La Baule – Le bonheur est dans les pins

Des dunes battues par le vent et la houle au début du XIXe siècle est née une station balnéaire très prisée du Tout-Paris de l’entre-deux-guerres. Ici, de génération en génération, les familles parisiennes et nantaises cultivent un entre-soi chic et décontracté dans leurs villas sous les pins. Ici, les people d’aujourd’hui ne viennent pas pour s’exhiber, mais pour jouir d’un havre de calme et de discrétion. Le vrai luxe, peut-être.

Il paraît que Marion Cotillard a eu le coup de foudre pour La Baule (Loire-Atlantique). Pour la courbure de sa longue baie au sable blanc. Pour ses villas kitschissimes cachées dans leurs luxuriants jardins. Peut-être, aussi, pour le stade équestre engazonné où son compagnon Guillaume Canet a remporté, le 15 mai dernier, le prix Ouest-France de jumping, devançant l’animateur Julien Courbet et l’actrice Marina Hands. Surtout, la comédienne a apprécié la discrétion des Baulois qui ont croisé son chemin sans l’aborder, ni lui demander un autographe. L’anonymat a, parfois, la saveur du luxe…La Baule est ainsi. Réservée et bien élevée, comme les grandes familles de la bourgeoisie nantaise et parisienne qui la fréquentent depuis plusieurs générations. Allergique aux paillettes, autant qu’aux fautes de goût.

L’histoire de la plus belle baie d’Europe est, d’abord, celle d’une mort et d’une résurrection.  » Jusqu’au XIXe siècle, ce littoral n’était qu’une vaste étendue parsemée de dunes désertes, souligne Jean-Bernard Vighetti, géographe et spécialiste du tourisme. Elle n’avait rien d’attrayant pour les hommes.  »

En 1810, Napoléon donne l’ordre de planter arbres et végétaux sur les côtes des départements maritimes afin de fixer le sable. Une entreprise herculéenne ! Au fil des décennies, à force de sueur et de labeur, pins, peupliers, tamaris, chênes verts, trembles, hêtres, ormeaux et acacias métamorphosent en forêt les 650 hectares jusque là désolés. La vogue des bains de mer, née en Angleterre, gagne alors le littoral français. Les pionniers du tourisme balnéaire, dont Musset, Ingres, Balzac et Flaubert, découvrent Le Croisic et Le Pouliguen.

Propriétaire de la Compagnie du chemin de fer de Saint-Nazaire au Croisic, Jules-Joseph Hennecart tombe amoureux de cette baie de 8 kilomètres ourlée de verdure et orientée plein sud. Il décide d’y créer une station balnéaire (du mot anglais  » station « , qui signifie  » gare « ), un petit paradis pour sa famille et ses amis parisiens fortunés, loin des vaines mondanités de la capitale. Il y bâtit les premières villas de La Baule, où naissent ensuite le  » quartier des arbres « , le  » quartier des oiseaux « , où chaque rue est baptisée d’un nom de volatile, ou encore, le  » quartier Benoît « , le plus chic de La Baule. Là où le sable est si blanc et si fin qu’il s’envole au moindre zéphyr. Là où le prix des demeures face à l’océan, aujourd’hui, oscille entre 2 et 4 millions d’euros.

Les Anglo-Saxons débarquent

En 1902, l’immense sanatorium devient l’hôtel Royal, et la chapelle attenante, un casino.  » La Baule, sa baie, son bois. La plage la plus ombragée de l’Ouest « , vantent les guides touristiques d’avant guerre. Nantais et Parisiens s’offrent des villas anglo-normandes, néogothiques ou cryptobretonnes dans la pinède ou face à l’océan.

Après la sinistre parenthèse de la Première Guerre mondiale, une nouvelle clientèle apparaît sur la presqu’île : celle des Anglo-Saxons, qui l’ont découverte pendant le conflit, quand leurs troupes débarquaient à Saint-Nazaire. Un autre  » étranger  » va bouleverser le destin de La Baule, transformant la petite station balnéaire familiale en lieu de villégiature pour la jet-set.

Un jour de septembre 1923, l’Hispano-Suiza de François André – le fondateur du groupe Lucien Barrière – s’arrête face à la baie. André, qui codirige la Société des hôtels et casinos de Deauville, cherche comment arrêter la transhumance de ses riches clients, qui, invariablement, bouclent leurs valises à la fin du mois d’août et filent à Biarritz. Ce sera ici, au bord de cette plage interminable en forme de croissant. Les terrains se négocient alors  » au jet de pierre  » : une fois fixé le prix du jet, on lance un caillou autant de fois qu’on le souhaite pour fixer les limites de sa nouvelle propriété. Du matin au soir, François André fait voler, encore et encore, le même galet. Pour 18 000 francs, il achète l’hôtel Royal et son petit casino, ainsi que les terrains attenants.

Le casino est remodelé et agrémenté de boutiques de luxe. En 1927, un nouveau palace sort de terre, le très deauvillois Majestic, rebaptisé  » l’Hermitage « . Rachetée et agrandie, la villa la Garidelle devient le Castel Marie-Louise, du prénom de son épouse. Ce futur Relais & Châteaux 5-étoiles sera, quelques décennies plus tard, l’une des adresses préférées de François Mitterrand. Dans les années 1920, le Tout-Paris se laisse séduire : les chanteurs Maurice Chevalier et Mistinguett, qui s’y fait déposer en hydravion ; l’actrice Cécile Sorel ; la meneuse de revue Joséphine Baker ; l’actrice et soprano Yvonne Printemps, avec son mari, le dramaturge Sacha Guitry.

Le fondateur du groupe Barrière veut offrir à ses riches clients gîte et couvert, bien sûr, mais aussi sports, loisirs et spectacles. Il fait aménager un golf, un centre équestre, un tir aux pigeons et 30 courts de tennis. Organise courses automobiles sur la plage, régates et meetings aériens. Ouvre aussi des bars. On y aperçoit Tino Rossi ou Charlie Chaplin, qui s’offrira un appartement dans la station bien des années plus tard.

En 1940, le rideau tombe sur la cité aux 2 500 villas. Voisine de la base sous-marine de Saint-Nazaire, elle est occupée par l’armée allemande. La Kriegsmarine réquisitionne hôtels, maisons, cafés et terrains de sport pour ses officiers et ses soldats. Après leur tardive reddition, le 11 mai 1945, ceux-ci cèdent la place aux réfugiés de Saint-Nazaire et aux services publics de cette ville anéantie par les bombardements alliés. Malgré tout, le tourisme redémarre progressivement. Privés de vacances pendant cinq ans, les Français ont soif de soleil et d’iode. En 1951, ils sont 140 000 à séjourner à La Baule. L’époque est au confort moderne et à la construction verticale, aux vacances pour tous et aux appartements avec vue sur l’océan. Les nouveaux immeubles éclosent alors en nombre.

Les stars mettent le feu au casino

Ce bétonnage n’empêche pas la station de vivre un nouvel âge d’or.  » Toutes les vedettes de la chanson et du music-hall viennent alors se produire à La Baule « , raconte l’historien amateur Gaël Archimbaud. Au cours de l’été 1959, Yves Montand, Dalida, Sacha Distel, Georges Guétary et les Frères Jacques sont à l’affiche. Avant eux, il y eut Edith Piaf, Juliette Gréco et Charles Trénet. Les années suivantes, Johnny Halliday, Sylvie Vartan et Claude François mettront à leur tour le feu au casino.

De 1980 à 1989, le tournoi de tennis des hôteliers et restaurateurs, organisé par Moët & Chandon, attire artistes et chefs sur les cours baulois. Les soirs de gala, les chanteurs Sacha Distel et Pierre Perret, les acteurs Francis Perrin, Georges Descrières et Charles Gérard, les toques Pierre Troisgros, Georges Blanc et Michel Rostang, l’animateur Stéphane Collaro ou le pilote Jean-Pierre Beltoise se retrouvent autour des gigantesques fontaines de champagne dressées dans les jardins de l’hôtel Hermitage. En 1984, Jean-Claude Driancourt, Baulois d’adoption, lance les Derbys, ces rendez-vous sportifs qui rythment encore la saison de mai à octobre. Le festival européen de cinéma aura moins de succès. Lancé en 1990, il s’éteindra quelques années plus tard. L’actrice italienne Lea Massari, elle, revendra son pied-à-terre baulois.

Aux murs des hôtels Royal et Hermitage, les clichés en noir et blanc des clients célèbres ont un peu jauni avec le temps. Dany Boon et Michèle Bernier, Jane Birkin, Pierre Arditi, Roland Giraud, Mylène Demongeot, Marlène Jobert et sa fille Eva Green, Olivier Marchal…  » Certains ne sont pas venus depuis un moment « , glisse un habitué des lieux. D’autres sont encore fidèles, comme les acteurs Christophe Malavoy, Vincent Perez, Catherine Deneuve, Marina Hands et sa mère Ludmila Mikaël, le compositeur Didier Barbelivien ou le comique Alex Lutz.

 » Une ville de vieux  »

La Baule n’est pas la plage la plus glamour. Pas la plus festive non plus. Quelques-uns le déplorent. Le journaliste sportif Pierre Ménès, qui fréquente la station depuis trois décennies, a semé l’émoi l’été dernier en quelques mots acides glissés au quotidien Ouest-France :  » C’est devenu une ville de vieux. Un endroit pour que les trentenaires fassent la fête, ce ne serait pas du luxe !  » Surtout depuis que l’acteur Gérard Lanvin, propriétaire d’une maison à Guérande, a fermé son  » Bar’Ouf « . Il reste bien le Nossy Be, sur la plage, où Johnny Hallyday a soufflé ses 66 bougies, en juin 2009. Le  » people press-book  » de la maison affiche fièrement les photos de Jean-Paul Belmondo, Eddy Mitchell, Laurent Gerra, Jacques Higelin ou Richard Berry – des têtes connues, mais très franco-françaises.

C’est que la presqu’île ne figure pas sur le planisphère de la jet-set. Ni même sur celle des globe-trotteurs : 10 % seulement de ses visiteurs sont étrangers, essentiellement britanniques, belges, allemands et suisses. Les Français, eux, lui vouent une tendresse particulière.  » C’est précisément un havre de calme, aux antipodes de l’ostentation, que viennent chercher chefs d’entreprise, artistes ou acteurs politiques « , affirme Yves Métaireau, le maire UMP de la commune. Ici, pas de paparazzis planqués dans les hortensias pour traquer les faits et gestes du chanteur Patrick Bruel, des humoristes Marc Jolivet et Bedos père et fils, du philosophe Luc Ferry ou de l’ancienne ministre UMP Valérie Pécresse, qui possède une jolie villa face à l’océan. Au marché ou sur la plage, au tennis ou au golf, ils côtoient plusieurs dynasties industrielles : les Cointreau, propriétaires depuis 1873, les Bouygues et les Decaux, à la pointe de Penchâteau. Quelques hommes d’affaires se sont joints à eux, tels Stéphane Richard, le patron d’Orange, Frédéric Oudéa, le PDG de la Société générale, le producteur de cinéma Michel Seydoux et Laurent Dassault, l’un des dirigeants du groupe familial, qui taquine le maillet de polo avec son ami Jean-François Decaux, propriétaire du Brittany Polo Club. Tous connaissent la recette bauloise d’un été heureux : sortir peu, éviter la foule et, surtout, cultiver la discrétion.

Par Anne Vidalie – Reportage photo : Jean-Paul Guilloteau-Le Vif/L’Express

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire