Le sort de Stéphane Moreau : un enjeu politique capital avant les prochaines élections. © DANNY GYS/REPORTERS

Qui veut exfiltrer Moreau des coulisses du pouvoir liégeois ?

Les grandes manoeuvres s’intensifient chez Nethys et à la Région wallonne. Au programme : privatiser partiellement Voo, remplir les caisses liégeoises et préparer la sortie honorable de Stéphane Moreau. Enquête sur les tractations en cours.

Stéphane Moreau l’annonçait le 14 décembre 2018 au conseil d’administration d’Enodia :  » Le groupe envisage de migrer d’un état de société industrielle évoluant en mode concurrentiel vers une holding détenant des participations stratégiques en mode minoritaire.  » Quoi ? Devenir minoritaire quand on a juré ses grands dieux qu’on ne vendrait jamais les bijoux de famille, que  » l’initiative industrielle publique est l’ADN du PS liégeois  » ? Ce jour-là, rue Louvrex, bastion historique de l’Association liégeoise de l’électricité (1923), devenue progressivement Publifin, puis Enodia, le patron de Nethys lit et commente une note d’orientation stratégique basée sur une étude McKinsey, dont le directeur associé, Jacques Bughin, assiste à la séance. Moreau invoque des  » contraintes législatives à caractère disruptif « . Comprenez : les décrets wallons résultant de la commission d’enquête parlementaire sur le scandale Publifin.

Nethys doit changer de modèle économique pour assouvir ses énormes besoins en financement.

Ainsi donc, le 31 mai prochain, le distributeur de gaz et d’électricité Resa sera redevenu une simple intercommunale. Ses dividendes remontent déjà intégralement vers la Province de Liège et les communes associées. Fatalement, Nethys doit changer de modèle économique pour assouvir ses énormes besoins en financement. D’où le choix de s’ouvrir au privé, une consolidation stratégique, comme Elio Di Rupo (PS) l’avait fait en son temps chez Belgacom (lorsqu’il était ministre de tutelle). La surprise ne vient pas de là. La surprise, c’est que les opérateurs publics liégeois acceptent de devenir minoritaires.

Jacques Bughin, directeur associé chez McKinsey.
Jacques Bughin, directeur associé chez McKinsey.© DIETER TELEMANS/ID PHOTO AGENCY

Se débarrasser de l’odieux « décret gouvernance ». La première raison qui vient à l’esprit est qu’en devenant minoritaires, les filiales de Nethys cesseront d’être soumises à la tutelle de la Région wallonne. Plus de  » décret gouvernance « , plus de plafonnement des salaires à 266 000 euros brut, fin de l’application du droit des marchés publics, etc. Ce n’est un secret pour personne : Nethys n’a jamais accepté le décret sanctionnant ses errements passés. Ses filiales Integrale (assurances) et Socofe (énergie) ont d’ailleurs introduit un recours en annulation devant la Cour constitutionnelle. Une insolence calculée : profitant d’une lacune du décret, les responsables de Nethys n’ont pas déclaré à la tutelle les  » fonctions dirigeantes locales  » (FDL) réellement exercées en 2017. Certains managers, comme Jos Donvil, patron du pôle télécoms (Voo, L’Avenir, etc.), ont un statut d’indépendants. Le décret ne connaît que des salariés ou des statutaires. On a donc renseigné des numéros 2, 3 ou 4 à leur place. La ministre des pouvoirs locaux, Valérie De Bue (MR), a passé l’éponge.

L’adaptation du  » versement mensuel  » aux managers de Nethys fait toujours l’objet de supputations. Il n’y a pas eu d’avenant aux contrats, dont celui éminemment sensible de Stéphane Moreau, qui avait déclaré 800 000 euros brut à la commission Publifin.  » En droit belge, fait remarquer un observateur, on ne peut pas changer un salaire sans avenant au contrat d’emploi.  » L’administrateur MR d’Enodia et député wallon Fabian Culot n’y voit pas malice.  » Les intéressés ont accepté par écrit une réduction de leur rémunération et ce document signé a été montré confidentiellement à l’ancienne présidente de Publifin, Stéphanie De Simone. Qu’est-ce qu’un accord signé si ce n’est un contrat ?  » Cet arrangement ne dissipe pas le soupçon d’avantages cachés (par exemple, via le back service de l’assurance-groupe) ou que des arriérés de salaire puissent être récupérés en cas de privatisation. Un soupçon balayé par Fabian Culot :  » Je n’ai aucun signe que l’assurance de Stéphane Moreau ait été gonflée. Le décret gouvernance balise d’ailleurs ce type d’assurance et son respect n’est pas négociable « , assure-t-il. La question n’est pas anodine. Le salaire jugé mirobolant de Stéphane Moreau a été l’un des ingrédients du scandale Publifin.

La mise en demeure du 20 novembre dernier adressée aux administrateurs de Publifin par Valérie De Bue (MR), ministre des Pouvoirs locaux, est tombée à l'eau.
La mise en demeure du 20 novembre dernier adressée aux administrateurs de Publifin par Valérie De Bue (MR), ministre des Pouvoirs locaux, est tombée à l’eau.© BERT VAN DEN BROUCKE/PHOTO NEWS

Comment la nécessité d’exfiltrer Stéphane Moreau conduit à accélérer la privatisation de Voo.  » Les partis politiques traditionnels craignent de s’effondrer aux prochaines élections, décode un acteur très averti de la vie liégeoise. Ils veulent se débarrasser de Stéphane Moreau, mais celui-ci veut partir avec un traitement équivalent à ce qu’il a aujourd’hui.  » L’intéressé aurait fait passer le message qu’il renonçait à son parachute doré s’il pouvait partir avec élégance. On a avancé le chiffre de dix millions d’euros en cas de licenciement non négocié. Reprenons : les trois partis traditionnels, le PS, le MR et même le CDH, qui a rappelé tous ses hommes encore présents dans la galaxie Publifin, ont intérêt à se présenter clean devant les électeurs.

Selon L’Echo du 12 janvier dernier, le ministre-président wallon, Willy Borsus (MR), s’est impliqué personnellement dans la manoeuvre. Il a accompagné Stéphane Moreau (ex-PS) à la rencontre d' » une série d’acteurs susceptibles d’être intéressés par une prise de participation majoritaire dans les activités concurrentielles détenues par Nethys « , dont John Porter (Telenet). Le pôle  » assurances  » de Nethys (Integrale, Alliance Bokiau) était cité. Willy Borsus confirme au Vif/L’Express que d’autres sociétés sont concernées : Elicio (éolien en mer du Nord), le pôle presse du sud de la France et Win (technologies de l’information et de la communication).  » Il faut que le dossier avance, précise-t-il, que ce soit dans quatre, cinq ou six mois, mais cela relève de la décision du groupe. J’ai participé à la réflexion sur l’avenir de l’emploi et l’ancrage d’une activité très importante pour le développement territorial de la région liégeoise et de la Wallonie. Les ministres MR des Pouvoirs locaux et de l’Economie, Valérie de Bue et Jean-Luc Crucke, restent en première ligne du dossier. Le sentiment que je serais en train de négocier la reprise du groupe est donc faux.  »

Stéphane Moreau ne fait pas partie du deal avec le repreneur, assure le ministre-président de la Région wallonne.

Le MR l’a répété sur tous les tons : ce n’est qu’après avoir défini le périmètre de Nethys (ce qu’on garde, ce qu’on revend) qu’il pourra être question du management.  » Stéphane Moreau ne fait pas partie du deal avec le repreneur, assure le ministre-président de la Région wallonne. J’ai dit qu’il fallait agir méthodiquement : législation, mise en oeuvre, scission de Resa, privatisation avec ancrage public minoritaire… Le sort de Stéphane Moreau est l’ultime question.  » Le son de cloche est un peu différent chez Alda Greoli (CDH), vice-présidente du gouvernement wallon.  » Plus vite Stéphane Moreau quittera Nethys et plus vite tout le monde pourra se concentrer sur les enjeux réels, déclare-t-elle au Vif/L’Express. Peu importe la formule, ce qui compte, c’est de maintenir l’emploi et l’activité à Liège.  »

L’intérêt liégeois et wallon : ces éléments de langage figurent dans le communiqué du 22 janvier dernier où Enodia et Nethys annoncent officiellement leur intention de  » faire évoluer les activités du groupe Enodia, de telle manière à ne plus détenir de participations majoritaires dans les secteurs concurrentiels identifiés par les deux CA en parfaite concertation, le tout en sauvegardant l’intérêt du personnel et des actionnaires publics « . Le texte, pesé au trébuchet, relève que la ministre des Pouvoirs locaux a  » invité  » à son cabinet une délégation d’Enodia et de Nethys pour  » confirmer ces prises de décision « .

La bonne gouvernance prend eau de toutes parts. Qu’en conclure ? Que la mise en demeure du 20 novembre dernier adressée aux administrateurs de Publifin (future Enodia) par Valérie De Bue est tombée à l’eau, de même que la deadline du 15 décembre martelée par Willy Borsus. Le communiqué précédemment cité effleure à peine le sujet :  » Ont été en particulier abordées la mise en place d’un management intérimaire propre à Enodia d’une part et la redéfinition du périmètre d’action du groupe d’autre part.  » Pas un mot sur le troisième point de la mise en demeure portant sur les  » indépendants  » de Nethys.

Willy Borsus. Le ministre-président wallon l'affirme :
Willy Borsus. Le ministre-président wallon l’affirme :  » Le sort de Stéphane Moreau est l’ultime question. « © ERIC LALMAND/BELGAIMAGE

En réalité, les progrès en matière de gouvernance sont minces. Le gouvernement wallon exigeait que l’intercommunale se dote d’un management propre pour éviter de dépendre de Nethys , dont le comité de direction concentre tous les pouvoirs face à son propre conseil d’administration. Carine Hougardy (PS), omniprésente dans la galaxie liégeoise (Ecetia, Ogeo Fund, Editions de l’Avenir, Publifin, NEB, NRB, etc.), a été nommée directrice générale d’Enodia faisant fonction en remplacement de Bénédicte Bayer. Cette dernière a pris un congé sans solde pour intégrer à temps plein le comité de direction de Nethys. La seule nouveauté – et elle a paralysé l’institution pendant un certain temps – est l’arrivée du libéral Bertrand Demonceau, directeur général d’Ecetia, comme directeur général adjoint faisant fonction d’Enodia. Sang bleu ou sang rouge, la même consanguinité. L’avocat de Publifin-Nethys, Jean Bourtembourg, relevait, le 14 décembre dernier, que la convention Enodia-Ecetia ne paraissait pas  » pouvoir être conclue en méconnaissant les procédures de marchés publics « . Avocat lui-même, l’administrateur Fabian Culot a cependant défendu cette formule qui permet de  » rencontrer les attentes de l’autorité de tutelle quant au management propre sans procéder à un long processus d’appel à candidatures, non requis en l’espèce, et qui est de la plus haute importance pour contrôler la valorisation des sociétés qui vont être privatisées « .  » Le moment de vérité « , ajoute-t-il.

Pierre Meyers, président du CA de Nethys, avait démenti au printemps dernier la rumeur selon laquelle Voo était à vendre.
Pierre Meyers, président du CA de Nethys, avait démenti au printemps dernier la rumeur selon laquelle Voo était à vendre.© OLIVIER POLET/REPORTERS

Ecoeurement au parlement de Wallonie. A Namur, des députés de toutes sortes, PS, MR et CDH compris, ruminent leurs frustrations. On est bien loin de l’esprit de la commission Publifin dont le rapport avait été adopté à l’unanimité. La décision d’Enodia de transformer Nethys en holding à participations minoritaires est interprétée comme une nouvelle entourloupe.  » Newco 1 et Newco 2 ont été créées en mai dernier, juste avant l’entrée en vigueur du « décret gouvernance », grâce à un retard inédit de cinquante jours avant la publication de celui-ci au Moniteur  » , relève le député Stéphane Hazée. Newco 1 est destiné à regrouper les participations de Nethys dans les activités en concurrence, Newco 2 préfigurant la future Voo SA. Le 15 janvier dernier, le député Ecolo a exprimé son désenchantement au parlement de Wallonie :  » Quand Finanpart sera supprimé, Nethys deviendra Finanpart et les nouvelles structures sont déjà prévues pour remplacer Nethys avec plusieurs étages, pour les éloigner ou les  » protéger  » des associés communaux. Tout change pour que rien ne change.  » Sa motion a été rejetée. Ecolo a déploré  » le refus du MR et du CDH d’activer les pouvoirs de tutelle et d’envoyer un commissaire spécial « .

Flash-back : quand la rumeur courait d’une sortie en solo de Stéphane Moreau. Au printemps 2018, Le Soir s’est fait l’écho de démarches de Stéphane Moreau en vue de se trouver des partenaires financiers pour racheter Voo. Selon nos informations, McKinsey aurait également calculé la valorisation d’Elicio et de Win. Ce projet de management buy out a échoué, à cause de la méfiance des investisseurs pressentis et du holà qu’y ont mis les hommes forts du PS et du MR liégeois, Jean-Claude Marcourt et Daniel Bacquelaine. Fait plutôt inhabituel, le patron de Telenet, John Porter, avait alors déclaré publiquement qu’il était prêt à mettre entre 1 et 1,3 milliard d’euros sur la table pour acquérir Voo. Orange Belgique avait aussi manifesté son intérêt.

À Namur, des députés de toutes sortes, PS, MR et CDH compris, ruminent leurs frustrations.

Le 15 janvier dernier, la ministre Valérie De Bue s’est retranchée derrière Pierre Meyers, président du CA de Nethys, pour  » démentir  » cette information :  » Le président du conseil d’administration de Nethys, M. Meyers, que j’ai rencontré, surpris par une telle information, m’a certifié qu’elle est non fondée et, en tout état de cause, impossible sans l’accord des actionnaires.  » Fabian Culot (Enodia) ajoute qu’il a posé la même question à Stéphane Moreau , qui lui a répondu  » que c’était un pur fantasme, inenvisageable « .

Les candidats au rachat de leur propre entreprise sont forcément exposés au soupçon du conflit d’intérêts. Obtiennent-ils un bon prix et on dira qu’ils ont floué leur actionnaire. Inversement, ne rendent-ils pas un service inestimable à la collectivité en relançant une activité menacée ? Le Vif/L’Express a interrogé l’avocat liégeois Roman Aydogdu, spécialiste du droit des sociétés et des entreprises en difficulté et professeur à la faculté de droit de l’université de Liège :  » Le code des sociétés, comme le code de la démocratie locale et de la décentralisation d’ailleurs, prévoit une réglementation des conflits d’intérêts pour les administrateurs ou membres du comité de direction qui pourrait être utilement complétée. On peut considérer comme relevant de la bonne gouvernance de prendre des précautions particulières, comme par exemple s’assurer auprès d’un tiers expert de la valeur de biens difficilement évaluables. Il ne s’agit pas d’une règle légale automatique, mais plutôt de pouvoir rendre compte d’une bonne gestion auprès des actionnaires, qui peuvent en principe révoquer les administrateurs, ou d’éviter toute mise en cause de la responsabilité des administrateurs pour faute de gestion.  » D’où l’intérêt de confier l’évaluation du bien à un tiers réellement indépendant, qui ne sera pas tenté de sous-évaluer.

John Porter, patron de Telenet.
John Porter, patron de Telenet.© JONAS LAMPENS/ID PHOTO AGENCY

Au fait, pourquoi devenir minoritaire quand on peut rester majoritaire ? Albert Frère disait :  » Petits actionnaires minoritaires, petits cons ; gros actionnaires minoritaires, gros cons.  » Pourquoi les Liégeois de Publifin ont-ils changé de cap ?  » Notre rapport leur demandait de préciser le périmètre de leurs activités et de se débarrasser de celles éloignées de l’intérêt communal, comme au Congo, en Slovénie ou dans les journaux du sud de la France, s’étonne Stéphane Hazée. Il n’était pas question a priori de leur demander de vendre Voo. A la différence des Editions de l’Avenir et d’autres acquisitions critiquées, le rachat du câble wallon a été approuvé par tous les conseils communaux.  »

Pour Fabian Culot, recapitaliser à hauteur de 49 % n’a jamais été un schéma envisagé par le bureau McKinsey :  » Il faut déjà trouver quelqu’un qui achète une participation à ce point minoritaire, dans un secteur hyperconcurrentiel où les besoins d’investissement sont colossaux !  » L’argument peut être retourné. Pourquoi les forces vives liégeoises acceptent-elles de perdre le contrôle d’un patrimoine constitué par des générations de contribuables liégeois, alors que Telenet et Orange Belgique sont demandeurs d’un partenaire en Wallonie, éventuellement en mode minoritaire ?  » Un pacte d’actionnaires peut prévoir certaines obligations en termes de maintien de l’emploi et des centres de décision à Liège, indique l’administrateur d’Enodia. Je ne rejette pas les règles wallonnes, je les ai votées. On a aussi accepté l’idée que les pouvoirs publics n’étaient pas un opérateur comme un autre et qu’une société privée ne pouvait pas être gérée comme une administration.  »

D’un point de vue technique, le pacte d’actionnaire pourrait-il entraîner des obligations (plafonnement des salaires, marchés publics…) rappelant l’ancien statut public ?  » Les droits spécifiques qui seraient attachés aux actions publiques, même minoritaires, pourraient conduire à l’application de certaines législations publiques, analyse Me Aydogdu. Ce point devrait être vérifié législation par législation, en fonction des critères d’application de celles-ci.  » Les droits spécifiques pourraient porter sur le pouvoir décisionnel (assurer une représentation au conseil d’administration, conférer un droit de veto sur certaines décisions, etc.) ou sur les droits patrimoniaux (dividendes privilégiés, etc.). Une affaire sérieuse, donc, car  » à la différence de certains pactes d’actionnaires qui peuvent être conclus sous seing privé et, donc, ne pas être publiés, complète Roman Aydogdu, les catégories d’actions doivent être prévues dans les statuts et faire l’objet d’une publication par extrait au Moniteur belge, avec dépôt du dossier de société au greffe du tribunal de l’entreprise, accessible aux tiers intéressés.  »

Fabian Culot, administrateur (MR) d'Enodia (ex-Publifin).
Fabian Culot, administrateur (MR) d’Enodia (ex-Publifin).© BRUNO FAHY/BELGAIMAGE

Les avantages comparés d’une privatisation versus recapitalisation : des centaines de millions d’euros tout de suite. Il existe une alternative à la privatisation : la recapitalisation.  » L’alternative entre une vente ou une augmentation de capital peut être appréciée sous deux angles, pose Roman Aydogdu. En cas de vente, le prix est payé aux actionnaires. En cas d’augmentation de capital, l’argent est injecté dans la société recapitalisée, et n’est donc pas versé aux actionnaires. Les anciens actionnaires ne perçoivent pas de fonds puisque ceux-ci sont injectés dans la société, mais ils peuvent néanmoins en tirer indirectement profit si la recapitalisation intervient à des conditions de souscription supérieures à la valeur réelle des actions (par le biais d’une prime d’émission ou non) ; les anciens actionnaires sont alors rétribués par une augmentation potentielle de la valeur de leurs titres, qui est cependant très différente de l’obtention immédiate d’un prix de vente en argent.  »

Enodia ambitionne d’obtenir pour Liege Airport une licence d’exploitation à durée indéterminée.

En vendant au moins 51 % de Voo, Enodia va toucher plusieurs centaines de millions d’euros et perdre le contrôle, alors qu’avec une augmentation de capital jusqu’à 49 %, il aurait gardé celui-ci.  » Cette option n’a pas été envisagée, confirme Willy Borsus. La question était de céder complètement les actifs ou de céder majoritairement le capital en gardant un ancrage public.  »

La perspective d’une arrivée massive d’argent dans les caisses publiques liégeoises est de nature à faire tourner les têtes. Selon Fabian Culot,  » la décision n’a pas encore été prise, soit de retourner cet argent aux communes, soit de le réinvestir dans des projets structurants pour la région liégeoise, comme le développement de l’aéroport « . On le sait, Enodia ambitionne d’obtenir pour Liege Airport une licence d’exploitation à durée indéterminée (au lieu de 2040 actuellement) et de  » postuler la propriété foncière des terrains  » qui entourent l’aéroport (400 hectares).  » Une privatisation peut avoir des avantages, mais il ne faut pas sous-estimer le sentiment d’appauvrissement de la population, avertit l’économiste Etienne de Callataÿ (Orcadia AM). Ce n’est pas bon pour le moral des gens : ils peuvent se dire qu’on vend leurs bijoux de famille.  »

Déficitaire depuis le rachat du
Déficitaire depuis le rachat du  » câble wallon  » en 2004, l’activité VOO est à la traîne.© BELGAIMAGE

Quand la Commission européenne s’interroge sur l’expansion de Vodafone. Déficitaire depuis le rachat du  » câble wallon  » en 2004, l’activité Voo est à la traîne de l’opérateur flamand Telenet avec qui elle partage des outils comme le réseau mobile, le foot et même d’anciens cadres (Jos Donvil). Néanmoins, elle garde une valeur certaine qui pourrait se voir singulièrement augmentée. Voo et Brutélé (six communes bruxelloises) valent potentiellement 2,5 milliards d’euros (1,65 milliard pour l’une, 0,85 milliard pour l’autre), mais ces deux opérateurs politico-économiques n’ont pas encore procédé à leur fusion. Si celle-ci intervient après la privatisation partielle de Voo, la plus- value espérée n’ira pas majoritairement dans les caisses du public. La valeur après fusion serait supérieure à trois milliards d’euros, voire possiblement plus de quatre milliards d’euros, d’après les chiffres qui circulent.

Au stade suivant, si l’opérateur Telenet décroche une participation majoritaire dans Voo-Brutélé, il deviendra indiscutablement le premier opérateur national : une place qu’il a commencée de conquérir en rachetant Base (Bruxelles) et SFR Belgique (ouest de la Wallonie). Il a déjà déménagé symboliquement ses bureaux de Malines à Bruxelles. Le rapprochement avec Voo pourrait cependant avoir des conséquences néfastes pour Win et NRB (Ethias), deux boîtes wallonnes qui prospèrent dans les services informatiques aux entreprises et collectivités, domaine que couvre également Telenet.

Enfin, au sommet de la pyramide se trouve le géant britannique Vodafone, qui lorgne les filiales du groupe américain Liberty Global dans l’est de l’Europe. Telenet est une filiale de Liberty Global… Le 11 décembre dernier, la Commission européenne a ouvert une enquête sur les projets de fusion de Vodafone.  » Notre enquête approfondie vise à garantir que l’acquisition par Vodafone des activités de télécommunication de Liberty Global en Tchéquie, Allemagne, Hongrie et Roumanie n’entraînera pas de prix plus élevés, moins de choix et moins d’innovation dans les services de télécommunication et de télévision destinés aux consommateurs « , a communiqué Margrethe Vestager, commissaire européenne en charge de la Concurrence. De là à s’imaginer que Vodafone veuille aussi s’emparer de Telenet, il n’y a qu’un pas. A chaque étape de ce Monopoly, par des effets de leviers cumulatifs, il y a une belle partie financière à jouer. Encore faut-il se trouver au bon endroit au bon moment. Voilà pourquoi, nonobstant le nécessaire secret des affaires, le sort d’une entreprise – et d’un homme – tient en suspens celui de beaucoup d’autres.

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