Thierry Fiorilli

Slogans de campagnes et électeurs dans une logique de supermarché

Thierry Fiorilli Journaliste

Quel parti a pour slogan de campagne « Une vie meilleure pour tous au quotidien » ? Et lequel a choisi « Vivre ensemble » ? Et « Agir aisément « , c’est celui de qui ? Vous avez dix secondes. Réfléchissez bien. Vous les connaissez. Trouvé ?

Fini ! Réponses : Ikea, Bel-RTL et les Alcooliques anonymes français. Mais, c’est vrai, vous n’avez pas tort si vous pensiez au CDH, au PS et, disons, au PP. Parce qu’ils auraient pu les choisir. Et, en fait, parce que leur vrai slogan respectif n’est pas très éloigné. La preuve : le parti de Benoît Lutgen annonce que « Vivre mieux, c’est possible », celui de Paul Magnette qu’on est « Plus forts ensemble » et celui de Mischaël Modrikamen prédit « Le retour du bon sens ».

On peut citer le slogan du MR, on nage dans les mêmes eaux : « L’avenir, ça se travaille ». Celui d’Ecolo, « Votez avec votre temps » a le mérite de rappeler que, le 25 mai, il s’agit d’élections, et pas de catalogue commercial. Celui du FDF vante clairement les vertus des candidats du parti : « Vrais et sincères ». Et celui du PTB ne cherche pas à tromper sur la marchandise : « Notre avenir est social ».

Mises bout à bout, la plupart des formules censées incarner l’ADN, les valeurs et les projets des principaux partis, francophones dans ce cas, en lice pour le triple scrutin qui arrive, correspondent à ce que l’historien français Christian Delporte définissait il y a peu dans Libération comme « des mots qui n’engagent pas. Ce sont des mots-valises, utilisables à droite, à gauche, au centre. Des mots banals, insignifiants à force de ne vouloir choquer personne. La principale préoccupation des politiques aujourd’hui est de ne plus cliver. Depuis les années 1980, on est passé de l’affiche de propagande à l’affiche de publicité, pour émousser tout ce qui pouvait diviser l’électorat. »

Mention spéciale pour l’utilisation de « bon sens », fort prisée durant la campagne des récentes municipales françaises : « C’est caractéristique d’une époque gagnée par la démagogie. Le bon sens, cela veut dire que les choses ne sont pas compliquées. Or ce n’est pas vrai, elles sont extrêmement compliquées. C’est un bon exemple de slogan dépourvu de tout message politique. »

Objectivement, la majorité des autres termes aussi : « ensemble », « avenir », « agir », « vivre » « mieux », « meilleur », « fort »… sont des termes totalement transposables au langage publicitaire. Très éloigné de ce qui serait, selon Christian Delporte, le « vrai slogan politique : celui qui rejette le consensus ».

Beaucoup s’en plaignent ou s’en offusquent. Beaucoup considèrent que c’est là la preuve que partis et personnel politiques n’ont plus d’idées, plus d’audace, plus de visions sociétales, et que leurs slogans leur ressemblent, dans toute leur vacuité. Mais ce serait se tromper de cible : ces mots-valises correspondent aussi à la mue d’une grande partie de l’électorat. En France, un maire d’une petite ville qui ne voulait plus se représenter l’expliquait ainsi : « Le citoyen est devenu un client. Il estime qu’en donnant sa voix, il a acheté un produit, une marque. Et donc il exige un retour sur investissement. Ça veut dire qu’il n’accepte plus de payer des impôts pour la collectivité. On lui dit : « C’est pour une école, ou une piscine, ou un rond-point, ou une piste cyclable »; il rétorque : « Je n’ai pas d’enfant, je ne nage pas, je ne passe par là, je n’ai pas de vélo ». Et c’est pareil pour tout ce qu’il considère comme ne le concernant pas. S’il estime que le service après-vente ne lui convient pas, personnellement, il change de magasin, de marque. Et il vote pour un autre. »

De quoi faire de l’ensemble de la chose politique, depuis l’électeur jusqu’au dirigeant, un vaste supermarché. Dont différents groupes ne se disputent plus que la gérance.

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