Le robot qui aimait les femmes

Après s’être attaqué à des pathologies gastriques ou cardiaques, le robot Da Vinci démontre qu’il peut, aussi, faciliter les actes de chirurgie gynécologique. Avec, à la clé, la première mondiale d’une équipe belge

Rendre leur perméabilité à des trompes de Fallope (et restituer ainsi la fertilité aux femmes concernées) ou retirer un utérus (hystérectomie): le robot Da Vinci, guidé par un chirurgien, est capable de le faire. Et de bien le faire. Il y a quelques années seulement, peu de gynécologues auraient imaginé que, grâce à un ordinateur, ils allaient, enfin, pouvoir opérer les femmes et diminuer ainsi réellement les atteintes portées à leur intégrité physique. « Jusqu’à présent, en général, rappelle le Dr Michel Degueldre, chef du service d’obstétrique et de gynécologie au Centre hospitalier universitaire Saint-Pierre, à Bruxelles, les opérations déjà réalisées avec le robot étaient proposées en chirurgie « classique », c’est-à-dire à ventre ouvert. » Le Da Vinci représente donc un véritable progrès, avec de moindres traumatismes, la suppression ou la diminution des douleurs postopératoires, et une sortie possible de l’hôpital le lendemain même de l’opération.

Cette histoire d’un robot qui aime les femmes a débuté réellement il y a deux ans et demi. Si les résultats opératoires se confirment, ils mettront fin à une frustration tenace des chirurgiens-gynécologues: dans leur discipline, il n’est pas aisé d’intervenir avec une chirurgie minimale invasive (l’opération est pratiquée à travers la peau, percée de quelques incisions). « En effet, les chirurgiens doivent alors travailler de manière très peu ergonomique, un peu comme s’ils opéraient avec un poignet dans le plâtre. En gynécologie, ces conditions difficiles et un temps opératoire largement augmenté expliquent pourquoi les patientes ont peu bénéficié de ce type de technique », complète le Dr Degueldre.

Or, avec le robot, la grande majorité des contraintes de la chirurgie minimale invasive sont supprimées. Les instruments passent bel et bien à travers de minuscules incisions. Mais, avec les bras articulés du robot, guidés via des manettes par le chirurgien assis derrière une console, toutes les possibilités de mouvements sont retrouvées. De plus, le geste chirurgical est même amélioré. En effet, l’ordinateur efface tous les tremblements de la main, toutes les hésitations. Enfin, le praticien travaille en situation ergonomique parfaite, sans fatigue inutile, ce qui préserve sa concentration. Son écran lui permet de contrôler la situation en 3 dimensions (l’un des trois bras du robot porte le matériel optique, les autres, les instruments). Autre progrès possible: grâce à la superposition d’images prises en résonance magnétique, le chirurgien se dirige précisément pour trouver une lésion qu’il ne peut apercevoir.

Une danse thaïlandaise

Compte tenu de tous ces atouts, en 1999, une équipe américaine avait tenté, la première, mais sur un robot moins perfectionné que le Da Vinci, une réanastomose tubaire microchirurgicale (une réparation des trompes de Fallope, afin de supprimer une ligature réalisée précédemment à des fins contraceptives ou parce que les trompes sont bouchées pour une autre raison). Avec le Dr Jean Vandromme, le Dr Degueldre a relevé ce même défi dès avril 1999. La première étude qu’il a publiée à ce sujet porte sur 37 femmes (et 72 trompes). En moyenne, chaque opération a duré 112 minutes, soit grosso modo l’équivalent d’une chirurgie classique mais, pour la femme, sans un certain nombre de ses inconvénients. « Le 1er janvier 2001, sur un groupe de 27 femmes opérées, 12 avaient pu être enceintes. Ce taux est proche de celui obtenu lorsque les interventions sont menées par une voie plus classique, mais ce résultat doit encore être confirmé. On pourra, alors, assurer que cette technique est non seulement faisable mais, aussi, qu’elle parvient au moins aux mêmes succès », souligne le Dr Degueldre.

Forte de ces premiers pas, l’équipe bruxelloise s’est alors lancée, en septembre dernier, dans un autre type d’opération, encore jamais réalisée par robotique: une hystérectomie totale. Pour cette première mondiale, elle a cumulé une autre innovation. Elle a ajouté au robot conçu par la firme américaine Intuitive un nouveau type d’instrument, développé par l’entreprise japonaise Olympus: un bistouri à ultrasons.

« Armé de ce bistouri, le bras articulé agit comme une pince. Il prend donc le tissu et, en même temps, il le coupe mais sans envoyer de courant et, donc, sans brûler. Quelques cellules s’évaporent, c’est tout, explique le chirurgien. Cette technique, absolument non agressive, permet un travail plus efficace, sans saignement ni brûlure. Elle ne provoque aucune douleur au réveil puisqu’elle évite de traumatiser les organes. Cinq femmes ont déjà été opérées ainsi. Là encore, notre objectif consiste à démontrer que le robot a sa place pour de lourdes interventions gynécologiques et que de nouveaux apports d’énergie vont encore améliorer ces opérations. »

A dire vrai, les images de ces interventions par microchirurgie assistée et bistouri à ultrasons sont impressionnantes. L’action des bras animés du robot évoque la danse millimétrée, souple, calme et apaisée d’une Thaïlandaise… Cela ne signifie pas, cependant, que la recherche est terminée et que le robot n’est pas perfectible. Actuellement, les chirurgiens qui l’emploient sont un peu comme des pilotes d’essai qui expérimentent un nouvel avion, découvrent ses avantages et ses limites et conçoivent ensuite, avec les ingénieurs, de possibles améliorations.

« Pour le moment, lorsque nous manipulons les manettes, nous ne percevons aucune sensation tactile. Parfois, cela nous manque. Ainsi, par exemple, ressentir une tension nous aiderait à réaliser une suture, détaille le Pr Degueldre. On peut cependant imaginer que le robot pourrait être capable de réaliser absolument seul, en tenant compte de tous les paramètres, un certain nombre de tâches comme celle-là. » Les chirurgiens ne travailleraient plus, alors, sur des machines qu’ils commandent entièrement et qu’ils dirigent dans un rapport maître-esclave: les robots deviendraient plus intelligents et capables d’agir seuls. Si c’est pour mieux nous soigner…

Pascale Gruber

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire