L’art contemporain épate la galerie

L’art contemporain fait sa rentrée lors des trois journées des Brussels Art Days, ces 11,12 et 13 septembre. Avec 30 galeries au menu et une programmation qui se veut pointue et avant tout, internationale.

Pilotées par un comité de sélection où se retrouvent les ténors façon Hufkens, Janssen et autres Levy Delval, les Brussels Art Days (1) innovent cette année en proposant, outre le parcours  » galeries « , la visite et parfois la découverte de lieux non marchands où s’exposent et se débattent les grandes questions de l’art d’aujourd’hui. On trouve des institutions ayant pignon sur rue, les unes bien ancrées dans le paysage bruxellois comme le Wiels ou Bozar, les autres plus modestes comme La Loge ou Les Etablissements d’en face. A cette liste s’ajoutent cette année des adresses plus marginales comme les ateliers Claus, Sic, le Bureau des Réalités, certains réunissant des collectifs d’artistes, d’autres plus orientés vers la pratique, l’un de la broderie, l’autre de la fabrication des décors.

Cependant, l’opération est avant tout commerciale. La plupart des marchands, comme déjà noté l’année dernière, se concentrent dans deux zones privilégiées. La première se situe entre la chaussée de Charleroi et l’avenue Louise avec la présence de deux grosses pointures françaises (Valérie Bach, dont la partie muséale, La Patinoire, a été inaugurée en avril dernier, et Daniel Templon) auxquelles s’ajoutent alors les anciens habitants du coin comme Aeroplastics Contemporary et Rodolphe Janssen. La seconde préfère le haut de l’avenue Louise et l’axe de la rue de l’Abbaye où se retrouvent une dizaine d’espaces au look très soigné. Cela étant, il faut aussi rappeler, entre le Palais de Justice et le Sablon, le regroupement de cinq marchands dans le vaste bâtiment du 67, rue de la Régence et aux alentours immédiats, deux galeries qui comptent : Jablonka Maruani Mercier et l’américaine Gladstone.

Le parcours proposé offre des caractères très divers. L’héritage des années 1970 et au-delà, l’ombre omniprésente de Marcel Duchamp gardent les faveurs de la plupart. Or, depuis cette époque, bien de l’eau a coulé sous les ponts des théories et autres discours. Et de même, la réalité planétaire. Comment, dans ces écarts de richesses de plus en plus flagrants, l’artiste, devenu souvent un homme d’affaires redoutable, prépare-t-il sa stratégie ? Comment se situe-t-il dans la réalité du présent ? L’approche distanciée continue à flatter les intellectuels. L’art-spectacle fait toujours recette avec sa monumentalité et ses deux thèmes privilégiés, la mort et le sexe. Autre académisme : le politiquement correct. Par exemple, la question de l’immigration, des diasporas ou encore d’autres misères, de préférence lointaines.

Enfin, certains plasticiens préfèrent approfondir les interrogations concernant le langage (des médias, des propagandes), l’espace ou le temps en s’appuyant sur les écrits de savants de tous bords ou alors s’inspirant de textes de fiction. Dans ce cadre, le retour aux figures héroïques de la contemporanéité comme Christian Jaccard chez Valérie Bach ou Dan Graham chez Micheline Szwajcer demeure un bon plan. Mais entre ces lignes de front existent d’autres perspectives avec, en prime, la revalorisation des métiers, qu’ils soient le fait de l’artiste lui-même ou d’artisans employés par les créatifs.

Zoom sur Wang Du et José María Sicilia

Wang Du a 33 ans en 1989 et compte parmi tous les jeunes qui se massent sur la place Tienanmen, à Pékin, pour réclamer la liberté. Cela fait un bout de temps qu’il n’est plus aux études mais… au service de la propagande du régime. En effet, pendant six ans, il travaille comme créateur d’affiches dans une entreprise minière. Il connaît donc bien les rouages de l’image persuasive avec ses obliques dynamiques, ses raccourcis, ses horizons bas et ses codes de lisibilité. Il sait aussi ce qu’il risque face aux chars de l’armée. Filmé, convoqué, il écopera de neuf mois de prison après lesquels il choisit l’exil. Ce sera Paris où il arrive en 1990. Là, ce sont d’autres formes de propagande qu’il découvre à travers les photographies de presse des grands médias du sensationnel. Il y retrouve des procédures très voisines qu’il va s’employer alors à démonter par le biais de l’ironie, voire du rire. Comment ? En traduisant en 3D les figures que les prises de vue (par la contre-plongée par exemple) ont déformées. Dans un autre registre, il va pointer aussi l’omnipuissance de la presse écrite dont le destin se résume souvent à une… boulette de papier qui, sous ses doigts, devient une sculpture monumentale. Cette fois, il s’amuse à ironiser sur les rapports entre les objets de consommation déifiés et, soit les slogans qui en décrivent les qualités, soit l’utilisateur. Ici, cette femme mise à nu… avalée peu à peu par son aspirateur. A ses côtés dans la galerie, un éléphant écrasant une voiture ou encore de grands dessins hyperréalistes de chaussures à talon aiguille (2).

José María Sicilia quitte Madrid pour Paris à l’âge de 26 ans. Cela ne fait que deux ans que l’Espagne a retrouvé la démocratie après toutes les années noires du franquisme. La jeunesse a soif d’expression et le pays l’urgence de faire connaître au monde son dynamisme créatif. Pourtant, ce n’est pas la lignée des expressionismes (de Tàpies à Barcelo) que va rejoindre le jeune Sicilia mais l’univers des cloîtres romans et avec lui, celui des textes des grands mystiques. A la fois lumineuses mais inaccessibles, sensuelles mais presque immatérielles, les oeuvres qui le font d’abord connaître chantent la beauté de grandes fleurs rouges dont la présence est voilée par une couche de cire. Depuis quelque temps, l’artiste, qui est aussi fasciné par la culture arabe et particulièrement par les images de l’Eden inscrites dans l’art des tapis, traduit dans l’espace de ses oeuvres, des chants d’oiseaux. Insaisissables à leur tour, parfois couvertes par du papier de soie, parfois inscrites en nacre sur des feuilles d’or, ces signes et tracés, éparpillés ici, concentrés ailleurs, lumineux souvent, lavés parfois, invitent à une autre forme de contemplation (3).

(1) Brussels Art Days, les vendredi 11 (de 12 à 20 heures), samedi 12 et dimanche 13 (de 12 à 18 heures) septembre. www.brusselsartdays.com

(2) Chez Albert Baronian, 2, rue Isidore Verheyden à 1050 Bruxelles. Jusqu’au 24 octobre. www.albertbaronian.com

(3) Chez Meessen De Clercq, 2a, rue de l’Abbaye à 1000 Bruxelles. Jusqu’au 31 octobre. www.meessendeclercq.com

Par Guy Gilsoul

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