Les ratés d’une success-story

Ecoles surpeuplées et de qualité jugée médiocre, crèches trop francisées, l’inburgering obligatoire toujours en rade : le modèle flamand patine à Bruxelles. Mise sous pression, la Flandre s’irrite d’un immobilisme francophone.

La saison est au ravalement de façades et au changement d’enseignes à Bruxelles. Francophones et Flamands sont au coude-à-coude. Cette fois, le camp francophone a dégainé le premier. La Cocof, la Commission communautaire française, vient de s’offrir un visuel tout neuf : un tandem de mots  » francophones  » et  » Bruxelles « , coloré en rouge-bleu-jaune. Une façon de confirmer sans agressivité que Région bruxelloise et Fédération Wallonie-Bruxelles font et feront plus que jamais front.

La Flandre se prépare aussi à faire peau neuve dans sa capitale. Au placard, le  » N  » vert-blanc-bleu qui orne depuis 1995 les entrées des écoles néerlandophones de Bruxelles. Place à un futur logo pour relooker le dynamisme de la présence flamande.

Guerre de labels, course à la visibilité. A chacun sa recette. La Flandre cultive jalousement la sienne : la qualité comme marque de fabrique. Qui fait le succès du modèle flamand à Bruxelles. Et qui permet au néerlandais de jouer à présent dans la cour des grands. Certes à distance toujours respectable du français et de l’anglais, alors que l’arabe pointe aussi le bout du nez. Mais il y a bel et bien retour dans le parcours :  » Le néerlandais se maintient et gagne même un peu de terrain comme langue utilisée à la maison « , relevait le dernier baromètre linguistique en Région bruxelloise. En 2011, 23 % des Bruxellois déclaraient pratiquer correctement ou parfaitement le néerlandais.  » Son usage dépasse nettement le cadre strict des Bruxellois flamands, dont le nombre est estimé entre 5 et 7 % de la population « , confirme Rudi Janssens, sociologue à la VUB et cheville ouvrière de cette étude.

C’est le langage que Sven Gatz aime entendre. En vrai Bruxellois, le ministre a l’habitude de tendre l’oreille lorsqu’il emprunte le tram. Et ce qu’il capte auprès des jeunes Bruxellois qui mélangent allègrement français, arabe et néerlandais, a de quoi le ravir :  » Le néerlandais devient de plus en plus normal à parler pour ces jeunes. Ce n’était pas encore le cas il y a quinze ans.  » Dans ce Bruxelles multilingue, le néerlandais se sent pousser des ailes :  » Jamais autant d’enfants n’ont suivi l’enseignement néerlandais à Bruxelles, jamais autant d’adultes ne veulent suivre des cours de langue.  »

Mais le conte de fées vire au mauvais feuilleton. Début avril, le label de qualité s’est pris une gifle. Infligée par l’inspection scolaire de Flandre : les écoles flamandes de Bruxelles sont taxées de cancres de toute la classe néerlandophone, et seule une minorité d’entre elles mérite un bon bulletin. Consternation : la Flandre se découvre aussi des  » écoles poubelles  » et elles se situent surtout à Bruxelles.

Confrontation brutale avec la réalité et les défis bruxellois. Des établissements scolaires flamands surpeuplés, des élèves qui pour la moitié d’entre eux seulement viennent d’un foyer néerlandophone ou mixte. Et des besoins en capacité toujours aussi criants, en dépit des 160 millions d’euros que la Flandre a déjà investis en infrastructures scolaires bruxelloises. Guy Vanhengel (Open VLD), ministre en charge du dossier, ne connaît que trop bien la spirale infernale :  » Depuis mes débuts de ministre en 2000, l’enseignement néerlandophone à Bruxelles a enregistré 25 % d’élèves en plus, jusque 30 % dans le primaire. Ils sont 41 575 inscrits, en chiffres absolus. C’est beaucoup, c’est énorme.  » Et cela n’augure que d’une certitude :  » La demande continuera de dépasser l’offre. En sachant que plus de 80 % des enfants qui optent pour l’enseignement néerlandophone viennent d’une famille francophone ou multilingue.  »

Des partis flamands à cran, qui se divisent sur la question de normes linguistiques à fixer lors des inscriptions scolaires. Des gestionnaires néerlandophones confrontés à des prévisions alarmistes qui leur donnent migraine et sueurs froides. La Flandre à Bruxelles joue sur la défensive. Victime d’un succès qui dépasse ses forces et ses moyens. Alors que le moindre signe de relâchement ou d’assouplissement de sa part se retourne contre sa politique.

Ainsi les crèches, qui pouvaient s’ouvrir avec une relative facilité sous bannière néerlandophone, se sont retrouvées largement francisées. 3 000 des quelque 7 000 places bruxelloises agréées par Kind & Gezin sont répertoriées de facto francophones. Machine arrière. Les autorités flamandes resserrent les boulons : désormais, ce sera la connaissance du néerlandais obligatoire pour le responsable de toute crèche flamande à Bruxelles, ainsi que pour au moins une infirmière.

Casse-tête et mirage bruxellois. La Flandre cherche de l’aide.  » Coopérer, coopérer, coopérer  » : le ministre Sven Gatz n’a que ce mot à la bouche. Troquer la posture de conquérant pour la politique de la main tendue :  » La division classique entre Bruxellois francophones et flamands est dépassée. La Région bruxelloise a évolué vers une majorité de familles linguistiquement mélangées, dont une grande partie n’est souvent pas née en Belgique.  »

Francophones et flamands dans le même bateau bruxellois. Ou la même galère, selon les points de vue. L’évidence tarderait à percoler. Karl Vanlouwe, député N-VA, le déplore :  » La plus-value qu’apporte la Flandre à Bruxelles se heurte souvent à un mur d’incompréhension, à une méfiance. Alors que sans cet apport, Bruxelles serait en faillite. Certaines institutions bruxelloises se détournent encore de la Flandre, perçue comme une belle-mère.  » Comme  » ces communes bruxelloises qui font encore trop peu usage de l’offre financière de la Flandre « . Besoin d’un coup de pouce aux politiques locales, culturelles, sportives ? Le nord du pays se dit disposé à ouvrir son portefeuille. Mais plus d’une commune détournerait encore le regard.

Agacement sur le banc flamand. On y sous-entend que la Communauté française tarderait à prendre en charge sa part du fardeau bruxellois. Au lieu de cela, elle préfère taper sur les nerfs du monde politique flamand. Sa façon de se rebaptiser Fédération Wallonie-Bruxelles a le don d’exaspérer la Flandre. Qui crie à l’appellation illégale et à la concurrence déloyale. Et qui redoute qu’elle ne fasse de l’ombre au pavillon flamand, jusque dans sa capitale.

Karl Vanlouwe situe les priorités :  » Bruxelles doit avoir l’ambition d’être une vraie capitale, qui puisse prendre à bras-le-corps les problèmes de criminalité ou de propreté, agir avec plus d’efficacité et de cohérence, insuffler une nouvelle fierté aux Bruxellois. Et ne pas s’arrêter à la vision de troisième région.  »

Debout les francophones ? La Flandre les attend aussi de pied ferme sur le terrain de l’inburgering, autre gros chantier en rade. Facultatif en Région bruxelloise, le parcours d’intégration civique flamand séduit néanmoins : 1 218 attestations délivrées en 2013, contre 891 en 2012.  » On peut y voir l’effet des conditions plus strictes imposées à l’octroi de la nationalité belge, qui poussent les candidats à décrocher une attestation d’intégration « , avance Catherine Xhardez, spécialiste de l’inburgering à l’Université Saint-Louis. Mais le nord du pays presse de passer à la vitesse supérieure. D’imposer à Bruxelles, comme en Flandre, l’inburgering et son volet d’apprentissage du néerlandais (ou du français). Les francophones ont fini par se rallier au principe, sans encore aller plus loin que lever le tabou.  » Avec dix ans de retard « , grince Karl Vanlouwe.

Irritation, impatience. La Flandre veut pouvoir dompter Bruxelles, cette importante porte d’accès vers son territoire. Le temps presse. D’ici 2060, on prédit à la Région bruxelloise 1 480 000 habitants, soit un quart de plus qu’aujourd’hui. C’est panique au village flamand. Ce n’est plus la francisation mais l’internationalisation qui menace le caractère flamand et hypothèque l’avenir du néerlandais. Bien au-delà de la périphérie bruxelloise.

Un impératif : désamorcer en douceur cette bombe démographique à retardement. Le ministre Sven Gatz joue au démineur, à l’intention de ceux qui en Flandre préconiseraient la stratégie du repli et du confinement :  » Penser que la tache d’huile bruxelloise peut être maîtrisée en édifiant une digue élevée serait se bercer d’illusions. On ne peut maîtriser cette tache d’huile qu’en tarissant sa source. Ce qui signifie continuer à investir dans les Bruxellois.  » Bon gré, mal gré.

P. Hx

Les écoles flamandes à Bruxelles classées cancres de l’enseignement de Flandre

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