Les cirques, avec ou sans animaux ?

Euphorie pour les défenseurs des bêtes, qui réclamaient cette mesure depuis… près d’un siècle : le 26 juillet dernier, un arrêté royal interdisait l’exploitation des mammifères sauvages dans les cirques. Fauves, singes, ours, hippopotames et éléphants renvoyés d’un coup, et ad vitam, au vestiaire ! Veeweyde, Gaia, Animaux en péril, l’Anspa et la Ligue royale belge pour la protection des oiseaux exultent, même si certains espéraient davantage û une législation qui vide le cirque de tous ses pensionnaires sauvages, reptiles, oiseaux et mammifères marins inclus. Mais personne ne boude son plaisir, et l’on sabre le champagne.  » Je n’hésite pas à affirmer qu’il faudrait accorder à Rudy Demotte un prix Nobel de l’humanité « , s’emballe Brigitte Bardot, depuis Saint-Tropez. L’enthousiasme de la star pour notre ministre fédéral de la Santé (en charge du bien-être animal) sera de courte durée. Sous sa tente rayée rouge et blanc, Alexandre Bouglione fulmine : Demotte lui ôte le pain de la bouche.  » Il nous laisse les chevaux, les chiens, les chats et… les moutons ! Mais que croit-il qu’on puisse tirer d’un animal dont le cerveau ne pèse que 80 grammes ? Si je pouvais le bouffer ( NDLR : le ministre), je le ferais !…  » Sa parade est juridique, et parfaitement légale : le gestionnaire de cirque ainsi que l’ASBL European Circus Festival décident d’introduire un recours en extrême urgence. Le 3 août, le Conseil d’Etat suspend l’exécution de l’arrêté royal. C’est la douche froide pour les opposants des pistes enchantées…

Et un retour à la case départ pour Rudy Demotte (PS), qui revoit sa copie… mais pas les associations de protection animale, pourtant désireuses d’être entendues. En revanche, le 8 septembre, l’excellence rencontre les représentants d’une dizaine de cirques belges, dont Bouglione, qui corrige à l’occasion son jugement :  » Un chouette type, en fin de compte, ce ministre. J’aimerais qu’il devienne mon ami…  » Mais peut-être l’issue de la discorde influence-t-elle toujours l’appréciation qu’on a de l’adversaire. Le même jour, plutôt que de poursuivre leur bras de fer, les autorités fédérales et les professionnels du cirque parviennent à conclure un accord unanime qui, en gros, tire d’affaire le cirque traditionnel. La négociation s’est révélée serrée. Chaque directeur veut y sauver la peau des espèces qu’il dompte. Finalement, ce sera l’adieu aux girafes, aux rhinocéros, aux hippopotames, aux singes, aux reptiles et aux requins. Passent aussi à la trappe les animaux destinés  » uniquement au regard du public  » (ceux qui, exposés derrière des barreaux, ne  » travaillent  » pas), ainsi que les ongulés (dromadaires, chameaux, lamas et… kangourous !). Gaia en avale sa chique de travers :  » Le kangourou est classé parmi les ongulés alors qu’il s’agit d’un marsupial ! Le ministre se rend ridicule ! Et il interdit les lamas, alors que les cirques en possèdent des formes domestiquées qui posent beaucoup moins de problèmes « … Sous-entendu : que les tigres, les panthères, les pumas, les ours et les éléphants, qui restent, eux, parfaitement autorisés !  » C’est, tonne Gaia, comme si on bannissait la détention des chiens en permettant celle de loups dans des cages scandaleusement minuscules !  »

L’accord (à traduire encore en arrêté royal) exige pourtant que l’espace consacré aux animaux soit considérablement élargi. Le fauve aura droit désormais à une cage de 12 mètres carrés, l’éléphant disposera de 35 mètres carrés. Cela reste exigu, comparé aux territoires naturels des espèces (que la plupart des pensionnaires de cirque, nés en captivité, n’ont jamais connus). Ces normes, qui se calquent sur celles imposées aux zoos, ne manqueront pas de contrarier les chapiteaux sans grands moyens financiers. En outre, toutes les bêtes détenues devront être identifiées par une puce électronique : une anesthésie risquée chez les vieux fauves. Ultime disposition : pour épargner aux animaux le stress de voyages incessants, le nombre de déplacements autorisés est limité à vingt-quatre par an. Les cirques les plus mobiles vont devoir raboter leurs tournées.

Valérie Colin

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire