On les Nikera tous…

DE JEAN SLOOVER

Etranges, ces jeunes issus de l’immigration maghrébine escortant Dyad Abou Jahjah, le président de la Ligue arabe européenne, à sa sortie de prison? Pourquoices ados en casquette Nike, « sportswear » Adidas et baskets Reebok se reconnaissent-ils dans un fin politique dont les idées sont sans doute bien loin des « valeurs » de la société de consommation ? Pourquoi arborent-ils ces grossières effigies d’un « système » auquel les mouvements radicaux se réclamant du Coran, qui ne leur sont probablement pas antipathiques, ont déclaré le « Djihad »? Y a-t-il là un étrange pied de nez? Ou cette démarcation par les marques vestimentaires est-elle le signe que ce qui nourrit leur révolte est leur difficulté à devenir des consommateurs comme les autres?

C’est l’opinion de Vincent Cespedes (1). Les jeunes immigrés, soutient-il, ne s’en prennent pas aux symboles de notre société parce qu’ils veulent la détruire, mais pour exprimer leur rage de ne pas pouvoir en devenir membres à part entière. Tout a été en fait soigneusement désorganisé, dit-il, pour que les choses en arrivent là et que les gamins de ces cités jouent le rôle du méchant. L’auteur dénonce là avec virulence un tourbillon de mesures réglementaires et d’idées reçues qui ont pour effet de s’annuler l’une et l’autre, saignant une à une les figures de l’autorité pour ne laisser, en finale, qu’une action politique velléitaire génératrice de chaos. L’Etat se meurt, écrit Cespedes. Les réformes de l’Education nationale ont transformé les profs des banlieues en gentils organisateurs, les flics en animateurs culturels et les juges en assistants paternalistes protégeant la jeunesse contre elle-même.

La France, dénonce-t-il, n’a pas donné un vrai statut de citoyen aux étrangers naturalisés. Les écoles qui sont réservées à leurs gosses les maintiennent volontairement dans l’ignorance, sauvegardant ainsi les postes clés pour la nouvelle élitearistocratique : combien d’énarques sont-ils passés par une école publique de banlieue? Ce nivelage par le bas relègue une masse de Français « de couleur » à la périphérie de la République où, sans réel pouvoir d’achat ni ombre d’esprit critique, ils sont « hamstérisés » par le matraquage de la pub et le bourrage de crâne des médias qui ont transformé leur devoir d’information en propagande mensongère et en entreprise de lobotomisation collective. I loft you!

On a évoqué ici le témoignage de??? (2) sur les tournantes. Ces viols collectifs ne sont pas nouveaux. Mais, en France, un nombre croissant d’entre eux font désormais la Une de l’actualité, médiatisant la violence endémique des quartiers. Cette médiatisationsert-elle les victimesou a-t-elle une autre fonction? Vincent?? n’a aucune complaisance pour les criminels qui violentent leurs voisines. Les violeurs, écrit-il, sont des bourreaux à l’échelle nationale et doivent être punis malgré les jérémiades de « SOS Racisme ». Mais, à l’échelle internationale, ces criminels sont, avec les malheureuses qu’ils martyrisent, les victimes d’un complot qui entend maintenir un climat d’insécurité afin de mieux asseoir l’hégémonie des multinationales.

Car les autorités politiques, estime-t-il, sous l’influence des grandes firmes, s’arrangent pour réserver le pouvoir de décision au pouvoir de l’argent, rendre débilitante l’école du peuple et monter la brutalité des cités en épingle afin de prouver qu’il n’y a pas de pensée unique néolibérale. Par crainte de vraies résistances, le capitalisme anglo-saxon préfère laisser impunies certaines flambées de haine afin de détourner les regards de son entreprise planétaire de massification mercantile. Ainsi, dans l’armée de réserve, les jacqueries juvéniles ne risqueront pas de devenir révolte adulte. Les violences urbaines comme prolongement des violences économiques et culturelles du libre-échange sauvage? Le bouquin n’est pas toujours convaincant. Néanmoins, l’auteur, prof de philo dans un lycée en zone sensible, l’auteur, sait-il de quoi il parle, contrairement à d’autres …

(1 ) La Cerise sur le béton. Violences urbaines et libéralisme sauvage , Flammarion, 341 pages. Pour un regard belge, voir : Andrea Rea, Jeunes immigrés dans la cité, Labor, 176 pages.

(2) Dans l’enfer des tournantes, Samira Bellil, éditions Denoël. Le Vif/L’Express du 15 novembre 2002.

Certaines violences urbaines médiatisées sont laissées impunies. A qui profite le crime?

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