Tchétchénie Un scrutin à la russe

Le 5 octobre, à l’occasion d’une élection présidentielle jouée d’avance, Vladimir Poutine tente de se débarrasser d’une guerre inextricable

En Tchétchénie, dans ce huis clos de la guerre où les forces russes d’occupation s’adonnent à l’extermination d’un peuple, la  » normalisation  » à la botte du Kremlin entre dans sa dernière phase û le scrutin présidentiel du 5 octobre. Dans cette zone de non-droit où les civils tchétchènes risquent à tout moment d’être tués, raflés, enlevés, torturés, la mise en scène des urnes s’apparente à une sinistre  » farce  » dénoncée comme telle par les défenseurs russes des droits de l’homme.  » Moscou n’est pas intéressé par une résolution du conflit, constate Roman Khalilov, l’un des responsables de la diplomatie au sein du gouvernement d’Aslan Maskhadov û président élu en 1997 de la république caucasienne. C’est une tentative de plus pour dissimuler ce qui se passe réellement en Tchétchénie.  » Les indépendantistes ont été d’emblée exclus de la compétition. A la soviétique, l’issue est scellée d’avance, le vainqueur désigné : l’ex-mufti Akhmad Kadyrov, 52 ans, placé en juin 2000 sur décision de Vladimir Poutine à la tête de l’administration prorusse.

Placardés sur les bus, sur les ruines, aux alentours des marchés, ses portraits dominent la désolation. L’£il rusé sous la toque d’astrakan, ce renégat du camp indépendantiste qui appelait jadis au jihad contre l’occupant a retourné sa veste en 1999. Son impopularité est notoire. Cet été, divers sondages û si tant est qu’un tel exercice soit crédible sous la terreur û le gratifiaient tout au plus de 12 à 13 % des intentions de vote. Plusieurs personnalités tchétchènes établies à Moscou le distançaient sans peine. En particulier l’homme d’affaires Malik Saïdoullaïev, 39 ans, pourvoyeur d’aide humanitaire à sa république natale, et Aslambek Aslakhanov, 61 ans, député à la Douma. Ce dernier s’est retiré de la course lorsqu’un poste de conseiller auprès de Poutine lui a été offert. Malgré des  » propositions très avantageuses « , y compris financières, émanant d’officiels du Kremlin, Saïdoullaïev, lui, refuse de se désister. La cour suprême de Tchétchénie annule sa candidature.  » La Russie a utilisé des moyens illégaux, criminels pour éliminer toute alternative à Kadyrov, souligne Roman Khalilov. C’est ainsi que l’on conçoit la démocratie à Moscou.  »

Autour de l’ex-mufti, de facto en position de  » candidat unique « , subsiste une poignée de prétendants battus d’avance. Pour conforter sans doute l’expression de la volonté populaire, les troupes prendront part au scrutin, soit 40 000 hommes selon les données officielles, plus de 80 000 selon d’autres sources. 545 000 électeurs ont été enregistrés û contre 513 000 en 1997. La Tchétchénie est sans doute la seule région du monde où, après quatre ans de guerre qui ont décimé la population, provoqué un exode massif, le nombre des survivants en âge de voter ait connu une telle progression…

Une véritable garde prétorienne

A New York, durant la récente Assemblée générale des Nations unies, Kadyrov plastronnait au côté de Poutine. Pour autant, le personnage ne fait guère l’unanimité dans l’élite russe. Son goût immodéré du pouvoir et de l’argent n’est pas seul en cause. En trois ans, il s’est doté d’une véritable garde prétorienne, sous les ordres de son fils Ramzan, qui compterait jusqu’à 5 000 hommes. Début septembre, Kadyrov l’envoyait prendre d’assaut la télévision de Grozny. A l’égal des fédéraux, cette milice sème la terreur. Ses agissements alimentent le désir de vengeance, rapprochent les civils de la résistance armée. L’accession de Kadyrov à la présidence ne risque guère d’améliorer la situation, bien au contraire.

En mars 2004, Vladimir Poutine affrontera sa réélection. Sa popularité se maintient à des taux stratosphériques. Mais, selon une enquête publiée en août dernier par le Centre national d’études de l’opinion publique (désormais repris en main par le pouvoir), 57 % des Russes, lassés de cette guerre sans issue, souhaitent des négociations avec les indépendantistes û dont Vladimir Poutine ne veut à aucun prix. A défaut de le régler, il lui faut se débarrasser du conflit. Le scrutin du 5 octobre répond à cet objectif. Une fois élu, le président tchétchène  » devra être tenu pleinement responsable de ce qui se passe dans la république, expliquait ces jours-ci Dimitri Rogozine, à la tête du comité de relations internationales de la Douma. Il s’agit d’une guerre civile, interne à la société tchétchène « . Tout est dit.

Sylvaine Pasquier

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