Loups et dragons

La littérature chinoise érige aujourd’hui les premiers en modèle social : un révélateur de la crise identitaire face à la compétition économique

De notre correspondant

Après la grippe aviaire, le virus du loup ? Depuis l’an dernier, des dizaines d’ouvrages consacrés à ce canidé envahissent les librairies chinoises et trustent le palmarès des meilleures ventes. Traditionnellement associé à la cruauté et à la voracité, le loup y fait soudain figure de modèle. Avec un message simple : son exemple doit désormais guider les Chinois dans un monde dominé par une logique de compétition économique. Faute de quoi ils seront eux-mêmes dévorés par d’autres loups û américains, japonais, européens ou russes.

Publié en mai 2004, le livre à l’origine de cet engouement est un roman philosophique intitulé Le Totem du loup. Encensé par la plupart de ses lecteurs û en particulier, les grands patrons û il est aussi violemment critiqué par certains intellectuels, qui décèlent dans ses thèses le ferment d’une pensée fasciste, tandis que d’autres estiment qu’il insulte les Han, la principale ethnie chinoise.

L’auteur, Jiang Rong, est un Pékinois, professeur d’économie et d’histoire. A 58 ans, il savoure sa gloire à l’abri d’un pseudonyme.  » Contrairement à Jack London, j’ai vécu avec les loups « , explique-t-il. A la fin des années 1960, en effet, il avait choisi de quitter la capitale pour un exil volontaire en Mongolie-Intérieure. Depuis, il ne cache pas son admiration pour les Mongols, qui ont choisi le loup pour totem. A l’inverse, il attribue le  » malheur  » des Chinois, depuis plus d’un siècle, à leur comportement de moutons.  » Les Han, dit-il, sont trop mous.  » S’ils veulent rivaliser dans le monde actuel et laver les humiliations subies, ils doivent développer un caractère plus animal, plus sauvage.

L’homme se défend pourtant de chercher à promouvoir un nationalisme étroit :  » Je souligne les côtés positifs du loup : l’esprit de corps, l’attachement à la liberté et la force. Ce sont ces traits qui imposeront la démocratie en Chine. C’est parce que nous sommes des moutons que la dictature se maintient.  » Il revendique une filiation intellectuelle avec Kang Youwei (1858-1927) et Lu Xun (1881-1936), deux penseurs qui ont dénoncé, en leur temps, la docilité des Chinois. Une attitude que Jiang Rong explique par la  » dominante agraire de la composition sociale  » de la population et l' » héritage confucéen « .

L’épopée de son livre s’apparente à une quête des origines.  » Les ancêtres de la nation chinoise étaient des nomades, rappelle l’écrivain, qui a choisi pour pseudonyme le nom d’une ancienne tribu considérée comme le précurseur des Han. Ainsi, le totem du dragon û symbole de la nation chinoise û serait un dérivé du totem du loup.  » Une affirmation à laquelle les censeurs du Parti communiste n’ont rien trouvé à redireà

Frédéric Koller

ôC’est parce que nous sommes des moutons que la dictature se maintient »

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