Les filiations de Jasmina Douieb

Une fascinante et lucide jeune femme qui nourrit le feu du théâtre depuis l’enfance : Jasmina Douieb est l’une des comédiennes de la création, au Festival de Spa, d’un texte rare de Fernando Arrabal : Une pucelle pour un gorille

L a Princesse Maleine de Maeterlinck, Yvonne princesse de Bourgogne de Gombrowicz, Bal trap de Xavier Durringer, Une pucelle pour un gorille d’Arrabal ( lire ci-contre)… Derrière ces productions peu banales, toutes saluées, la plupart avec la compagnie Chéri Chéri, se profile une silhouette gracile, celle de la comédienne et metteuse en scène Jasmina Douieb. Un feu méditerranéen traverse le regard et la voix aux nuances graves, la pudeur évoque les ombres familiales, la lucidité analyse le paysage théâtral, et l’enthousiasme éclaire ses désirs, ses questionnements.

Cette jeune femme est aussi riche d’une licence en philologie romane, et d’une autre, d’espagnol, suivie d’un cursus complet au Conservatoire de Bruxelles.  » J’ai toujours fait du théâtre depuis l’enfance, et si, à 18 ans, je savais que ce serait ma vie, je n’étais pas prête à entrer au Conservatoire, trop proche du métier et de sa jungle. J’avais envie d’étudier. Je suis partie avec Erasmus à Madrid. Et là, je me suis sentie en connexion avec cette culture, quelque chose de violent, de rugueux, moins policé que dans le nord, ici. Je serai toujours un peu le mélange des deux. Tout comme mon père. Il vit depuis tellement longtemps en Belgique qu’il ne se sent plus vraiment marocain. Il ne nous a jamais parlé en arabe, ni inclus dans sa culture. Comme pour beaucoup d’immigrés de cette génération, le culte de la culture française s’accompagnait d’un complexe d’infériorité et d’un déni de son origine. Jusqu’à 12 ans, ma carte d’identité indiquait apatride. Ce  » de nulle part  » m’a marquée. J’appartiens à tout et à rien. En Espagne, j’ai retrouvé une sorte de foyer spirituel et, lorsque je suis allée pour la première fois au Maroc, avec ma s£ur, j’ai ressenti de manière troublante cette filiation indéfectible, pas vraiment consciente. Je me dis que mon père a dû nous transmettre des choses, hors langage.  »

De quoi imprégner nombre de projets et passer, peut-être, à l’écriture. Pour l’heure, Jasmina Douieb hésite entre le jeu et la mise en scène.  » J’apprends dans les deux sens. Comme comédienne, je m’assouplis. Savoir que le metteur en scène ne sait pas tout, qu’il peut se tromper… Mais comme je mets souvent en scène hors institutions (au Zut, à Molenbeek, par exemple), c’est un énorme travail à porter, où je ne gagne pratiquement rien. Il faut donc que j’équilibre mes choix d’énergie et de finance. Mais, globalement, la mise en scène me permet de clarifier mon fil rouge, autour du statut de la prise de parole, de son comment, de son pourquoi, de son rapport au spectateur, de son lien avec ici et maintenant. Comment se positionner par rapport à des mots qui ne sont pas les siens ?  » Ce qui n’empêche nullement la jeune comédienne d’expérimenter d’autres types de jeu, de passer de Marivaux, au théâtre du Parc, à Goldoni, avec Carlo Boso, et de trouver sa liberté, sa connexion avec l’instant dans des codes de jeu plus contraignants.

Forte de ses désirs et de ses projets, Jasmina Douieb prend son bâton de pèlerin pour entrouvrir les portes des théâtres, pour grappiller de maigres moyens.  » Faut-il attendre d’avoir 50 ans pour qu’on nous fasse un peu confiance ? Nous sommes jeunes, nous avons envie de nous exprimer et nous n’avons pas d’endroits pour le faire. Les grosses institutions ont des moyens pour ça. Si elles faisaient leur travail, si elles ne se fermaient pas sur leurs « familles d’artistes », les nouveaux lieux seraient moins nombreux ! C’est comme si nous faisions du théâtre en sous-sol, du théâtre de cave, avec des moyens de survie. On a l’énergie du désespoir…  »

La Princesse Maleine sera reprise au théâtre Le Public, à Bruxelles, en mai 2007. Jasmina Douieb jouera au Zut, à Bruxelles, en octobre, Juliette à la foire, de Micheline Parent, et, en mars, Incendies, de Wajdi Mouawad.

Michèle Friche

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