Liège qui rit, Liège qui pleure

 » La plus belle gare d’Europe  » qui sera inaugurée cette année sera-t-elle le symbole d’une renaissance ? Comment Liège se dépêtre entre son glorieux passé et ses projets d’avenir.

Avec son tissu de petites entreprises, son atmosphère festive et bon enfant, sa vivacité culturelle, sa taille, Liège avait les attributs pour devenir un petit Barcelone. Mais aujourd’hui, ce n’est que Liège-sur-Meuse. Cité hybride. Côté face, une pépinière de PME inventives ; le siège d’une université réputée dans quelques domaines spécifiques, d’une splendide école d’architecture et de dizaines d’autres instituts supérieurs ; l’hôte du troisième port fluvial d’Europe et d’un aéroport de fret ; vivier de talents musicaux, picturaux et vitrine, par endroits, des vestiges remarquables de la Renaissance mosane… Côté pile, on trouve une économie lacérée par la crise, fragile, des quartiers délabrés et hétéroclites dès que l’on quitte le c£ur de la ville, une démographie en chute libre. Le taux de chômage est l’un des plus élevés du pays. En 1977, Liège était la sixième ville la plus riche de Belgique. En 2000, la valeureuse gît à la 71e place (…) En trente ans, la ville de Liège a perdu 30 % de sa population. Au dernier recensement, la ville comptait 185 000 âmes.

Le débit des années n’effraie pas la Cité ardente. Elle l’a prouvé par le passé. Le cratère de la place Saint-Lambert fut pendant vingt ans l’icône de la lenteur. Ce chantier escargot est loin d’être le seul en bord de Meuse. Les exemples abondent. Le pouvoir politique principautaire souffre de plusieurs carences : un manque de leadership, un manque de vision à long terme et un manque de sens de l’efficacité économique.  » Nous voulons réanimer le vieux site de Bavière, où les bâtiments ont été rasés. (…) Le quartier de la gare des Guillemins est un bon exemple d’une synergie possible entre les institutionnels régionaux et européens, la SNCB, la Ville et les partenaires privés. C’est à nous qu’il appartient d’établir un schéma d’aménagement permettant aux promoteurs privés de monter des projets autour de la gare qui accueillera un jour le train à grande vitesse.  » Les auteurs de ces propos ? Les bourgmestre et premier échevin de la Ville de Liège… en 1995. Douze ans plus tard, rien n’a vu le jour.

Le destin repris en main

En 1993, la SNCB a offert un beau cadeau à la ville mosane (…) D’emblée, la ville se paie l’un des plus célèbres architectes du monde, Santiago Calatrava (…) Après quinze ans de patience, on aurait pu s’attendre à ce que Liège ait tout apprêté pour accueillir au mieux cet inespéré présent. Il n’en est rien. Le quartier des Guillemins présente un visage ravagé (…) Dès lors, la  » plus belle gare d’Europe  » trônera jusqu’en 2010 ou 2011 au milieu du plus grand chancre du continent.

La mise en route du projet Grand Curtius remonte au début des années nonante. Le projet a battu un nouveau record de lenteur. Après quinze années de travaux (…) le Grand Curtius a explosé le budget prévu. Les autorités liégeoises rêvaient de répéter le coup de Bilbao et de son célèbre musée Guggenheim (…) De 300 000 unités espérées initialement, l’objectif annuel de visiteurs a été revu à 100 000 par an. (…) Comme le dit un professeur d’histoire de l’Université de Liège, dans la Cité ardente, personne n’a le pouvoir de mener des actions mobilisatrices de grande ampleur, mais chacun a assez de pouvoir pour jeter les clous sous les roues des autres.

Ce n’est pourtant pas faute de tentatives pour reprendre le destin liégeois en main. Le redressement éco-nomique de la région peuple les discours depuis vingt ans (…) Pour donner le sentiment d’agir, les responsables politiques ont multiplié les initiatives et les ASBL de réflexion. Mais chacun la sienne :  » Le Grand Liège « ,  » L’Avenir du pays de Liège « ,  » Liège Demain « ,  » Liège 2000 « ,  » Le Groupement de redéploiement économique pour le pays de Liège (GRE) « , et d’autres (…) Les cogitations en chambre et les banquets du microcosme liégeois ont fait vivre les traiteurs de la région, ainsi qu’un petit régiment de conseillers, de secrétaires et de webmasters, rémunérés par le contribuable. Elles n’ont jamais déterré la pierre philosophale de la relance économique liégeoise (…).

Quand Liège s’enlise, la Wallonie dévale

 » Ce qui m’a frappé, c’est de voir à quel point les Liégeois cherchent à se dédouaner : c’est de la faute de la mondialisation, du pétrole, de Cockerill, etc. Cette propension à chercher des boucs émissaires est dangereuse et grave car, confrontés au même environnement extérieur, je constate que certains territoires se développent alors que d’autres plongent « , commentait Hugues de Jouvene, célèbre expert français en prospective, invité à analyser la situation économique de la région liégeoise et à formuler des pistes pour le futur, lors de la sortie du rapport Liège 2020.

Certains indices laissent à penser que le sursaut s’est produit dans les têtes. C’est le cas à l’Université de Liège. L’ULg est l’université belge francophone la plus dynamique en termes de création de spin off (…) La fusion à Liège entre la faculté d’économie de l’ULg et les HEC (hautes études commerciales) est également une première très prometteuse. L’élan et la volonté d’avancer sont donc présents. On reste néanmoins dubitatif devant l’ankylose qui caractérise toujours la conduite des grands dossiers liégeois. Celle-ci n’est pas sans rappeler les années septante. Tout reste trop lent.

La Cité ardente a aujourd’hui besoin d’un plan Marshall dans le plan Marshall. À nouveau, certaines figures de proue liégeoises promettent le redressement de l’économie liégeoise pour la prochaine décennie… Espérons qu’elles aient cette fois raison. Car quand Liège s’enlise, la Wallonie dévale.

Y.H.

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