Le  » merdier  » wallon

 » Cela ne marchera jamais avec les francophones !  » Lorsque des décideurs néerlandophones se couchent sur le divan, leurs confidences à propos des Wallons sont sans concession. Ames sensibles s’abstenir

Cela fait vingt-cinq ans ou plus que, régulièrement, on annonce la fin de la Belgique. Sans rien voir venir. Aujourd’hui, cependant, les Flamands les plus extrémistes lui donnent encore tout juste… cinq ans ; les modérés, quinze ou vingt ans. C’est l’avis d’une certaine élite politico-médiatique. Mais, aussi, de plus en plus, de la population, selon le livre de Philippe Dutilleul, Bye-bye Belgium (Labor/RTBF). Va- t-on vivre, avec l’indépendance de la Flandre, la première révolution de droite en Europe ? Dutilleul s’est immergé pendant plus de deux ans au pays flamand pour comprendre les raisons de cette radicalisation. Et pour aboutir à un constat d’échec, accompagné d’un profond sentiment d’urgence. Impressions de voyage.

 » Comment se parlerait-on, puisqu’on ne connaît pas la langue de l’autre, que ceux qui la connaissent n’ont plus envie de la parler et les autres de l’apprendre « , peut-on lire dans Bye-bye Belgium. La langue est en effet le premier facteur de division du pays, la fracture originelle. L’opinion publique belge n’existerait plus. Les habitants du Nord et du Sud ne regardent pas les mêmes chaînes télévisées, vivent dans deux mondes différents. Deux cultures, deux langues peuvent-elles coexister pacifiquement au sein d’un même Etat ? Pour un nombre grandissant de néerlandophones, la réponse est non. Ainsi, selon le rédacteur en chef de VTM, Pol Van Den Driessche, quand les Flamands voient, à la télévision, Elio Di Rupo, président du PS mais aussi de la Région wallonne, et Laurette Onkelinx (PS), vice-Première ministre au gouvernement fédéral, ils pensent  » chipoteurs, amateurs « . Par comparaison, Yves Leterme (CD&V), ministre-président du gouvernement flamand, apparaît comme quelqu’un qui est arrivé au top en travaillant dur, avec une devise tellement appréciée des néerlandophones :  » Pas de bla-bla, des résultats.  »

Bien sûr, selon le sociologue de la VUB (Université libre flamande de Bruxelles), Mark Elchardus, le Flamand est encore plus proche du Wallon que du Néerlandais, tandis que le Wallon ressemble davantage au Flamand qu’au Français. Il se trouve même un journaliste néerlandophone, Guido Fonteyn, pour cracher dans la soupe. Et dénoncer la  » majorité d’éditorialistes trop accrochée à cette idée que tout irait mieux en Flandre si l’on était débarrassé des Wallons « .

Une région sous-développée

Mais pour Danny Pieters, professeur à la KUL et membre du N-VA (parti de droite issu de la Volksunie), il y a quelque chose d’incompréhensible à ce que le Sud demeure  » dans un état de sous-développement économique chronique avec un fort taux de chômage, alors que sa voisine du Nord de la France, victime du même phénomène de désindustrialisation et de restructuration, refait son retard et relève la tête.  » Les Flamands sont excédés. Leurs économistes se demandent pourquoi la Wallonie régresse, tandis qu’à ses côtés, les régions du grand-duché de Luxembourg, de France, de Grande-Bretagne sont en pleine expansion. Comment est-ce possible ? Le Sud reçoit pourtant beaucoup d’argent de l’Europe et de la Flandre. Le très libéral homme d’affaires Marc Daelemans d’Amrop, une agence de recrutement international, observe :  » Aujourd’hui la solidarité wallonne, c’est le droit d’être pauvres tous ensemble. L’égalité dans la médiocrité, la débrouille et l’assistance.  »

En réalité, au fil du temps, les revendications flamandes ont progressivement glissé du champ émotif vers une prise de conscience bien plus pragmatique. Pour rappel, le sentiment nationaliste flamand est présent dès la fondation de l’Etat belge. Depuis 1830, c’est la domination de la bourgeoisie francophone qui a façonné un complexe d’infériorité linguistique et culturel chez le néerlandophone, cette conviction irrationnelle d’être un  » underdog « . Matthias Storme, l’avocat de la cause flamande, explique :  » Nous sommes toujours des citoyens de seconde zone au sein de l’Etat belge. Ce sentiment a certes diminué avec les réformes de l’Etat, mais n’a pas disparu. Il y a encore trop de textes de loi mal traduits en flamand.  » Les francophones d’aujourd’hui paient en quelque sorte les abus de leurs ancêtres.

Au ressentiment se sont ajoutés, voici quelques décennies, des transferts financiers importants. Un comble pour les néerlandophones : payer pour ces francophones qui les ont méprisés, humiliés depuis des siècles. Mais ce n’est pas tout. D’une revanche sur les Wallons et leurs discriminations anciennes, on glisse aujourd’hui en Flandre vers une revendication autonomiste pour des raisons économiques. Les Flamands sentent leur prospérité menacée. La fermeture de Renault à Vilvorde (1997), les restructurations de Ford Genk (2003) et, actuellement, de VW Forest agissent comme des révélateurs. Si on s’amuse encore beaucoup sur VTM ou sur la VRT, les entrepreneurs néerlandophones s’inquiètent.  » Demain, je toucherai peut-être ma pension, poursuit Daelemans d’Amrop, mais il n’y aura plus de réserves pour mes enfants qui devront travailler d’autant plus.  » Bref, la Flandre, qui veut rester très compétitive, n’entend plus tirer le boulet wallon. N’hésitant pas à utiliser des chiffres chocs, généralement surévalués, une association flamingante, comme l’Aktie komitee Vlaamse sociale zekerheid (Comité d’action pour une sécurité sociale flamande), a, par exemple, calculé que les Flamands travaillent, par an, neuf jours gratuitement pour les Wallons.

Bruxelles fait peur aux Flamands

Dans ce contexte,  » la question des Flamands de savoir si les Wallons font tout pour diminuer leur taux de chômage et relancer la machine économique paraît légitime « , pense Dutilleul. Vu du Nord, le Plan Marshall, l’  » ajustement  » de la Wallonie ne sont pas suffisamment radicaux. Selon les néerlandophones, cet immobilisme renforcerait le système clientéliste en Wallonie, qui profite essentiellement au PS, et l’extrême droite en Flandre. Conséquence :  » une majorité de nationalistes flamands estime aujourd’hui que Bruxelles ne doit pas empêcher l’indépendance de la Flandre contrairement à hier « , poursuit Dutilleul. D’ailleurs, la forte présence d’immigrés maghrébins et la pauvreté endémique dans certains de ses quartiers effraient bon nombre de néerlandophones.

Or, la Wallonie n’aurait évidemment rien à gagner d’une sécession. En cas de brusque cessation des transferts flamands vers le Sud, les prestations sociales y chuteraient de… 20 % à 25 %.

D.K.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire