Le feu au ventre

Pour la première fois, une exposition se penche sur les rapports entre les oeuvres de deux figures mythiques du pré-expressionnisme : Edvard Munch et Vincent Van Gogh. Rendez-vous à Amsterdam.

En 1880, à l’âge de 27 ans, Vincent Van Gogh prend la décision de sa vie : devenir  » artiste « . La même année, en Norvège, Edvard Munch, de dix ans son cadet, fait de même. Le premier est avant tout un autodidacte. Le second passe par la filière de l’enseignement artistique. Mais tous deux savent très vite que le voyage à Paris s’impose. Ils visitent d’abord le Louvre. Munch s’attarde devant Vélasquez et de là découvre Manet. Van Gogh préfère Delacroix qui le conduira vers Pissarro. Bientôt, ils seront également emportés par la vie d’une capitale qui est aussi celle des avant-gardes. Or, en 1885-1886, années de leur séjour respectif, l’impressionnisme en est aux Suites de Monet et d’autres se font connaître : Cézanne, Caillebotte, Degas, Whistler, Seurat. Mais pour les deux peintres, ce sera Gauguin qui demeurera le plus déterminant.

Les deux hommes ne se sont toutefois jamais rencontrés. Cependant, en 1889, lors de son second séjour parisien (Van Gogh vit alors non loin, à Auvers-sur Oise), Munch a pu découvrir l’une ou l’autre toile du Néerlandais. Le lien ? Une vision commune :  » Ce n’est pas la chose qui doit être peinte mais la manière dont elle a été ressentie.  »

Un dialogue reconnu très vite

Dès 1893 est organisée à Copenhague une exposition où ses oeuvres vont côtoyer celles de Van Gogh. A Berlin, Julius Meier-Graefe, critique et collectionneur, ami du peintre norvégien, acquiert une première oeuvre de Van Gogh. A Paris de même, dès 1897, soit un an après une première exposition Munch dans la capitale française, Thadée Natanson, directeur de La Revue blanche, souligne les liens entre les deux oeuvres.

Dès 1902, un collectionneur des oeuvres de Munch, influencé par le belge Henry Van de Velde fait entrer une toile de Van Gogh dans le musée de Hagen. D’autres amateurs suivent et confirment, par leurs acquisitions, la parenté d’esprit entre les deux artistes. La consécration vient en 1912, à Cologne, à l’occasion d’une mégamanifestation dont le but est de présenter toute l’avant-garde. Van Gogh y est reconnu comme le précurseur avec 130 oeuvres exposées. Munch, avec 32 pièces, devient le peintre vivant le plus représenté.

Le mythe succède bientôt à la curiosité. En 1956, Kirk Douglas incarne le personnage de Van Gogh dans une superproduction cinématographique. Un an plus tard, Munch est à son tour porté à l’écran. En 2008, explique Maïté van Dijk, conservatrice au musée Van Gogh, avait été recensées les questions les plus souvent posées par les visiteurs. Beaucoup regrettaient l’absence aux cimaises d’oeuvres célébrissimes comme La Nuit étoilée, L’autoportrait à l’oreille bandée… mais ils incluaient dans leur liste un tableau qui n’était pas de la main de Van Gogh mais de celle de Munch : Le Cri !

Les points communs

Leur vie passe par des expériences similaires. L’enfance d’abord au coeur d’une famille nombreuse et une éducation sévère autant qu’austère dominée par une figure paternelle qui ne reconnaîtra jamais la sensibilité de leur fils. La rencontre avec la maladie et la mort ensuite. Vincent porte le prénom d’un frère mort. Munch perd sa mère lorsqu’il a 9 ans et sa soeur à l’adolescence. Le poids du religieux enfin et son lot d’interdits. Ils partagent aussi ce même besoin de vivre à la fois l’exaltation des villes et la puissance des liens avec la campagne, Nuenen puis Arles pour l’un, Ekely pour l’autre. Les thèmes récurrents de leur oeuvre, animés par un identique besoin d’introspection, présentent à leur tour de profondes similitudes. Ainsi le choix de l’autoportrait qui fixe les visages de l’un et l’autre aux différentes étapes de leur vie mais également des lieux symboliques dans lesquels ils se projettent : la chambre par exemple ou encore les arbres ou la nuit. Et pour le dire, la subjectivité dans le choix des couleurs, le traitement des espaces et des rythmes, l’écriture expressive.

Les singularités

Leurs chemins sont pourtant bien distincts parce que si leur but est identique (traduire et provoquer l’émotion) leur esthétique ne repose pas sur les mêmes procédures. Alors que Van Gogh vise à transcrire son expérience immergé dans son sujet (le paysage, lui devant le miroir…), Edvard Munch travaille dans l’atelier ne cherchant à traduire que le souvenir de cette expérience. Mais il y a d’autres différences que les confrontations imaginées dans l’exposition d’Amsterdam rendent manifestes. Deux exemples.

1. Les couleurs. Van Gogh valorise la rencontre des complémentaires bleu et orange. Munch préfère celle du rouge et du vert. A la fin de leur vie, Van Gogh en revient aux teintes voilées du nord alors que Munch embrase les siennes. La recherche du Néerlandais est marquée au sceau de la science des couleurs abordée d’abord par Delacroix, théorisée par Charles Blanc et exaltée à la fois par la découverte des estampes japonaises, la lumière du sud et d’étranges expériences comme lorsqu’il entrelaçait des fils de laine de diverses teintes afin d’en saisir l’effet optique. Munch, quant à lui, paraît avoir été plus marqué par les écrits de Charles Henry qui accordait aux couleurs des équivalents émotifs.

2. La technique. Aux empâtements chez Van Gogh répond la fluidité chez Munch. L’écriture rythmique anime le travail du Néerlandais alors qu’elle joue, chez le Norvégien, le rôle de liaison entre les diverses parties. Enfin, Van Gogh demeure un peintre respectueux du travail au pinceau alors que Munch multiplie les audaces et les outils.

Ontmoet Vincent & Edvard. Twee bijzondere levens, au musée Van Gogh, à Amsterdam. Jusqu’au 17 janvier 2016. www.vangoghmuseum.nl Catalogue édité par le Fonds Mercator.

Par Guy Gilsoul

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