Le PS selon Moureaux Dilemme et schizophrénie

Au surlendemain de l’accord budgétaire, Philippe Moureaux s’exprimait devant 400 étudiants à Louvain-la-Neuve. Un rendez-vous riche et tendu, au cours duquel il a analysé le rôle actuel du PS, essentiellement défensif à ses yeux.

Retour aux sources pour l’ancienne terreur des auditoires. Ce lundi 28 novembre, Philippe Moureaux reprend le chemin de l’université, après avoir enseigné pendant plus de trente ans à l’ULB. Sauf que, cette fois, c’est l’institution d’en face qui l’invite. Et ce n’est pas le prof d’histoire émérite qui vient parader à Louvain-la-Neuve, parmi les  » calotins « . Plutôt l’ancien vice-Premier ministre, le bourgmestre de Molenbeek, le sénateur, cet homme qui, à 72 ans, reste l’une des fines gâchettes du Parti socialiste. A l’invitation de Philippe Van Parijs, responsable de la Chaire Hoover d’éthique économique et sociale, il a accepté le principe d’une  » confrontation  » (le terme est signé Moureaux lui-même) avec les étudiants de 3e baccalauréat en gestion, en sciences politiques et en sociologie.

14 heures. Dans un auditoire Montesquieu plein comme un £uf, plus de 400 jeunes patientent bruyamment. Jusqu’à ce que débarque Philippe Moureaux, veste en cuir brune sur les épaules et costume gris clair. Trois étudiants présentent l’invité du jour. Leur exposé dure cinq minutes. Le professeur Moureaux y décèle trois erreurs. Busés ! Quant à l’allusion à son récent mariage, il n’a pas apprécié.  » Je suis un peu étonné de cette incursion dans ma vie privée. Bien sûr, ça fait partie d’une nouvelle mode…  » Il précise aussi son origine sociale :  » Je suis né dans une famille bourgeoise imprégnée de libéralisme intellectuel, comme ça existait à l’époque. Pas le libéralisme des boutiquiers d’aujourd’hui. « 

Sans tarder, il entre dans le vif, l’£uvre de sa vie : la lutte des classes. Le terme sonne désuet, mais qu’importe.  » Même au Parti socialiste, on n’aime pas que je parle de lutte des classes… Pourtant, c’est une réalité très profonde, permanente. Voyez les discussions sur le budget. On a dit que c’était un débat gauche-droite. En réalité, c’était un débat de classes. Les socialistes ont parfois honte de le dire, mais ils défendent les catégories les moins aisées. Et les libéraux défendent les catégories les plus aisées. « 

Limiter les dégâts

En vieux renard des campus, Philippe Moureaux tient son micro d’une main distraite, marche avec nonchalance, puis s’adosse au tableau et toise l’auditoire. Loin d’annoncer  » le bel avenir du socialisme « , comme son collègue Paul Magnette, il dépeint  » un monde assez sinistre, où le capitalisme va sans doute aller à son paroxysme « . Il confesse, en tant que membre du PS, vivre  » un dilemme « .  » Au niveau de la pensée pure, je suis comme les Indignés, je trouve que le monde est injuste. Qu’est-ce que je fais ? Je suis défensif. J’essaye de limiter les dégâts pour les classes populaires, de faire en sorte que les riches payent un peu. Trop peu, mais un peu. C’est le trou noir de la gauche, ça. On en arrive à des compromis comme celui conclu ces jours-ci, que je vais sans doute devoir défendre, parce que c’est la seule manière de survivre dans ce monde. Je suis un peu schizophrène, je le reconnais. « 

Une position peu confortable

La position de Philippe Moureaux face aux étudiants louvanistes ressemble à celle du PS face à l’opinion publique : peu confortable. A droite, on le trouve trop à gauche. A gauche, on le trouve trop à droite. Cela ne l’empêche pas d’entrevoir les prémices d’une révolte mondiale.  » Vous allez voir, la crise va continuer. Les Indignés, ce sont quelques milliers de personnes, sans grande structure, sans substrat idéologique, mais avec parmi eux cette pincée d’anarchistes qui a souvent annoncé les grands mouvements.  » Il plaide pour un grand compromis entre travailleurs et capitalistes, comme au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Sans quoi, il prédit d’imprévisibles turbulences.  » Certains super riches se déclarent prêts à contribuer à l’effort budgétaire des Etats. Ceux-là ont compris que sinon, un jour, ils pendront au réverbère. Peut-être pas eux, mais leurs enfants. « 

Le débat glisse sur l’immigration. Sujet sensible, sur lequel l’auditoire semble loin d’être acquis aux thèses de l’orateur. Un étudiant qui l’interroge sur les quartiers ghettos de Molenbeek se fait rembarrer.  » Vous ne connaissez sans doute pas ma commune… « , cingle Moureaux.  » Vous êtes partisan d’une multiculturalité sans limites « , renchérit un autre étudiant, aussitôt applaudi par un bon tiers de la salle.

Une nouvelle question fuse : pourquoi tant de nouveaux Belges s’intègrent si mal ? Moureaux y voit  » un relent de racisme « . Philippe Van Parijs invite l’étudiant à repréciser sa question.  » Je suis d’accord que des gens qui vivent en Belgique aient le droit de vote. Mais j’ai un problème avec les gens qui ne se sentent pas belges.  » La contre-attaque jaillit à la seconde.  » Des gens ! M’enfin ! Ce sont des êtres humains comme vous !  » Philippe Moureaux hurle presque.  » L’Europe, sans un apport de personnes d’origine étrangère, est un continent mort.  » Puis l’homme se radoucit, nuance :  » Je ne souhaite pas les frontières ouvertes. Cela aboutirait à des situations invivables. On ne peut pas accepter tout le monde. Je suis pour une certaine régulation de l’immigration et, dans les périodes difficiles, pour une certaine limitation. « 

Il est 16 heures, time’s up. Un brouhaha s’élève. Moureaux en place une dernière.  » On a voulu la globalisation du fric, vous aurez la globalisation des populations !  » Au même moment, à Bruxelles, les négociateurs parachèvent l’accord sur le volet asile et immigration.

FRANÇOIS BRABANT

 » Vous allez voir, la crise va continuer « 

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