Van Cau ne désarme pas

Inquiété durant plus de dix ans dans d’innombrables dossiers judiciaires, Jean-Claude Van Cauwenberghe s’est reforgé une crédibilité dans l’antichambre du pouvoir carolo. Dans l’ombre de Paul Magnette, il se profile aujourd’hui comme un  » grand sage  » discret du PS local. Mais très écouté en coulisses.

Il a gardé le sens de la formule, railleuse ou complice, mais les soubresauts acerbes se font plus rares dans les propos de Jean-Claude Van Cauwenberghe. De l’autoritaire bourgmestre d’antan à Charleroi, il reste une mystérieuse aura que l’homme se plaît à raviver lorsqu’il apparaît, comme souvent, dans les nombreux événements de la ville ou du militantisme socialiste. Jadis mêlé à des procédures judiciaires tourmentées, souvent désavoué par ses pairs, il aurait pu disparaître des écrans radars comme tant d’autres l’ont fait. Mais Van Cau a survécu. Il y a quelques années, lorsque le poids des  » affaires  » engendrait une vive méfiance à son égard, seules les anecdotes savoureuses de cette mémoire vivante de Charleroi justifiaient encore le choix de s’asseoir à ses côtés. Aidé par les errements de l’appareil judiciaire, le temps a, peu à peu, emporté les suspicions. Mieux : pour nombre de militants, le personnage est même devenu le  » grand sage  » à qui il est toujours bon de se référer. Une étiquette que personne n’aurait osé lui coller pendant près de dix ans.

C’était le 30 septembre 2005. Charleroi subit alors le grand traumatisme des fraudes à la Carolorégienne, impliquant entre autres plusieurs élus actifs dans les structures de la société de logement. Jean-Claude Van Cauwenberghe n’y figure pas. Mais, pressentant une longue tempête médiatique et judiciaire, le socialiste démissionne de son poste de ministre-président wallon.  » Je ne peux supporter qu’une campagne de mises en cause personnelles injustes nuisent à mon parti, à ma ville, à ma région « , confie-t-il à l’époque. S’il devance ainsi bel et bien la tempête médiatique et judiciaire qui se profile, il n’a toutefois pas encore idée de son ampleur, ni de sa durée. L’instruction autour de la Carolorégienne initiera un improbable jeu de dominos mal assortis, dont la citation du nom  » Van Cau  » constituera souvent l’unique constante.

Van Cau,  » frêle esquif  » dans une mer judiciaire

En mars 2014, Jean-Claude Van Cauwenberghe est encore inquiété dans cinq dossiers (lire page 32). Le parquet général de Liège doit solliciter un feu vert du parlement wallon pour quatre d’entre eux, puisque les faits reprochés remontent à l’époque où l’intéressé était ministre-président. Mais Van Cau dispose d’une botte secrète. En complément de la défense juridique dont se chargent ses avocats, il transmet un document de 150 pages aux députés de la Commission des poursuites. L’ex-souverain de Charleroi y dévoile, chapitre après chapitre, les innombrables épisodes constituant, selon lui, autant d’errements dans les enquêtes qui le visent.  » Je n’ai pas estimé devoir rester passif, frêle esquif secoué par une mer judiciaire agitée sous le souffle du vent obsessionnel « , écrit la plume truculente de l’avocat qu’il est resté dans l’âme.

Dès le début des affaires, Van Cau avait en fait minutieusement tout rassemblé et couché sur papier : des textes de jurisprudence, des souvenirs, des impressions autour des coupures de presse dans lesquelles il était pointé du doigt.  » Je me devais de restituer un climat mêlant les turpitudes des procédures aux techniques d’enquête presque fascisantes « , se justifie-t-il aujourd’hui. L’impact de ce récit-fleuve dans la réflexion de la Commission des poursuites restera une énigme. Quelques jours plus tard, au terme de débats plutôt vifs entre ses membres, elle livre une décision finale plutôt favorable à Van Cau : sur les quatre dossiers présentés, un seul pourra faire l’objet de poursuites. Il s’agit de l’affaire Arcade, du nom de la société gérée par un proche – décédé depuis lors – à qui son cabinet avait acquis du mobilier.

Le 24 avril dernier, la cour d’appel de Liège a finalement acquitté Jean-Claude Van Cauwenberghe dans ce dossier. Il ne reste désormais qu’un seul accroc judiciaire dans son parcours, pour lequel la justice l’épingle en tant qu’ancien conseiller communal de Charleroi : celui des repas scolaires gérés par Sodexo, dans lequel il aurait fait pression pour effacer l’ardoise en échange de deux repas gastronomiques.  » Je suis tout à fait confiant, commente-t-il. Ce dossier sera la cerise sur le gâteau du ridicule judiciaire.  »

C’est dans ce contexte marqué par une irréversible érosion des suspicions que Van Cau retrouve, à 71 ans, sa place dans l’échiquier politique carolo. Une place dans l’ombre de Paul Magnette, certes, mais taillée sur mesure pour l’éloquence empreinte de bon sens qu’il a toujours affectionnée.  » Il est devenu à la fois le poil à gratter et le garde-fou de Magnette, résume le CDH Antoine Tanzilli. Cette posture semble lui conférer une certaine respectabilité.  » L’intéressé lui-même évoque une  » réhabilitation  » plutôt récente dans le terreau socialiste et dans les diverses sections locales qui animent le parti.  » Je vois les votes qui me concernent passer du rejet à l’approbation « , analyse-t-il. En atteste son grand retour, depuis le début de l’année, dans les réunions préparatoires du groupe PS précédant le conseil communal (lire également page 26).

La légitimité par le vide

Au-delà de la  » présomption de culpabilité  » dont il a réussi à se départir en suffisance suite aux affaires, trois éléments expliquent ce regain d’intérêt et de crédibilité. Le premier est lié à la posture qu’adopte aujourd’hui Jean-Claude Van Cauwenberghe dans les structures du parti. Finie l’époque de 2008 où le dinosaure socialiste ruait dans les brancards en éditant la revue Rebelle, dont le nom résumait bien le discours oppositionnel teinté de références nostalgiques à la glorieuse époque Van Cau.  » Les militants me savent gré d’avoir opté pour un discours constructif « , assure aujourd’hui l’intéressé.  » Il est positif dans ses démarches, confirme Hicham Imane (PS), conseiller communal à Charleroi et président de la société de logements La Sambrienne. Il a compris que ce n’était pas dans l’intérêt de sa ville de partir en guerre contre Paul Magnette.  »

Le deuxième élément repose sur l’équilibre nécessaire des débats face à l’hégémonie de Paul Magnette. Or, sur ce point, l’absence de personnalités capables de rivaliser tant en charisme qu’en éloquence confère à Van Cau, au même titre qu’à Jacques Van Gompel, le respect des militants.  » Quand ces deux-là prennent la parole, tout le monde se tait « , souligne Jean-Marie Vander Putten, président du Parc des Sports et de la section locale PS de Charleroi. C’est la légitimité recouvrée par le vide dans le casting de la nouvelle génération.  » Van Cau s’est rendu compte qu’il a manqué à Magnette un rôle plus fédérateur au niveau de la base socialiste, ce que personne d’autre n’oserait critiquer aussi ouvertement « , ajoute un second président de section.

Le troisième élément illustrant la réhabilitation de Van Cau est davantage symbolique. Après avoir marqué la vie politique de Charleroi durant plus de trente ans, l’homme a pu fédérer d’innombrables fidèles de la vieille garde qui le sont d’autant plus à son égard depuis l’extinction des affaires.  » Van Cau dispose encore d’un réseau de personnes à qui il a mis le pied à l’étrier. Que ce soit à la Ville, dans les intercommunales ou au PS, où certaines sections attardées continuent de l’idolâtrer « , ricane un élu local.  » Il était le big boss et les redevables sont encore nombreux, ajoute Luc Parmentier, chef de file de l’opposition Ecolo. C’est le fameux ascenseur socialiste.  » Dans la rue, les apartés sur les gloires et mérites de l’époque Van Cau semblent encore assez courants.  » Je sais toutefois que cette idéalisation par opposition de ma personne ne constitue pas, par son ampleur, le reflet de la réalité « , glisse ce dernier.

Une influence limitée

Si le temps a permis à Jean-Claude Van Cauwenberghe d’endosser, pour certains, le costume du  » grand sage « , son nom restera pour beaucoup associé à la page des affaires que Charleroi est en train de tourner.  » Tout le monde sait qu’il a fait des trucs inimaginables, accuse un conseiller communal. Mais qui pourrait aujourd’hui lui reprocher quelque chose preuves à l’appui, vu ce qu’il reste des enquêtes ?  » Au regard de ce passé trouble dans lequel subsisteront des zones d’ombre, une figure socialiste résume l’influence limitée que peut exercer Van Cau sous l’ère Magnette.  » Il ne peut intervenir ni en amont ni en aval des dossiers. Il se plaint d’ailleurs souvent d’apprendre certaines décisions par les médias. Van Cau est bien là, il est écouté. Mais il ne faudrait pas qu’il en fasse de trop.  »

Retranché dans le cadre paisible de son salon, entre la peinture, les lectures et les sculptures de coqs wallons, l’homme semble accepter ce devoir de réserve qu’il aurait jadis détesté. C’est le prix à payer pour préserver la sérénité salvatrice qu’il a retrouvée.

Par Christophe Leroy

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