Le mythe  » seventies « 

Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

 » Chapelle Sixtine des années 1970 « , bible de l’image rock parue en 1973, Rock Dreams, de Guy Peellaert, est enfin réédité et s’invite dans une galerie parisienne

Rock Dreams, par Guy Peellaert, Taschen. Exposition jusqu’au 5 janvier, à la galerie Valérie Cueto, 10-12, rue des Coutures-Saint-Gervais, 75003 Paris. Téléphone : +33 1 42 71 91 89.

Dylan, lunettes noires anonymes, engoncé dans une fourrure, à l’arrière d’une voiture qui traverse un New York encré. Janis Joplin, peut-être déjà morte, seule sur le lit d’une chambre vide. Elvis en costume de jeune marié, irradiant sur fond de Las Vegas nocturne. Il y a trente ans, Rock Dreams revisitait une histoire du rock déjà riche de destins brisés et de romances amères. Guy Peellaert, né en 1934, héritier d’une famille belge nantie, réinterprète alors les Stones, Zappa ou Hendrix à sa manière : iconoclaste, féroce, décalée, sexuelle, intime, drôle. En travaillant à l’aérographe, il recompose des scènes de fiction comme autant de collages spatio-sensuels. Il adore le noir, et le soufre aussi : notamment avec les Stones, que Rock Dreams conjugue à plusieurs sauces. La plus épicée : Jagger & C° en nazis de salon, entourés de (très) jeunes filles.

Le succès du livre est d’emblée énorme – 400 000 exemplaires vendus rien qu’aux Etats-Unis – et il lance la carrière internationale de Peellaert qui, dans la foulée, réalise deux pochettes de disques importantes. Celle d’ It’s Only Rock’n’Roll pour les Stones et, surtout, la peinture d’un Bowie mi-chien, mi-homme, vitrine décadente du sublime Diamond Dogs. Rencontré dans son atelier parisien, Peellaert n’est pas du genre à mythifier ou embellir le passé. Il nous avait déjà raconté sa tournée allemande avec les Stones :  » Et les filles qu’on croisait au petit matin sur la route, virées des chambres.  » Ou la voisine londonienne de Bowie, une certaine Amanda Lear, le branchant sur Peellaert :  » Bowie m’a entraîné dans un studio où il y avait des chiens et m’a demandé de le mettre en scène.  » A peine reconnaît-il que,  » depuis dix ans, Taschen voulait rééditer le livre, et des tas de jeunes me parlaient de ce Rock Dreams, devenu introuvable « .

Au départ, Peellaert avait imaginé tourner des petits films sur des gens qu’il affectionnait particulièrement, comme Johnny Cash ou Jerry Lee Lewis. Devant l’impossibilité de les réaliser, le désir d’images s’est métamorphosé en peintures, puis en livre.  » Par après, on m’a demandé de faire la suite de Rock Dreams, mais ce n’était plus pour moi.  » Peellaert s’est désinteressé du rock comme machine à fantasmes. Les pochettes de disques ne l’attirent plus guère, même s’il ferait volontiers une exception pour Arno. Installé à Paris depuis 1966, Peellaert nourrit un rapport complexe avec la Belgique :  » Dans mon enfance, c’était un pays où certains endroits évoquaient le Midwest américain. Ostende, où je passais mes vacances, était très anglaise aussi. Je suis récemment retourné à Anvers où régnait une lumière extraordinaire, une lumière de peinture.  »

Artiste exigeant, Peellaert vient de juger la qualité de la réédition de Rock Dreams en deçà de ses exigences : il vient de faire saisir les exemplaires imprimés par Taschen en France. La situation du livre est floue puisqu’il serait bel et bien sorti dans d’autres pays, comme la Belgique où on peut théoriquement le commander en librairie. Reste que les tirages de l’exposition actuelle à Paris – mis à la vente – sont remarquables. Ils ont été obtenus par scannage des images du livre original et correction de celles-ci sur ordinateur. Les fichiers ainsi parfaitement  » peellaertisés  » ont été tirés sur une imprimante à laser qui donne au papier un grain et une richesse chromatique magnifiques. D’une étonnante profondeur mi-photo, mi-peinture. Avant de voir, qui sait ?, un jour cette expo en Belgique, Peellaert fera peut-être son retour dans l’actualité d’une autre manière. Pravda, son personnage BD, créée en 1968 sur le modèle (physique) de Françoise Hardy, est le sujet d’intenses discussions euro-japonaises pour la réalisation d’un film d’animation. Peut-être même un long-métrage. Peellaert n’écoute plus vraiment de rock, mais son comportement l’est visiblement toujours.

Philippe Cornet

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