Un séparatiste N-VA au pays des merveilles

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Le président N-VA du parlement flamand, Jan Peumans, a passé une journée à travers la  » Wallonie qui gagne « , invité par son homologue wallon, Patrick Dupriez (Ecolo). Entre deux rigolades, personne n’a osé parler politique. Reportage dans les coulisses d’un échange émaillé de faux-semblants.

C’est une vraie rencontre du troisième type. D’un côté, Jan Peumans, président du parlement flamand, l’un des ténors de la N-VA et séparatiste autoproclamé, piaffant déjà d’impatience dans l’attente d’une septième (et ultime ?) réforme de l’Etat. De l’autre, une invitation signée Patrick Dupriez, aux rênes du parlement wallon, proposant à son  » ami  » limbourgeois de parcourir, le temps d’une journée, une Wallonie positive, gagnante, conquérante. Histoire de tordre le cou aux clichés communautaires. Et de montrer ce que le sud du pays a dans le ventre.

Grand amateur de stages en entreprise et de bons restos, le nationaliste flamand de 62 ans a directement accepté cet appel à descendre au pays des merveilles.  » Comme journée, il y a pire, hein ?  » lance-t-il avec un large sourire quand il débarque à Marcinelle, ce vendredi 8 février.

On est loin du paysage de carte postale. Mais la petite délégation n’est pas là pour parcourir les  » terres bucoliques wallonnes  » auxquelles aspire Jan Peumans. La première visite du jour, dans les bâtiments d’Alstom, vise avant tout à lui prouver que la région de Charleroi ne se résume pas à quelques industries vieillissantes. Hyper-attentif aux exposés, le président du parlement flamand prend des notes, pose des questions aux ingénieurs.  » Tout ça, c’est formidable pour la Wallonie ! réagit-il. D’habitude, quand on évoque Charleroi, c’est toujours pour parler de sidérurgie et de mines.  »

Chez Technofutur, temple de la formation aux métiers de l’industrie, il jette des fleurs à l’ingénieux partenariat de financement public-européen-privé, deux semaines après avoir tiré à boulets rouges sur les transferts nord-sud.  » Ça n’existe pas chez nous mais c’est une bonne idée, j’en parlerai à mon parlement.  »

Au terme de chaque rencontre, Jan Peumans revient avec un petit cadeau maison à l’attention de ses hôtes, dans un sac bariolé de jaune et de noir. C’est un livre sur l’histoire du parlement flamand, traduit en français.

Smile, please

A côté du mandataire N-VA, le sourire protocolaire placardé sur le visage de Patrick Dupriez tient bon. Même lorsque les discussions portent enfin sur l’avenir du pays, au beau milieu d’un diner gastronomique au restaurant étoilé l’Eveil des sens.  » Oui, il y a encore des choses que l’on peut faire ensemble, assure Jan Peumans. Certains enjeux sont transfrontaliers. Mais ils devront être négociés dans le cadre d’une confédération, ça c’est clair.  » La contradiction évidente avec le séparatisme prôné quelques jours plus tôt est rapidement évacuée par le président du parlement wallon.  » Même si nous ne sommes pas d’accord sur ce point, la concertation entre les Régions est d’autant plus importante aujourd’hui.  » Et, quelques verres de vin plus tard, tout ce beau monde reprend gaiement la route vers la Citadelle de Namur. Comme si la raison fondamentale de toute cette journée n’était, tout compte fait, qu’une simple pause récréative dans un contexte tendu.

Cette insouciance bon enfant se prolonge avec le discours de bienvenue en néerlandais de Maxime Prévot, le bourgmestre namurois. Au passage, quelques flatteries à l’attention du nord du pays.  » La Flandre a bien plus vite compris que nous l’importance d’utiliser les leviers de la créativité et de l’attractivité pour son développement économique. Nous devons nous en inspirer.  » L’opération de charme, gonflée de politesses, se solde par la remise d’un autre paquet-cadeau au président du parlement flamand : un livre sur la Citadelle, une brochure, une tablette de chocolat et une Blanche de Namur – Jan Peumans est un grand amateur de bière.

Au terme de la dernière visite dans la  » Wallonie gagnante « , au musée namurois Félicien Rops, l’élu N-VA livre en toute franchise son sentiment sur cette journée. A-t-elle au moins permis de changer un peu sa vision de la Wallonie ?  » Non, ça ne change rien pour moi !  » tranche l’homme de Riemst. Raté.  » Je savais déjà que la Wallonie est une belle terre d’accueil en redressement sur le plan économique. Tout ça, je l’ai déjà dit dans mon parti. Je fais des stages en Wallonie, je mange dans les restaurants en Wallonie et je fais mes courses en Wallonie. Qu’est-ce qu’il vous faut de plus ?  » poursuit-il en riant. A l’entendre, il aurait presque fallu inviter un autre élu N-VA, plus sceptique que lui vis-à-vis du potentiel wallon.

Trois leçons

Cette dernière réplique rassemble les trois leçons communautaires de la journée. Voici la première : Jan Peumans n’était pas en simple visite de courtoisie à travers le pays. Pas une fois il n’a d’ailleurs prononcé le mot  » Belgique « . Le terrain était pourtant propice à quelques apartés informels sur son avenir – si, du moins, elle en a un. En vérité, tous ces sourires et ces compliments mutuels aboutissent sur une conclusion limpide : Jan Peumans était à la croisée des chemins entre la visite diplomatique et touristique… Comme s’il parcourait un autre pays. Son  » amour pour la Wallonie « , qu’il se plaît tant à rappeler, abonde dans le même sens et revêt un caractère aussi romantique qu’exotique.

Deux : au bout du compte, ces visites donnent un argument supplémentaire à la N-VA. Plus besoin, aujourd’hui, de déposer des billets de Monopoly au pied des ascenseurs wallons de Strépy-Thieu pour dénoncer les transferts nord-sud. Cette fois, le parti séparatiste peut se permettre d’opter pour une ligne de conduite bien plus consensuelle : si la Wallonie se porte de mieux en mieux, pourquoi a-t-elle encore tant besoin de la Flandre ?

La dernière leçon est peut-être également la plus amère. Car si la journée a permis aux deux présidents de parlement d’entretenir une connivence souhaitable en vue de relations sereines, elle ne change strictement rien. Il n’y aura aucune suite politique. Entre deux visites, Jan Peumans échange bien des pastilles à la menthe avec Patrick Dupriez, mais il garde pour lui son intime conviction quant à l’avenir du pays. Il cultive le flou entre confédération et pur séparatisme.  » A force d’hésiter ainsi, la Flandre finira par tout perdre « , souligne Patrick Dupriez. Jan Peumans, lui, va aussi inviter prochainement son homologue à passer une journée dans la Flandre qui gagne. Les seules suites concrètes de cette journée ne seront que protocolaires.

Juste avant de reprendre la route vers le Limbourg, le nationaliste flamand partage le rêve secret qu’il aimerait concrétiser dans quelques années : celui de venir vivre en Wallonie, non loin de l’Abbaye de Val-Dieu, lorsqu’il aura pris sa pension. Mais, tandis qu’il admire Un enterrement au pays wallon de Félicien Rops, il n’attend qu’une chose d’ici là : enterrer cette Belgique qui n’a plus aucun sens d’après lui. Et assister, le plus tôt possible, à l’indépendance de la  » Flandre qui gagne « , elle aussi.

CHRISTOPHE LEROY

Jan Peumans était entre la visite diplomatique et touristique… Comme s’il visitait un autre pays

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