dotations ne sont pas actualisés. Monarchie.be affiche, notamment, 6 millions d’euros par an pour la liste civile du roi, alors qu’elle atteint, aujourd’hui, près de 11 millions.

Pour se faire une idée plus précise des comptes de la monarchie, il faut distinguer la liste civile du souverain, sa fortune personnelle, les privilèges fiscaux et autres de la famille royale, les contributions des ministères, les dotations princières et les biens meubles et immeubles mis à la disposition de la famille royale.

1. La liste civile du roi

La liste civile est la dotation que le Trésor alloue au souverain pour lui permettre d’exercer ses fonctions de chef de l’Etat. Ce n’est pas un salaire, mais un budget, comparable à celui d’un cabinet ministériel important. Payé par trimestre et non soumis à l’impôt, ce budget est fixé au début du règne, pour toute sa durée. Mais une indexation est prévue (elle est liée, depuis 2009, à l’indice santé). Montant actuel : 10,6 millions d’euros par an (près de 890 000 euros par mois). Les traitements et salaires engloutissent les deux tiers de ce budget, selon le site de la monarchie. Le tiers restant couvre l’entretien des habitations royales (12,5 %), les activités et visites officielles (5,5 %), les coûts de chauffage-eau-électricité (5 %), le parc automobile (4,5 %)…

En 2010, le roi a donné 90 000 euros à des personnes endettées qui avaient écrit au Palais, une somme répartie entre 450 familles. De même, en 2007, Albert II a transféré, toujours par le biais de sa liste civile, 185 000 euros à la Défense à la suite du procès de Hasselt pour fraudes à la Marine. Le prince Laurent était accusé par le colonel Noël Vaessen d’avoir sciemment bénéficié d’une partie des fonds détournés dans les années 1990 par des membres de la Marine. Le montant versé par la liste civile – donc par le contribuable – correspond aux sommes qui ont permis d’aménager la villa de Laurent, à Tervuren, et de financer sa fondation de protection des animaux.

2. Les privilèges fiscaux et autres

La liste civile du roi et les dotations attribuées à la reine Fabiola, au prince Philippe, à la princesse Astrid et au prince Laurent représentent, au total, un budget de 13,5 millions d’euros. « La famille royale belge se situe, sur ce plan, dans la moyenne européenne, estime Herman Matthijs, professeur à la VUB et expert en finances publiques. Mais, à côté de ces fonds, dont l’utilisation n’est pas soumise à un audit externe, notre monarchie bénéficie de nombreux avantages. »

Quelques exemples : la famille royale ne paie pas de taxes, donc pas de TVA à l’achat d’une voiture de fonction, ni d’accises sur le carburant. Les résidences officielles mises à sa disposition ne sont pas soumises au précompte immobilier. Le roi bénéficie de la franchise postale. De même, l’Etat paie le chauffage du château de Laeken et du palais de Bruxelles.

« Il est pratiquement impossible d’avoir un aperçu complet et correct des recettes et dépenses de la Maison royale », constatent les sénateurs CD&V Pol Van Den Driessche et Els Schelfhout, auteurs d’une proposition de loi en faveur d’une réforme du système. « Aucune comptabilité en partie double n’est tenue, précisent-ils. L’existence de diverses fondations et ASBL permet à des membres de la famille royale de bénéficier d’autres formes de subventions. »

3. Les coûts masqués

Plus de la moitié des dépenses liées à la monarchie sont directement prises en charge par des ministères sans que les montants correspondants soient imputés à la liste civile. Ainsi, l’entourage du roi est constitué d’agents de l’Etat, détachés de leurs ministères. « Le chef de cabinet d’Albert II, l’inusable Jacques van Ypersele de Strihou, aujourd’hui pensionné, était naguère rémunéré par le ministère des Finances en tant qu’inspecteur puis directeur général au Trésor », indique un parlementaire.

De même, le ministère de l’Intérieur paie, comme dans les autres monarchies, les escortes policières et la sécurisation des palais (les prestations de 220 à 240 hommes, soit 14,5 millions d’euros par an, selon l’estimation du Pr Matthijs). « Quand la famille royale voyage en avion, c’est dans un appareil de la Force aérienne, qui ne laisse aucune trace budgétaire dans la dotation », note Hendrik Vuye, professeur de droit constitutionnel aux Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix, à Namur. La Défense assume aussi le coût de la vingtaine de militaires détachés auprès du souverain ou embarqués à bord du yacht royal (2 millions d’euros). Les visites d’Etat et déplacements officiels sont couverts par les Affaires étrangères (1 million d’euros). Et les frais de personnel, d’électricité et de nettoyage pendant les semaines d’ouverture du palais de Bruxelles au public sont assumés par la Politique scientifique (600 000 euros).

Le Pr Matthijs évalue l’ensemble de ces « coûts masqués » à 17,8 millions d’euros par an, soit près de 1,5 million par mois. Le coût annuel total de la monarchie belge ne s’élèverait donc pas, selon lui, à 13,7 millions d’euros – liste civile et dotations -, mais à près de 30 millions d’euros !

4. La Donation royale

Le roi jouit de l’usage du palais de Bruxelles et du château de Laeken, propriétés de l’Etat. D’autres résidences sont mises à la disposition du souverain et de sa famille dans le cadre de la Donation royale : le château du Belvédère (domicile d’Albert et Paola), la partie du château de Laeken occupée par Philippe, Mathilde et leurs enfants, le domaine du Stuyvenberg (Fabiola, Astrid et sa famille), la villa Clémentine (Laurent), les châteaux de Ciergnon, Fenffe, Villers-sur-Lesse… La Donation royale – à l’origine, des propriétés et parcs donnés à l’Etat belge par Léopold II -, gère de façon autonome l’entretien des palais, sous la « surveillance » du ministère des Finances. La valeur du patrimoine est estimée à 480 millions d’euros , mais la Donation a aussi un portefeuille de valeurs mobilières (évalué à 300 millions d’euros).
Vu le coût élevé des travaux de réparation aux bâtiments, les comptes de la Donation sont presque chaque année dans le rouge (1,62 million d’euros de déficit en 2009). Les revers financiers seraient également dus à une mauvaise gestion du patrimoine. Ce qui fait dire à certains que la famille royale demandera un jour au Trésor public d’éponger les pertes. Le manque de transparence de la Donation royale a été dénoncé par la Cour des comptes. L’un de ses rapports, indique qu’ « il n’existe pas d’inventaire ni de relevé complet des biens immobiliers » et que « l’absence d’informations empêche de contrôler le rendement des bâtiments ». La Donation a été récemment condamnée à payer des arriérés de précompte immobilier pour la villa de Laurent.

5. La Collection royale

L’Etat met à la disposition du souverain les objets d’art (peinture, sculpture, mobilier, argenterie, porcelaine) et de décoration de la Collection royale.

6. La fortune personnelle du roi

Albert II possède, par ailleurs, des avoirs privés. Il s’agit notamment des biens recueillis par voie d’héritage. Si le souverain ne paie pas d’impôts sur le budget de la liste civile, il est soumis au régime de droit commun en matière d’impôt sur le revenu et de droits de succession. Le Palais reconnaît, sur son site, que le roi possède, en propre, une villa dans le sud de la France et un yacht. Selon la version officielle, le capital financier du souverain ne dépasserait pas 12,4 millions d’euros. Des journalistes et experts ont jugé ce montant peu crédible.

7. Les dotations princières

Au lendemain du décès du roi Baudouin, le gouvernement a accordé une rente viagère (indexée) à la reine Fabiola. Son montant atteint aujourd’hui plus de 1,44 million d’euros par an. En additionnant les montants perçus par Fabiola depuis 1993, le journal La Meuse arrive à la somme rondelette de 24 millions d’euros, soit près de 1 milliard de francs belges.

En 1999, à l’occasion de son mariage, le prince Philippe a vu sa dotation réévaluée. Dans la foulée, le gouvernement a accepté que sa soeur, la princesse Astrid, bénéficie également d’un financement public. Le prince Laurent, seul enfant du roi à rester sur la touche, a alors crié à l’injustice. Il recevait pourtant une rémunération publique en tant que président de l’Institut royal pour la gestion durable des ressources naturelles (les émoluments du prince représentaient 80 % des subventions accordées à cette ASBL). Mais il a frappé à la porte des partis et, en 2001, a obtenu lui aussi une dotation. Des voix s’élevaient pourtant déjà, à l’époque, pour limiter ces financements publics à la veuve du roi défunt et à l’héritier du trône.

Jusqu’en 2009, le montant des dotations princières n’a cessé d’augmenter. Mais ces revalorisations ont été vivement critiquées dès l’année précédente dans certains partis politiques. La Lijst Dedecker, notamment, a dénoncé « une claque dans le visage de chaque Belge » et a demandé à la Maison royale de « faire preuve de solidarité » en renonçant à « l’augmentation exagérée » prévue pour 2009 (6 %). Certains se sont indignés du fait que la liste civile et les dotations princières augmentaient plus que les salaires des travailleurs. Elles bénéficiaient en effet d’une liaison à l’indice des prix, alors que les salaires sont liés à l’indice santé. Le gouvernement a alors proposé au Parlement un alignement du système sur l’indice santé.

Il a fallu attendre la loi-programme du 23 décembre 2009 pour voir les dotations rabotées de quelques dizaines de milliers d’euros pour cause de crise économique. Une première dans l’histoire du pays. « La famille royale va devoir se serrer la ceinture », annonçaient les médias, fin 2009. Tout est relatif : Fabiola reçoit encore de l’Etat plus de 120 000 euros par mois, Philippe, 77 000, Astrid, 26 500 et Laurent, 25 500.

OLIVIER ROGEAU

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire