Un médecin dans la boue de l’Yser

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

De tous les témoignages belges sur la Grande Guerre, Jusqu’à l’Yser est l’un des plus fiables et des plus percutants. Le journal de campagne de Max Deauville est réédité, enrichi de photos d’époque.

Quel est ce bruit ? Des coups de feu ! Alerte ! La paille froissée craque. Des équipements cliquettent. Debout. Le poste de chemin de fer est attaqué. Il n’y a pas de temps à perdre. Debout.  » Le style est incisif. Les phrases sont courtes, écrites au présent. Le récit colle à l’événement… Il n’aura pas fallu attendre 2014, année des célébrations du centenaire de la Première Guerre mondiale, pour que soit réédité Jusqu’à l’Yser, l’ouvrage littéraire belge considéré comme le plus rigoureux sur les combats des années 1914-1915. Rédigé pendant le conflit et publié en 1917 à Paris, le texte de Max Deauville est à la fois celui d’un combattant, d’un médecin et d’un écrivain.

Derrière ce nom de plume de Max Deauville se cache le Dr Maurice Duwez (1881-1966), un généraliste bruxellois qui avait publié, dès avant la guerre, plusieurs romans et pièces de théâtre. Il a 33 ans quand les Allemands envahissent la Belgique. Engagé volontaire, il prend part, en tant que médecin de bataillon, à la retraite de l’armée belge, d’abord vers Anvers, puis vers le Westhoek. Les pertes sont telles qu’à plusieurs reprises le régiment dans lequel il est versé est dissous. Il assiste à la bataille de l’Yser et connaît la vie des tranchées dans le secteur de Dixmude.

Inconnu en Belgique

 » La volonté de témoigner est immédiate, constate l’historienne Chantal Kesteloot, qui signe la préface de la nouvelle édition : l’homme a réuni notes et croquis.  » En février 1916, Duwez, atteint de la fièvre des tranchées, est évacué et soigné à l’hôpital de Saint-Briac, en Bretagne. Bientôt, il y soigne lui-même les malades et met à profit son séjour pour retravailler son manuscrit. Le texte est publié chez Calmann-Lévy, après avoir été soumis à la censure alliée, civile et militaire.  » Mais le livre demeure quasi inconnu en Belgique, dont l’essentiel du territoire était encore sous domination allemande « , reconnaît Chantal Kesteloot.

Après la guerre, Duwez s’installe à Ixelles avec sa mère, sa compagne et son fils, né en août 1915 à La Panne (et prénommé  » Yser  » !). Il continue d’exercer sa profession de médecin tout en restant proche des milieux littéraires belges.  » Comme tous les volontaires de guerre, il a souffert de l’incompréhension de ceux qui étaient restés sous l’Occupation allemande ou qui avaient quitté le pays. La guerre lui a inspiré une résignation stoïque, puis la désillusion « , note son petit-fils, auteur d’une biographie du personnage consultable sur le site www.maxdeauville.be.

La Boue des Flandres, que Deauville publie en 1922 pour dénoncer les horreurs et les absurdités de la guerre, est l’expression la plus manifeste de ce mal-être existentiel. L’ouvrage connaît un certain succès. En revanche, Jusqu’à l’Yser peine à sortir de l’oubli. Pourtant, en 1929, un ouvrage critique de Jean Norton Cru, qui passe au crible plus de trois cents récits de guerre, classe l’£uvre parmi les meilleurs témoignages sur la  » der des ders « . Le texte s’inscrit clairement dans le genre du journal de campagne : on suit le bataillon dans son cheminement quotidien. Mais Deauville, qui dédie son livre  » aux humbles, à ceux qui sont morts ignorés « , sait aussi se faire poète :  » Jours de tranchée, jours de piquet, jours de repos se suivent avec une telle monotone régularité depuis longtemps que l’imagination ne veut plus rien voir au-delà.  »

OLIVIER ROGEAU

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