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Qui a vraiment assassiné l’opposant russe Nemtsov ?

Le Vif

À la veille du premier anniversaire de l’assassinat retentissant de l’opposant russe Boris Nemtsov, le mystère reste entier autour des commanditaires. Ces derniers restent introuvables alors que rode l’ombre de Kadyrov, le « dirigeant corrompu et sans pitié » de la Tchétchénie.

« Deux fois par mois, la municipalité vient ici pour tout détruire et nettoyer », regrette Mikhaïl Lachkevitch, membre du RPR-Parnas, co-dirigé par celui qui avait été vice-Premier ministre de 1997 à 1998.

« C’est important que le mémorial soit préservé, que les gens et les autorités sachent que nous n’avons pas oublié et que nous n’oublierons pas », lance ce physicien de 50 ans à quelques jours de l’hommage que l’opposition libérale va rendre à Nemtsov en marchant samedi dans le centre de Moscou un an jour pour jour après sa mort le 27 février 2014, au pied des murailles du Kremlin.

Mais au-delà du devoir de mémoire, ses anciens partisans et amis mènent une autre bataille: celle de la vérité pour découvrir l’identité du ou des commanditaires de ce meurtre, qui a suscité une onde de choc et de consternation à travers le monde.

Qualifiant l’assassinat de « provocation » délibérée, Vladimir Poutine a placé l’enquête sous son autorité directe. Très rapidement, cinq suspects — tous Tchétchènes originaires de l’instable Caucase russe — ont été arrêtés et inculpés du meurtre.

Un sixième suspect, Tchétchène également, a péri en déclenchant une grenade lorsque les forces de l’ordre ont tenté de l’arrêter. Un autre, présenté en décembre par les autorités russes comme le commanditaire du meurtre, a pris le large.

Les cinq suspects arrêtés, parmi lesquels Zaour Dadaïev, ancien policier tchétchène et tireur présumé, attendent désormais leur procès. Les enquêteurs estiment que le crime a été soigneusement planifié pendant plusieurs mois et que les exécutants ont touché l’équivalent de 180.000 euros.

L’ombre de Kadyrov

Alors que le Comité d’enquête, institution chargée des principales enquêtes criminelles en Russie, a annoncé en janvier que l’enquête était « close », la famille et les proches de l’opposant jugent que les autorités n’ont pas réussi à identifier les véritables cerveaux de l’assassinat.

Pour les trouver, affirment-ils, il faut chercher du côté du président tchétchène Ramzan Kadyrov, voire à l’intérieur du Kremlin. Les suspects n’ont d’ailleurs eu de cesse de clamer leur innocence, assurant avoir avoué sous la torture.

Ancien avocat de Boris Nemtsov et désormais celui de sa fille aînée Janna, Vadim Prokhorov parcourt actuellement les 65 volumes de preuves rassemblées par les enquêteurs: il dit être convaincu que la plupart des hommes arrêtés sont bel et bien impliqués dans le meurtre. Mais il est aussi persuadé que des proches de Ramzan Kadyrov sont les réels commanditaires d’un assassinat destiné à le faire taire.

« Dire que le meurtre a été résolu, c’est un mensonge clair. Ceux qui l’ont ordonné et ceux qui l’ont organisé n’ont été ni identifiés, ni arrêtés », martèle-t-il auprès de l’AFP.

Jusqu’à présent, seul un obscur responsable tchétchène, Rouslan Moukhoudinov, a été présenté comme commanditaire par les autorités russes. Mais il reste introuvable.

Les enquêteurs ont également tenté sans succès d’inculper son patron, Rouslan Gueremeïev, un responsable du ministère tchétchène de l’Intérieur et proche du bras droit de Ramzan Kadyrov, affirme M. Prokhorov. Pour forcer la police à interroger le président tchétchène, l’avocat a même lancé une pétition. En vain. Et l’homme fort de la Tchétchénie a rejeté toutes les accusations, vantant même le « patriotisme » du tireur présumé, Zaour Dadaïev.

Kadyrov, « menace pour la Russie »

Placé à la tête de la Tchétchénie par Vladimir Poutine à seulement 30 ans, Ramzan Kadyrov maintient depuis 2007 l’ordre d’une main de fer dans cette ancienne région rebelle.

Qui a vraiment assassiné l'opposant russe Nemtsov ?
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L’opposition russe a dépeint dans un rapport rendu public ce mardi le président de la Tchétchénie Ramzan Kadyrov comme un dirigeant corrompu et sans pitié qui a de facto transformé cette instable république russe du Caucase en un pays indépendant et constitue « une menace pour la Russie ». Intitulé « Menace pour la sécurité nationale » et rédigé par l’une des figures de l’opposition russe, Ilia Iachine, ce rapport suggère que Ramzan Kadyrov a été tacitement autorisé par le président russe Vladimir Poutine à faire de la Tchétchénie son terrain de jeu et une zone hors de contrôle des autorités centrales. « Nous sommes confrontés à un régime corrompu, dangereux, qui constitue une menace pour la Russie et la Tchétchénie », a affirmé Ilia Iachine pendant une conférence de presse interrompue par la police à la suite d’une alerte à la bombe. « Le régime actuel en Tchétchénie, vous pouvez le décrire comme étant le règne personnel » de Ramzan Kadyrov, a poursuivi cet opposant âgé de 32 ans, dirigeant du mouvement Solidarnost, qui explique avoir rédigé ce rapport à partir de sources en accès libre. Ilia Iachine estime ainsi que le président tchétchène dispose d’une armée de 30.000 hommes, officiellement placés sous le contrôle du ministère russe de l’Intérieur mais lui étant entièrement dévoués, ce qui en fait une véritable milice privée. Cet opposant estime que la politique de Vladimir Poutine, qui a donné carte blanche à Ramzan Kadyrov en échange d’une « pacification » de sa république, risque de se retourner contre le Kremlin. « Poutine a placé une bombe à retardement en Tchétchénie qui pourrait mener à une troisième guerre tchétchène ou à une autre crise », a déclaré Ilia Iachine au cours de sa conférence de presse. Ramzan Kadyrov a lui-même reproduit ce rapport sur internet, se moquant d’une publication qui « ne contient rien de plus que du blabla ».

Menaces sur l’opposition

Malgré une influence politique limitée, Boris Nemtsov était une voie forte, critique du Kremlin, relayée par les rares médias russes indépendants et par la presse étrangère. Et peu avant sa mort, l’opposant enquêtait sur le déploiement secret de troupes russes dans l’Est de l’Ukraine.

« Je suis convaincu que ce meurtre a été commis pour mettre fin à ses activités de chef de l’opposition », affirme à l’AFP Olga Chorina, l’ancienne assistante de M. Nemtsov.

Peu après la mort de Nemtsov, sa fille Janna avait accusé les médias publics russes d’entretenir un climat de haine à l’égard de l’opposition. Un an plus tard, les opposants libéraux se sentent plus que jamais en danger.

Ramzan Kadyrov a récemment diffusé sur les réseaux sociaux des photos mettant en joue virtuellement l’allié de M. Nemtsov et ancien Premier ministre, Mikhaïl Kassianov, et menacé de s’occuper personnellement des ennemis de Vladimir Poutine.

Mi-janvier, il avait ainsi proposé d’interner en hôpital psychiatrique les responsables de l’opposition libérale et des médias indépendants, puis avait diffusé une vidéo dans laquelle il mettait virtuellement en joue le dirigeant du parti d’opposition libéral Parnas, Mikhaïl Kassianov.

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