Un idéologue discret

Arrivé par surprise à la présidence du CNCD, Fouad Lahssaini doit mener à bien la nécessaire réforme de ce pilier de la coopération au développement. Une tâche ardue pour l’ancien député Ecolo, alors que l’opération 11.11.11 s’essouffle

N on, je ne le connais pas du tout.  »  » J’ai dû le rencontrer une fois ou deux, sans plus.  » Dans le milieu associatif, Fouad Lahssaini est un quasi inconnu. C’est pourtant lui qui, le 26 octobre, a pris la succession de Véronique Jamoulle pour diriger le Centre national de coopération au développement (CNCD). Cette plate-forme altermondialiste, qui rassemble près de 100 associations, traverse aujourd’hui une crise identitaire. D’autant que les fonds récoltés par l’opération 11.11.11, son projet phare, stagnent depuis plusieurs années déjà. Pour relancer la machine, le conseil d’administration avait le choix entre deux candidats au poste de président : Fouad Lahassaini, ex-député Ecolo bruxellois, et Denis Lambert, secrétaire général des Magasins du monde-Oxfam. Réputé indépendant, et incontrôlable, ce dernier promettait de  » secouer  » le monde de la coopération. Mais il n’a pas été élu, et la mission échoit donc à son outsider. L’objectif ?  » Remettre le CNCD sur les rails, en faire une boîte au fonctionnement efficace et rigoureux.  »

Né en 1957 à Casablanca (Maroc), Fouad Lahssaini arrive en Belgique à 21 ans. Il s’inscrit à l’ULB, où il entame une licence en sciences économiques, avant de se diriger vers la psychologie. Son diplôme en poche, il est engagé par un centre de formation pour coopérants et cadres d’ONG. Parallèlement, il travaille comme psychothérapeute dans le secteur de l’aide à la jeunesse. Et trouve aussi le temps de dispenser des cours d’histoire et de littérature arabes à des travailleurs immigrés. Car Lahssaini a beau se déclarer internationaliste et laïque, il n’en reste pas moins imprégné de traditions maghrébines et de culture musulmane. Sa voix garde d’ailleurs une pointe d’accent marocain. C’est donc le c£ur déchiré qu’en 1990 il prend la décision de devenir Belge.  » Le dépôt de ma demande de naturalisation fut un jour d’une grande violence. Je me suis dit : maintenant, ils vont savoir à qui ils ont affaire. Je n’ai jamais douté que j’allais exercer des responsabilités.  » Il prend alors contact avec Ecolo, où sa combativité le propulse au conseil communal de Watermael-Boitsfort, puis au Parlement de Bruxelles-Capitale et à celui de la Communauté française.

Devenu député, il privilégie les dossiers communautaires : aide à la jeunesse, enseignement, lutte contre l’exclusion. Ses collègues reconnaissant son opiniâtreté. Et, surtout, louent sa courtoisie. Lorsqu’il s’agit d’envoyer un  » démineur  » pour apaiser les tensions dans un groupe local, on songe immédiatement à lui. Au sein d’Ecolo, Fouad, le gentil, le discret, est pourtant un des plus intransigeants sur les questions idéologiques. Il est proche de la tendance fondamentaliste incarnée par Paul Lannoye et Bernard Wesphael. Vingt-cinq ans plus tôt, quand ces derniers défilaient contre le nucléaire, il militait dans les rangs de la gauche radicale marocaine. Un engagement qui a failli l’emmener au Nicaragua ou en Palestine, comme  » brigadiste international « . Mais son père l’en a empêché, au dernier moment.  » Il a eu raison, car de telles expéditions sont des allers simples. Je ne voudrais pas qu’une de mes deux filles prenne part à une aventure de ce genre.  » Avec le temps, l’adolescent rebelle est devenu un homme soucieux de sa qualité de vie, un père de famille peaceful, comme il dit. Au rayon des modèles, Che Guevara demeure, mais il est désormais flanqué de Gandhi.

 » Malheureusement, Fouad n’a pas été reconnu à sa juste valeur chez Ecolo, où on l’a sacrifié sur l’autel du pragmatisme « , estime Paul Lannoye. L’expérience parlementaire s’est donc achevée après un premier mandat. En raison, sans doute, d’un caractère trop effacé. Pas assez politicien, en somme.  » De temps en temps, il peut toute- fois se montrer tribun, rapporte Zoé Genot, députée fédérale écologiste. Je me souviens d’une manif à la Bourse, juste après l’assassinat du cheikh Yassine par l’armée israélienne. L’atmosphère était électrique, et je ne me sentais pas du tout prête à parler au nom du parti. Alors, dans un mégaphone qui fonctionnait à moitié, il a dit quelques mots simples et percu- tants. J’étais vraiment épatée.  » Le dialogue, c’est le maître atout de Fouad Lahssaini. A la fin des années 1980, quand il coordonnait l’Amos, une association située dans un quartier  » difficile  » de Schaerbeek, il n’a jamais eu peur de parler aux caïds.  » A l’époque, franchement, c’était chaud. Lui, il a eu le courage de venir ici, tout seul, et de rencontrer les jeunes, raconte Saïd El Alami, aujourd’hui salarié de l’Amos. Quand il m’a engagé comme animateur, c’est la première fois que quelqu’un me faisait confiance. Et ça, jamais je ne l’oublierai.  »  » Je reçois souvent des témoignages de reconnaissance, reconnaît Fouad, mi-fier, mi-modeste. Mais je ne pense pas avoir sauvé tout le monde : certains sont en prison, d’autres au cimetière.  » Rue de l’Olivier, en tout cas, on ne l’a pas oublié. Et beaucoup se rappellent avec amusement une de ses lubies : ancien international de rugby, il tenait absolument à convertir les jeunes du quartier à son sport de prédilection. Las, ceux-ci n’ont jamais renoncé à leurs ballons de foot ni à leurs gants de boxe…

Beaucoup d’enthousiasme et un talent certain pour la négociation : des qualités utiles, sinon indis- pensables, à la tête du CNCD. Pour pacifier les inévitables querelles de clans. Pour interpeller le pouvoir politique. Pour négocier avec l’administration le cofinancement de certains projets. Et, surtout, pour apporter un nouveau souffle à l’organisation.  » Le modèle 11.11.11 a vécu. On a peut-être trop exploité un sentiment de culpabilité vis-à-vis du tiers-monde. Nous devrons désormais faire campagne sur des thèmes qui concernent directement les gens d’ici, comme l’eau ou la santé « , prévient-il. Et, déjà, il rêve tout haut d’une nouvelle coordination, plus forte, qui engloberait le CNCD et d’autres mouvements politiques et sociaux.  » En matière de développement, le premier réflexe est de se laisser happer par l’affectif, de se tourner vers le don. C’est oublier un fait essentiel : ces dernières années, le monde est devenu globalement plus riche, alors que le tiers-monde ne cesse de s’appauvrir. Ça me rend fou.  »

François Brabant

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