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JFK, les archives secrètes et l’étrange mort d’un diplomate

Muriel Lefevre

Charles Thomas, diplomate américain, s’est suicidé en 1971. Sa famille est persuadée que son acte désespéré est lié à l’assassinat de JFK. Depuis, elle n’a de cesse de faire rouvrir l’enquête.

Charles Thomas était une des étoiles montantes du département d’État au début des années 1960. Ce diplomate de carrière avait vécu et travaillé dans de nombreux pays d’Amérique latine et d’Afrique. Ses collègues en étaient convaincus: il serait un jour ambassadeur. Un jour, la belle ascension vire pourtant au drame. Le 12 avril 1971, Thomas se suicide à l’âge de 48 ans en se tirant une balle dans la tête dans sa salle de bain.

Les raisons qui ont poussé Thomas à commettre un tel acte n’avaient rien d’un mystère. Deux ans plus tôt, on lui avait refusé une promotion et il avait été écarté de son poste de manière aussi brutale qu’inexpliquée. Cette décision met fin à une brillante carrière de 18 ans. Dans les années 1960, le département avait en effet élaboré un vaste programme de « up-or-out ». Le personnel était soit promu, soit mis à la porte.

Le cauchemar de la famille de Charles Thomas prendra un tour encore plus amer lorsqu’elle apprend, quelques mois après le suicide, que Thomas avait été « écarté » par erreur. On avait mal classé, et donc perdu, une partie de ses états de services telle son évaluation brillante lorsqu’il était employé à l’ambassade au Mexique. La famille va recevoir des excuses écrites et officielles, signées par Gerald Ford en personne. L’affaire va faire tant de bruit que cela va pousser le département d’État à réviser son système de promotion. Pour la famille tout cela n’est cependant que de maigres consolations puisque, pour elle, la vérité est ailleurs. Quatre décennies plus tard, la veuve de Thomas, mais aussi d’autres, sont convaincus qu’on leur cache des choses sur les raisons réelles qui ont poussé Thomas à se suicider. Ils sont en effet persuadés que le mauvais classement des dossiers personnels de Thomas était intentionnel et que cela n’a jamais été cela la véritable raison de son licenciement. Ils sont intimement convaincus qu’on a mis fin à la carrière de Thomas parce que certains hauts fonctionnaires étaient déterminés à freiner ses velléités à faire rouvrir une enquête sur le meurtre de JFK.

Des documents, rendus publics il y a peu, montrent que lors d’une affectation au Mexique au milieu des années 1960, Thomas avait trouvé des preuves indiquant que Lee Harvey Oswald – qui s’était rendu à Mexico en septembre 1963, plusieurs semaines avant de tuer Kennedy – avait été en contact avec des diplomates cubains qui auraient pu l’encourager, voire l’aider.

Dans ces notes internes, Thomas déclare encore que de telles informations en provenance du Mexique pourraient plomber la théorie officielle qui voulait qu’Oswald ait agi seul. Dans un mémo, Thomas a averti que l’information mexicaine « menaçait de rouvrir le débat sur la véritable nature de l’assassinat de Kennedy et porter atteinte à la crédibilité du rapport Warren ».

Des documents précédemment déclassifiés faisant référence à Thomas montrent également que l’on a, à plusieurs reprises, refusé ses demandes de rouvrir une enquête sur le voyage d’Oswald au Mexique. Dans une note écrite en 1969, lors de ses derniers jours au département, Thomas plaide encore une dernière fois pour qu’on envoie quelqu’un au Mexique. Bien qu’il n’accusait pas Fidel Castro d’avoir joué un rôle personnel dans un complot visant à tuer Kennedy, il souhaitait qu’on approfondisse la question de savoir si la Commission Warren avait bien eu toutes les preuves autour d’une éventuelle conspiration qui lierait Oswald aux Cubains castristes. Enfin, toujours dans une de ces notes, Thomas décrivait une histoire qu’il avait entendue en 1965 d’une amie – Elena Garro de Paz, un éminent écrivain mexicain dont le mari, Octavio Paz, a plus tard remporté le prix Nobel de littérature. Garro a déclaré avoir rencontré Oswald lors d’une soirée à Mexico à l’automne 1963, à laquelle assistaient des diplomates cubains et des gauchistes mexicains qui soutenaient la révolution de Castro. Selon Garro, les gens de la fête avaient ouvertement exprimé leur espoir que Kennedy serait tué. « Étant donné que j’étais l’officier de l’ambassade qui a acquis cette information de renseignement, » écrit Thomas, « je me sens responsable de son évaluation finale. »

Pour les historiens, le voyage d’Oswald au Mexique n’a jamais été expliqué de manière convaincante. Les archives disponibles montrent que la CIA et le FBI en savaient beaucoup plus que ce qu’ils avaient bien voulu révéler devant la Commission Warren. Les agences semblent avoir dissimulé des preuves de peur qu’on les accuse d’avoir caché des renseignements qui auraient pu sauver la vie de Kennedy. Les dossiers précédemment déclassifiés montrent que les agents de la CIA au Mexique ont surveillé de près Oswald alors qu’il cherchait apparemment un visa pour se rendre à La Havane. Les dossiers montrent aussi qu’il a visité les ambassades cubaine et soviétique et qu’il a peut-être eu une brève liaison avec une Mexicaine qui travaillait au consulat cubain. La dissimulation de ces « faits bénins », selon le rapport, visait à garder la Commission concentrée sur « ce que l’Agence croyait à l’époque être la »meilleure vérité »- que Lee Harvey Oswald, pour des motifs encore indéterminés, avait agi seul en tuant John Kennedy « .

La complexe déclassification des archives

Suite au tollé qu’a provoqué la sortie du film JFK, d’Oliver Stone, qui faisait la part belle aux théories conspirationnistes, le Congrès adopte en 1992 le JFK Assassination Records Collection Act. Cette loi rendait accessibles tous les documents liés à l’assassinat. En conséquence, des millions de pages vont être déclassifiées dans les années 1990. Plusieurs milliers d’autres documents, qui ne l’avaient pas été à l’époque pour des questions de sécurité nationale, auraient dû être publiés en octobre dernier pour le 25e anniversaire de l’adoption de la loi. Trump va cependant retarder cette publication de six mois en invoquant des problèmes de sécurité soulevés par la CIA et le FBI. La nouvelle date butoir devrait être le 26 avril. Mais du côté de la Maison-Blanche, c’est le silence radio. Trump avait pourtant fait de la publication de ses archives un sujet de campagne. La famille de Charles Thomas profite donc de cette nouvelle échéance pour se rappeler à son bon souvenir.

L’un des premiers lanceurs d’alerte du 20ème siècle

On ne sait le nombre exact de documents liés à l’assassinat puisqu’il n’en existe aucun inventaire public. Un groupe de recherche, la Fondation Mary Ferrell, estime qu’il y aurait près de 21 890 documents qui restent encore classifiés en totalité ou en partie. Parmi ceux-ci, ils auraient de nombreux documents qui proviennent de la station de la CIA à Mexico. Pour la famille de Thomas, ainsi que pour de nombreux historiens spécialisés dans l’affaire JFK, cela suggère que ces documents peuvent se référer à la surveillance d’Oswald et de ses contacts au Mexique. Beaucoup des documents encore classés proviennent en effet du poste que la CIA avait au Mexique lors de la visite d’Oswald. Ce qui suggère qu’ils pourraient renforcer les soupçons de Thomas sur ce qui s’est passé là-bas. Pour la plus jeune fille de Thomas, Zelda Thomas-Curti, son père est « l’un des plus importants et méconnus lanceurs d’alerte du 20ème siècle ». Un « véritable héros » pour qui elle se doit de rétablir la vérité. Et pour qui Trump doit tenir sa promesse d’ouvrir toutes les archives dans les plus brefs délais.

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