Le Père Noël est une ordure!

Mauvais coup pour le gouvernement: les lampions de Noël seront à peine éteints qu’il lui faudra se lancer dans la chasse aux milliards. Un sport auquel l’attelage arc-en-ciel n’est pas habitué

Décidément, La Fontaine était un visionnaire. Et sa fable de la cigale et la fourmi est plus que jamais d’actualité. Après avoir chanté, durant la première moitié de la législature, qu’il allait pouvoir généreusement redistribuer les fruits de la croissance, le gouvernement de Guy Verhofstadt est à présent contraint de resserer les boulons. Et l’entreprise ne sera pas facile.

Certes, on savait que la fin de la présidence belge de l’Union européenne (et nous y voilà) allait sonner la « vraie » rentrée politique, celle de tous les dangers. Pourquoi? Parce que, durant les six mois durant lesquels la Belgique a assumé cette haute fonction, il n’y en a eu que pour les libéraux. Guy Verhofstadt (Premier ministre belge et, par conséquent, président de l’Union), Louis Michel (ministre des Affaires étrangères) et Didier Reynders (ministre des Finances, également président de l’Ecofin, le conseil des différents ministres européens des Finances) ont caracolé, durant tout ce temps, sous les feux des projecteurs. Bref, pour paraphraser Louis Michel décidément empathique, cette présidence a créé « des conditions objectives de mal-être pour l’aile gauche du gouvernement »…

Et, aujourd’hui, celle-ci rêve d’en découdre. Objectivement, ce ne sont pas les sujets qui manquent. Guy Verhofstadt voulait à tout prix éviter un automne social chaud. Il a été servi: la faillite de la Sabena et le débat autour des entreprises publiques ont redonné un emploi à Elio Di Rupo, le président du PS. Ces deux dossiers lui ont permis de retrouver son terreau idéologique et de se refaire les dents sur le VLD, son meilleur ennemi. Tout en ménageant le PRL – qui, très à-propos, s’est converti au libéralisme social -, avec lequel il compte manifestement encore gouverner demain (c’est-à-dire sous la prochaine législature) en terres francophones. Or les prises de bec Nord-Sud, dans un pays où les partis politiques « nationaux » ont disparu depuis belle lurette de la scène électorale, ça ne mange pas de pain…

Alors, pourquoi les mois à venir s’annoncent-ils si « chauds »? Parce que le ralentissement conjoncturel, accentué depuis le 11 septembre, a bouleversé le paysage et fait baisser le moral des Belges. Or quand la machine économique s’enraye, l’impact sur les finances publiques est immédiat: il se traduit par une baisse des recettes fiscales et une hausse des dépenses. Les additions qui ne tarderont pas à s’empiler sur la table gouvernementale s’annoncent d’ores et déjà plus salées que prévu. En cause: le chômage, bien sûr, mais aussi les soins de santé, la réforme des polices, la réforme Copernic de la Fonction publique, etc..

La déconvenue en matière de recettes semble, aussi, particulièrement importante. D’aucuns l’avaient d’ailleurs prédit: Philippe Defeyt, le secrétaire fédéral d’Ecolo, avait, voici quelques mois, relevé les talents d’illusionniste de Didier Reynders. Il s’était fait, alors, sèchement renvoyer à ses études par le ministre des Finances. Lequel, aujourd’hui, ne peut plus nier le « malaise ». Au terme de cette année, à défaut de corrections fatalement douloureuses, le budget de l’Etat pourrait afficher un déficit de 60 à 80 milliards de francs. La Commission européenne, qui surveille de près les déficits des Etats membres, fera sans doute preuve d’un brin de tolérance, récession oblige. Pas question, cependant, de renouer avec les mauvaises habitudes d’antan: la mise en oeuvre de l’euro impose de la discipline. Et, à la lecture du « Programme de stabilité de la Belgique » approuvé, voici une semaine, par le Conseil des ministres, les lendemains plus lointains pourraient également déchanter: si le gouvernement a basé ses engagements européens en matière budgétaire sur la base d’une perspective – raisonnable – de croissance de 1,3 % en 2002, il imaginait une année 2003 dopée par 3 % de croissance. Un optimisme que beaucoup d’observateurs jugent excessif…

Bref, l’euphorie qui était de mise au lendemain de la confection du budget de l’Etat pour l’an 2000 – il était en équilibre, ce qui ne s’était plus vu depuis un demi-siècle! – aura été de bien courte durée. Renouera-t-on avec l’ambiance tendue des conclaves budgétaires des années 90? « Ça sera bien pire! prédit l’un des experts chargés de préparer les épures budgétaires. Sous l’ère Dehaene, on travaillait avec des équipes soudées. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. » Et pour cause: les six partis autour de la table (les libéraux, les socialistes et les Verts, flamands et francophones) ont, fatalement, des priorités différentes, imprudemment claironnées à l’époque des vaches grasses. Et leurs divergences sont plus difficilement conciliables que celles qui séparaient, hier, les socialistes – et avant-hier les libéraux – des sociaux-chrétiens.

La quadrature du cercle

La correction de la copie budgétaire devra atterrir sur la table des députés au début du printemps – légalement, le budget rectifié doit être voté pour la fin du mois d’avril -: d’ici là, la tension montera assurément encore d’un cran dans les états-majors des partis. Inévitable: où trouver les quelques dizaines de milliards qui manquants, alors que toutes les opérations cosmétiques – blocage des recrutements de la Fonction publique, corsetage des dépenses dans les différents cabinets ministériels, mise au régime des soins de santé, etc. – ont déjà été effectuées et qu’il faudra s’attaquer à l’os? Reviendra-t-on sur la réforme fiscale? L’impact des allégements fiscaux coulés en loi au temps des vaches grasses n’est pas négligeable: ils coûteront plus de 134 milliards de francs (3,3 milliards d’euros) aux caisses de l’Etat d’ici à 2006, quand toutes les mesures seront d’application. Un sacré pactole. Cependant, il serait très impopulaire de revenir en arrière: qui s’y risquerait, à un an (tout au plus) de la prochaine échéance législative? D’autant plus qu’en 2002, au moment où la réforme fiscale fera sentir ses premiers effets, celle-ci ne coûtera « que » 10 milliards de francs (25 millions d’euros), soit exactement le même montant que celui consenti – en promesse – à la revalorisation des allocations sociales les plus modestes, à laquelle les socialistes et les Verts sont particulièrement attachés…

Où faire des économies, alors? Hormis la réforme fiscale proprement dite, un autre « cadeau » fiscal non négligeable a été promis aux contribuables: la suppression de la cotisation complémentaire de crise. Coût: 27 milliards de francs ou 669 millions d’euros. Au début de la législature, le ministre des Finances a clairement fait savoir que la suppression de l’impôt de crise était un préalable à la réforme fiscale: se déjuger aujourd’hui ferait mauvais genre. Pourtant, Didier Reynders a opéré une spectaculaire volte-face sur un autre « préalable » jugé, en son temps, tout aussi essentiel, à savoir la réindexation des barèmes fiscaux. Décidée par le dernier gouvernement Dehaene, cette mesure a été politiquement « récupérée » par l’arc-en-ciel ou, plus exactement, par Reynders lui-même. Mais, maintenant qu’il s’agit de l’appliquer, celui-ci retarde l’échéance. Normalement, cette réindexation des barèmes aurait dû se traduire par un allégement du précompte professionnel (et donc, par un salaire net plus élevé) dès le mois de janvier prochain (coût en 2002: 10 milliards de francs ou 25 millions d’euros). Reynders vient de décider, à son corps défendant et sans faire beaucoup de publicité, d’en reporter la charge (et, par conséquent, l’avantage pour le contribuable) à l’année 2004, au moment où l’Etat procédera aux remboursements des impôts trop perçus sur les revenus de 2002. La bonne vieille tactique qui consiste à alourdir l’ardoise des années futures pour sauver les apparences…

Mais, de toute évidence, cela ne suffira pas. Alors, où? Renoncera-t-on à alimenter le fonds de vieillissement (censé permettre le paiement des pensions futures), pour épargner les 25 milliards de francs qui devraient y être affectés l’année prochaine? « La chose serait inacceptable pour Johan Vande Lanotte (SP.A), le ministre du Budget qui en a été le grand artisan », murmurent ses collègues. Reviendra-t-on sur les réductions des charges sociales patronales, qui coûteront quelque 10 milliards l’année prochaine? Difficile, alors que la conjoncture économique risque d’avoir un impact négatif sur l’emploi et que les réductions promises en 2002 s’intègrent dans un plan pluriannuel d’allégement des charges. Enterrera-t-on la réforme de l’impôt des sociétés qui, aux yeux de Reynders, devait nécessairement suivre celle de l’impôt des personnes physiques? « Les libéraux exigeront certainement qu’elle ait bel et bien lieu, d’autant plus qu’ils l’annoncent budgétairement neutre, dit-on chez les socialistes. Mais, en l’absence de certitude à ce propos, ils peuvent toujours attendre… »

Quoi qu’il en soit, dans la joute budgétaire qui s’annonce, les libéraux partent avec une longueur d’avance: « leur » réforme fiscale semble à l’abri de risques majeurs de détricotage. Et c’est cela, précisément, qui contribue aux crises d’urticaire des autres « familles » politiques. Cela, aussi, qui donne tellement envie d’en découdre à l’aile gauche du gouvernement, au point de faire monter la tension jusqu’à des sommets qualifiés, dans les coulisses, d' »incontrôlables ». Il n’empêche: se lancer, aujourd’hui, dans une campagne électorale serait une aventure hasardeuse et coûteuse. Ne vaut-il pas mieux tenir bon dans l’adversité, pour s’attirer les faveurs des électeurs en des temps que l’on espère meilleurs? Et puis, les Belges n’ont pas la tête aux élections: l’Afghanistan, le Proche-Orient et la situation économique monopolisent davantage l’attention que les bisbrouilles idéologiques sur fond de restrictions budgétaires. Alors, la main sur le coeur, les éminences ministérielles et les présidents des partis de la majorité promettent que l' »on tiendra bon ». Promis, juré?

Isabelle Philippon

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