Patrick Zanders © Belga

Patrick Zanders, ancien officier de liaison: « Nous devons recevoir plus de signaux de la communauté musulmane »

Kristof Clerix
Kristof Clerix Rédacteur Knack

Le père de la collaboration policière internationale fait ses adieux: « La ghettoïsation bruxelloise est sérieuse. Les jeunes de la quatrième génération sont au chômage, ont des problèmes et sont frustrés. »

Le commissaire principal Patrick Zanders n’épargne pas les critiques – y compris sur l’enquête des attentats du 22 mars. « C’est la faute de la Belgique si les Marocains ne nous procurent pas plus d’informations. »

Pratiquement personne n’est autant au courant des dossiers sensibles belgo-marocains que Patrick Sanders. De septembre 2007 à septembre 2016, il a travaillé à l’ambassade belge à Rabat, comme officier de liaison de la police. Au début, il échangeait surtout des informations sur les affaires de drogue, les vols de véhicule et de migration. À la fin, 85% de son travail se composait de dossiers sur le terrorisme. Chaque fois, des Marocains étaient impliqués : le complot terroriste déjoué à Verviers, les attentats à Paris et à Bruxelles et des centaines d’autres affaires. Zanders les a vécues de près.

À quel point l’information du Maroc est-elle importante pour la sécurité en Belgique?

PATRICK ZANDERS: Elle est cruciale. Le Maroc pourrait nous procurer encore beaucoup plus d’informations, mais il ne le fait pas et c’est de la faute de la Belgique. En tant qu’officier de liaison, j’ai transféré au moins trois rapports par semaine sur le terrorisme à la police belge. Au début, cette information devait passer par cinq maillons avant d’atteindre sa destination finale, l’enquêteur sur le terrain. On perdait un temps précieux. Les moyens de communication modernes doivent améliorer cette situation. Et il y avait un autre problème : le feed-back qu’on me rendait était particulièrement maigre.

Après les attentats du 22 mars, j’ai proposé de travailler une semaine avec la police judiciaire de Bruxelles de sorte que chaque fois que surgissait un nouveau nom, on aurait pu faire avancer l’instruction judiciaire. Et peut-être même déjouer des attentats.

Comment le Maroc a-t-il réagi aux attentats du 22 mars?

Après les attentats, j’ai été appelé au milieu de la nuit par les services de renseignements marocains. Ils m’ont donné toute une série d’informations et de photos sur le troisième terroriste de Zaventem, le fameux « homme au chapeau ». J’ai immédiatement envoyé leurs informations à Bruxelles, mais je ne sais pas ce qu’on en a fait alors que les Marocains attendaient tout de même une réponse. Et ce n’était pas une exception. Après le 22 mars, la police fédérale a donné un exposé à plus de vingt pays. Quand j’ai demandé ce texte, on a refusé. Pour savoir qui avait été exactement arrêté après les attentats, j’ai dû consulter les médias. La seule information que Bruxelles m’a donnée sur les suspects était un communiqué de presse diffusé par le parquet fédéral.

Les Marocains auraient-ils plus faire plus s’ils avaient reçu des informations opérationnelles?

Sans nul doute.

La méfiance de la police belge à l’égard du Maroc n’est-elle pas justifiée? Ce pays n’est pas vraiment connu comme un champion des droits de l’homme.

Au Maroc, « approche proactive » signifie autre chose que chez nous – avant Noël ils ont « préventivement enfermé » un millier de salafistes. En partie, je comprends donc cette méfiance. Pourtant, la Belgique peut tirer des leçons de la lutte marocaine contre le terrorisme. Le flux d’informations entre les différents services, des quartiers au niveau national, se passe sans entraves. Ils appellent ça ‘renseignement de proximité’: la lutte contre la radicalisation et le fondamentalisme doit surtout se faire localement. Quand j’allais prendre de l’essence avec ma plaque minéralogique diplomatique, l’exploitant me signalait immédiatement à l’état. Ainsi, les informations remontent graduellement vers le sommet. C’est le secret de l’intelligence marocaine. L’agent de quartier est le roi de cette approche. Entre-temps, notre police fédérale a perdu tout ancrage local à l’exception d’un certain nombre de services spécialisés.

C’est le revers du succès marocain : c’est ainsi qu’on cultive une société de dénonciateurs.

Oui, mais les résultats sont là. Il est évident que le modèle marocain n’est pas transposable en Belgique. Je ne dis pas que tous les Belges doivent devenir des délateurs. Mais nous devons en tout cas recevoir plus de signaux de la communauté musulmane. Celle-ci y est ouverte. Les musulmans craignent par-dessus tout que nous stigmatisions toute leur communauté. Et c’est ce que nous faisons.

Pourquoi y a-t-il très peu d’attentats-suicides au Maroc?

Un certain nombre de « terroristes bricoleurs » sont des individus désespérés par des conflits personnels qui veulent se suicider. Regardez l’attentat de juillet 2016 à Nice : c’était un suicide caché. Quel est le problème? Dans l’islam, le suicide est haram. Si vous vous suicidez, vous n’irez jamais au ciel. Or, l’EI affirme: « Si vous commettez un attentat au nom d’Allah, vous allez au ciel. » C’est de la folie, évidemment. Le Maroc répond à ça en développant un contre-récit. L’état y forme les prédicateurs dans une école d’imams. Ensuite, les imams sont contrôlés par les services secrets. Dans tous les sermons, ils soulignent que le meurtre d’innocents va à l’encontre de l’islam. Et pour cette raison, on ne voit pratiquement pas d’attentats-suicides au Maroc.

Comment voyez-vous la communauté marocaine en Belgique ?

La communauté marocaine n’existe pas. En tout, il s’agit d’un demi-million de personnes ; c’est une erreur de tous les grouper sous un seul dénominateur. Je suis surtout inquiet par la ghettoïsation. Il y a quelques années, j’ai circulé à Molenbeek, Anderlecht et Schaerbeek en compagnie du patron de la police judiciaire marocaine. Cet homme n’en croyait pas ses yeux. « Tout le monde est vêtu de façon traditionnelle », a-t-il dit. « Même au Maroc, nous n’avons plus une société comme ça. »

La ghettoïsation bruxelloise est grave. Vous y avez des jeunes de la quatrième génération qui n’ont plus rien à voir avec le Maroc. Mohamed Abrini, par exemple, n’y avait plus été depuis 2005. Ils sont au chômage, ont des problèmes et sont frustrés. Ils sont la cible idéale de la propagande de l’EI, qui leur présente un paradis de 72 vierges. Cela n’a rien à voir avec l’islam. L’EI est une bande d’aventuriers dangereux qui interprètent leur religion à leur guise.

Combien y a-t-il de cas problématiques de la quatrième génération?

Les dossiers dont je m’occupe depuis des mois parlaient d’environ un millier de Marocains à Bruxelles, Charleroi et Liège. La grande différence entre le Maroc et la communauté marocaine en Belgique se situe dans le rôle de la famille. Au Maroc, le père a encore de l’autorité sur ses enfants. La famille y est sacrée, ce qui explique aussi pourquoi les services de police et de renseignements marocains visent des familles entières, dès que quelqu’un risque de tomber dans le salafisme. Pas en les mettant sur écoute, mais en dialoguant : « Vous avez une brebis galeuse. Sachez que nous allons vous suivre ». Ils ne le font pas de manière répressive.

Les terroristes du 22/3 ont également de la famille au Maroc.

Ces familles les soutiennent encore toujours – pour autant que les coupables soient toujours en vie, évidemment. Ils continuent à les aider, même s’ils n’osent pas l’admettre. Je ne peux pas entrer dans les détails, mais dans le dossier autour du 22/3, la soeur d’un homme figurant dans le dossier lui a envoyé de l’argent depuis le Maroc. La solidarité au sein des familles s’est donc maintenue. C’est haram de trahir son propre fils, oncle ou cousine. Même chose pour le cercle d’amis. Qui a protégé Salah Abdeslam ? Surtout des membres de sa famille et des amis.

Qu’attendez-vous de la commission d’enquête qui étudie les attentats du 22/3 ?

Cette commission a désigné Willy Bruggeman comme expert. J’ai des réserves, car il est président du Conseil fédéral de police, l’organe qui évalue la police, et il est en excellents termes avec la commissaire générale Catherine De Bolle. Comment peut-il faire preuve d’indépendance ?

Le véritable travail ne commencera que quand la commission aura présenté son rapport final. Ma recommandation ? Soumettons la coopération policière internationale à un audit. Je sais que le directeur d’Europol a dit que la Belgique est « une des meilleures élèves ». En ce qui concerne le volume d’information échangée, on s’en tire plutôt bien. Mais qu’en est-il du contenu ? Un officier de liaison est-il un assistant-magistrat déguisé, un officier du renseignement ou un agent qui fait un simple travail de police ? Nous devons réfléchir à ces questions.

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