Histoire d’un journal de famille

Le parcours de la famille Doepgen, à la tête de l’un des quotidiens les plus lus dans les cantons de l’Est, illustre le malaise généré par la recherche d’identité des germanophones.

Fondé à Saint-Vith en 1866 par Joseph Doepgen, le Wochenblatt fur den Kreis Malmedy est un quotidien destiné aux habitants du sud des cantons de l’Est, alors rattachés au Royaume de Prusse. Dans cette région très rurale, au niveau d’éducation faible, le journal est principa-lement destiné aux fermiers. Il met aussi clairement en avant l’identité culturelle germanique de ses lecteurs : il publie ainsi régulièrement des articles explicatifs sur les fêtes et les traditions en usage dans les cantons.

A la mort de Joseph, en 1905, son fils Hermann reprend la direction du journal, qui devient le Malmedy St Vither Volkszeitung. Tiré à un millier d’exemplaires, c’est le quotidien le plus lu de la région. Après la censure imposée à l’issue de la Première Guerre mondiale, les rotatives Doepgen se remettent doucement à tourner à partir de 1920. Les cantons de l’Est sont alors sous administration provisoire de la Belgique. Le journal reste un vecteur de l’identité germanique mais il constitue également une sorte de guide expliquant aux germanophones comment  » survivre  » en Belgique.

En 1933, avec la prise de pouvoir de Hitler en Allemagne, le Volkszeitung, désormais dirigé par Hermann Doepgen fils, exprime des opinions de plus en plus politiques. Il ne cache pas son enthousiasme pour le nouveau chancelier allemand, qui incarne, aux yeux des habitants de la région, l’espoir de regagner une identité propre, mise à mal depuis longtemps.

La perte de nationalité, sanction sans fin

Après l’invasion de la Belgique par les troupes allemandes, le 10 mai 1940, l’imprimerie Doepgen est réquisitionnée. Le Volkszeitung devient un journal de propagande. Brisé par la guerre, Hermann racontera à l’une de ses petites-filles, Riccarda, qu’il n’a pas eu le choix :  » Si tu as une mitraillette dans le dos et que tu dois choisir entre imprimer et mourir, tu imprimes…  » S’ensuit une période difficile pour les Doepgen. Hermann est emprisonné tandis que son fils Heinz est enrôlé de force par l’armée allemande. Les 25 et 26 décembre 1944, les Américains bombardent par erreur Saint-Vith, détruisant l’imprimerie familiale.

A l’issue de la guerre, une féroce répression s’abat sur les habitants des cantons de l’Est, soupçonnés de collaboration. Comme tous les germanophones enrôlés de force par les Allemands, Heinz Doepgen perd sa nationalité belge après la réintégration des cantons de l’Est au sein de la Belgique. Deux de ses enfants, nés après 1947 et considérés comme enfants de collaborateur, tombent sous le coup de la même sanction. Heinz décède en 1957, neuf ans avant la loi de 1966 qui lui aurait permis de retrouver la nationalité belge. Depuis lors, il reste officiellement considéré comme sans nationalité, vu son passé : aucune loi ne permet en effet de modifier le statut d’un défunt.

Les Doepgen remettent pourtant leur entreprise sur les rails. Le journal est réimprimé à partir de 1955, sous le nom de St Vither VolksZeitung. Malgré sa neutralité clairement affichée, il sera toujours considéré comme pro-allemand. Dix ans plus tard, le journal sera absorbé par le quotidien Grenz-Echo. L’imprimerie n’en restera pas moins l’une des plus importantes de la région jusqu’à sa faillite, en 1980.

Margret Doepgen-Beretz, qui a aujourd’hui 87 ans, attend encore un dédommagement de guerre pour le bombardement de l’imprimerie familiale en 1944. Le statut de son époux, Heinz, l’en a toujours privé.

S. M.

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