Les ambiguïtés d’un dandy

Morrissey, icône du rock anglais et sex-symbol universel, est-il en train de disjoncter ? Suite à une récente interview sulfureuse, la presse britannique l’accuse de racisme. Mais le mythe tient bon, jusqu’à présent.

La Grande-Bretagne est devenue un endroit terriblement négatif. Je n’ai rien contre les gens qui viennent d’ailleurs, mais il faut bien constater que plus l’immigration s’intensifie, plus l’identité britannique s’évapore. Si vous voyagez en Suède, vous verrez une identité suédoise. Mais allez en Angleterre, et vous n’aurez plus aucune idée d’où vous êtes ! Quand tu te promènes dans Knightsbridge, tu entends tous les accents possibles et imaginables, sauf l’accent britannique. « 

Morceaux choisis, parmi d’autres propos du même tonneau parus dans l’édition du 1er décembre du New Musical Express,  » the  » magazine musical en Angleterre. L’interview aurait pu passer inaperçue si l’auteur de telles réflexions n’avait été Morrissey, l’auteur de quelques disques qui ont marqué l’histoire du rock. Forcément, le scandale était inévitable. L’encre du NME à peine sèche, il secouait déjà toute l’Angleterre. Alors, raciste ou pas raciste, le Moz, comme tout le monde l’appelle là-bas, dans ce pays où le rock est une religion ? Les journaux de référence, comme The Independent et The Guardian, se sont aussitôt saisis de la question. Recontacté par le NME, l’intéressé a refusé de battre sa coulpe :  » Je ne considère pas mes propos comme incendiaires. Ils décrivent un état de fait, c’est tout. L’Angleterre d’aujourd’hui ne correspond plus à celle du passé, et nous y avons perdu énormément.  » Le chanteur rejette rageusement les accusations de racisme :  » Je trouve le racisme dégoûtant. Presque trop dégoûtant pour en discuter.  »

La résonance considérable qu’ont eue ces déclarations outre-Manche le prouve : Steven Patrick Morrissey (48 ans) reste un des symboles de l’Angleterre, au même titre qu’Elisabeth II, Mick Jagger et David Beckham. Le lascar mène sa barque en solitaire depuis 1988, avec un succès commercial variable. Mais, surtout, il est l’ex-chanteur des Smiths, un groupe dont la carrière éclair, au milieu des années 1980, a laissé des traces essentielles dans les mémoires.  » Je rencontre sans arrêt des jeunes de 18 ou 19 ans pour qui ce groupe constitue la référence ultime, raconte Jean-Daniel Beauvallet, directeur adjoint de l’hebdomadaire français Les Inrockuptibles, qui vit à Londres. Chaque fois que je me rends dans le quartier branché de Shoreditch, il y a toujours une boutique où j’entends une chanson de Morrissey. En Angleterre, c’est un personnage que tout le monde connaît. Son aura s’étend bien au-delà de la sphère musicale. Les tabloïds cherchent à l’abattre depuis longtemps mais, bizarrement, ils n’y sont jamais parvenus.  »

No sex, no drugs

A l’aube de la décennie 1980, pourtant, personne ne mise un kopeck sur ces quatre mecs au look rustique et à l’air un peu ahuri, qui se sont donné un nom affreusement banal : The Smiths. Ils vont pourtant imposer très vite leur verve, leur romantisme, leur arrogance et leur humour. Aux côtés du guitariste Johnny Marr, Morrissey est la figure centrale du groupe. Tranchant avec un milieu rock obnubilé par les démonstrations de force, il joue la carte du tendre, se dandine sur scène, hume les fleurs que lui jettent ses fans, les glisse dans la poche arrière de son jeans. So sexy ! Morrissey ne cache pas sa passion pour Oscar Wilde. Ses propres textes sont des alliages subtils de mélancolie, d’autodérision et de critique sociale. A mille lieues de la grandiloquence alors en vogue, les Smiths jouent un rock lézardé, vulnérable. Avec sa voix de crooner, Morrissey incarne une sorte d’anti-Bono. Alors que le chanteur de U2 se mue en superstar humanitaire, Morrissey devient le chroniqueur féroce d’une Angleterre en perdition, où les solidarités se disloquent.

Ses propos ambigus sur l’immigration ont choqué d’autant plus que lui-même n’est pas d’origine anglaise. Ses parents, des Irlandais modestes, ont immigré à Manchester pour chercher du boulot. Il a grandi à Hulme, l’un des quartiers pauvres de la ville. L’explication de son  » dérapage  » réside-t-elle là ? Dans le nord de l’Angleterre des années 1970, le mépris à l’égard des étrangers était aussi banal que quotidien. Du coup, certains taxent, un peu facilement, Morrissey de  » beauf « , oubliant à quel point les années Thatcher ont pu fragiliser la working class dont il est issu.

Malgré son immense culture, Morrissey ne possède pas l’aisance de ceux qui ont été éduqués avec les  » bonnes manières « . Ayant grandi dans un monde ouvrier peu enclin aux excès de sensiblerie, il a protégé sa singularité en se repliant sur l’essentiel : l’amour de la musique, celle de David Bowie en particulier.  » Je suis incapable d’avoir des amis normaux, d’apprécier des choses ordinaires. Je suis un type bizarre qui n’a pas sa place dans la vie normale « , confiait-il, en 1993, dans une interview aux Inrockuptibles. Morrissey vivait alors en reclus, passant ses journées à lire et à dormir. Il a appris depuis lors à se détendre. Partageant désormais son existence entre Los Angeles et Rome, il jouit de plaisirs simples. Comme se gaver de fruits ou errer en Jaguar décapotable sur la côte ouest des Etats-Unis, sans but, musique à fond. Même à la grande époque des Smiths, Morrissey n’a jamais versé dans les excès auxquels les autres membres du groupe s’adonnaient à c£ur joie. Raisonnable, le Moz. No sex, no drugs. Only rock’n’roll !

François Brabant

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