Appel verrouillé au peuple

Du bout des lèvres, les élus donnent la parole aux peuples wallon, flamand et bruxellois. Mais pas aux Belges réunis. Et encore, c’est sous haute surveillance. L’audace a ses limites.

Les éoliennes n’auront qu’à bien se tenir. Il se pourrait qu’un projet autoroutier ne sorte jamais de terre. Il n’est pas impossible que les intercommunales wallonnes se mettent à trembler sur leurs bases. Une ligne de métro bruxellois pourrait bien connaître un enterrement de première classe. Si l’homme et la femme de la rue se mêlent de donner leur avis, cela pourrait faire du dégât.

Les élites politiques relèvent le défi. Elles font le pari de tendre la main aux citoyens, plus souvent que le temps d’un scrutin. La consultation populaire monte en puissance : jusqu’ici autorisée à l’échelle locale et provinciale, elle pourra l’être au niveau régional.

Curieux : les élus du peuple n’en tirent aucune fierté. Aucune envolée lyrique n’est venue saluer cet élan vers plus de  » démocratie directe « . L’affaire, ficelée dans le volumineux paquet de la sixième réforme de l’Etat, s’est conclue sans enthousiasme débordant ni publicité tapageuse. Comme si c’était sans trop vouloir y croire, que la parole pourra être donnée aux peuples wallon, flamand ou bruxellois. Sous strictes conditions et sous haute surveillance.

L’audace a ses limites. La Question royale vient toujours à point nommé pour éviter de franchir le pont trop loin. Le monde politique aime rappeler ce qu’il en a coûté au pays d’avoir invité les Belges, le 12 mars 1950, à se prononcer sur le retour sur le trône de Léopold III : une fracture monumentale entre Flamands et francophones, qui a mené la Belgique au bord de la guerre civile. Une fois mais pas deux. L’intention n’est pas de rééditer cette expérience traumatisante. La santé déjà fragile du pays pourrait ne pas le supporter.

Hors de question de demander au Belge de donner son avis sur un sujet précis. C’est au Wallon, au Flamand, au Bruxellois, voire au germanophone, tous pris séparément, que l’on permettra de s’exprimer par oui ou par non.

Ils n’auront pas leur mot à dire sur les sujets qui pourraient fâcher par-delà la frontière linguistique, ou qui impliqueraient d’autres niveaux de pouvoir que leur Région. Ils n’auront pas voix au chapitre sur les matières communautaires, hautement inflammables. Pas question de pouvoir contester des engagements internationaux ou supranationaux, ni de remettre en cause droits de l’homme ou libertés fondamentales. Inutile de songer à réclamer une baisse d’impôt ou de mettre son grain de sel dans les matières budgétaires et financières (lire l’encadré à droite). Cerise sur le gâteau : la consultation n’est pas un référendum. Les gouvernants ne devront pas se sentir liés par ses résultats, même si ne pas en tenir compte serait du plus fâcheux effet.

Avant d’entrouvrir la porte aux citoyens et de remettre les clés aux Régions, le législateur fédéral a pris soin de la barder de verrous. L’outil est disponible, mais son emploi reste facultatif.

La Flandre politique cache bien sa joie. A commencer par la N-VA : le  » parti du changement  » avoue son allergie de principe à ce genre d’appel aux citoyens. L’une de ses députées, Kristien Van Vaerenbergh, s’en est expliquée :  » Plusieurs exemples du passé démontrent que de telles consultations exacerbent les oppositions et compliquent la prise de décision par les élus qui sont les mieux placés pour évaluer les intérêts en présence.  »

La Wallonie affiche plus d’entrain. Ecolo et le MR sont déjà sur la balle. Mais pas sur la même longueur d’ondes. Notamment à propos de la question cruciale laissée en suspens : qui pourra réclamer une consultation populaire ? Le parlement wallon, et lui seul, prônent les libéraux. Les parlementaires, le gouvernement ou les Wallons eux-mêmes, pour autant qu’ils soient au minimum 100 000 à se manifester, suggèrent les Verts. Etant entendu que pour Ecolo, le parlement wallon aura le dernier mot pour juger recevable une demande de consultation.

Le monde politique n’est jamais trop prudent. La Cour constitutionnelle fera office d’ultime garde-fou : sans son feu vert préalable, pas de consultation populaire possible. Les petits malins qui se mettraient en tête d’organiser trois consultations populaires simultanées, portant respectivement sur l’avenir de la Flandre, de la Wallonie et de Bruxelles, peuvent oublier leurs projets. Des juges pour canaliser la vox populi : le procédé est inédit.

Cette vraie usine à gaz est conçue avec le ferme espoir qu’elle fonctionne le moins possible. Elle trahit l’intention inavouée du monde politique de ne pas pousser à la consommation. Le but a de bonnes chances d’être atteint : la consultation populaire à l’échelle provinciale attend toujours sa première expérience. Pour un saut dans l’inconnu, l’atterrissage en douceur est bien balisé.

Par Pierre Havaux

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