Mesurer ce qui se passe dans le cerveau : les recherches avancent. © SAMUEL SZEPETIUK POUR LE VIF/L'EXPRESS

Matière grise, matière première : notre cerveau en 2030

Julie Luong

Comme le montre le parcours proposé par J’aurai 20 ans en 2030, les progrès scientifiques et technologiques ont rendu prégnante l’analogie entre le cerveau et la machine. Pour Steven Laureys (ULiège), celle-ci évacue pourtant ce qui demeure le plus grand mystère scientifique : qu’est-ce que la conscience ?

Longtemps, la conscience fut la chasse gardée de la philosophie et de la religion. Steven Laureys, directeur du Coma Science Group de l’université de Liège, rappelle que pour un scientifique, s’intéresser comme il le fait au coma, aux expériences de mort imminente (que l’exposition relaie à travers plusieurs témoignages vidéo) ou aux états de conscience modifiés a longtemps été un véritable tabou.  » Si le langage neuronal de la conscience reste cet univers si méconnu, c’est en partie parce que les scientifiques se sont longtemps autocensurés, considérant que c’était trop compliqué ou que ce n’était pas une bonne chose. Or, c’est une bonne chose : étudier la conscience nous permet, par exemple, de savoir aujourd’hui que les animaux souffrent, avec les conséquences bioéthiques qui vont avec.  »

Représentant de la Belgique au sein du Human Brain Project – une entreprise pharaonique qui vise à modéliser le cerveau et à simuler son fonctionnement grâce à un superordinateur -, Steven Laureys s’applique à garder les pieds sur terre.  » Aujourd’hui, il n’y a pas de preuve scientifique de vie après la mort… hormis le don d’organes « , insiste celui qui espère que l’exposition permettra de sensibiliser les visiteurs à l’utilité de se faire inscrire au registre national des donateurs.  » N’oublions pas que pour le moment, le défi n’est pas tellement de créer l’être humain 2.0 mais d’aider des personnes qui ont des blessures au cerveau et de compenser ces différents déficits : les implants cochléaires chez les malentendants sont déjà une réalité clinique en Belgique, les implants au niveau de la rétine le seront bientôt pour les aveugles, nous faisons aussi beaucoup de progrès pour faire marcher les paralysés, avec des interfaces cerveau-ordinateur qui permettent de décoder nos activités cérébrales « , explique-t-il.

La grande énigme

Pour Steven Laureys, court-circuiter la perception ou le contrôle moteur est certes une chose cliniquement fondamentale, mais intellectuellement  » très simple « .  » En revanche, quand on parle de la conscience, de la mémoire, des émotions, tout devient beaucoup plus compliqué. La question est toujours la même : comment se fait-il que le cerveau – ces milliards de neurones, cette soupe de neurotransmetteurs – soit capable de produire nos pensées, nos émotions ? Et aujourd’hui, personne ne peut le dire « , rappelle-t-il.  » Evidemment, en tant que scientifique, je rêve de la machine qui nous permettra de mesurer ce qui se passe et comment ça se passe ! J’espère donc qu’on va augmenter nos efforts, particulièrement en Europe, pour comprendre ce qui reste le plus grand mystère de la science « , poursuit Steven Laureys, qui rappelle que de l’autre côté de l’Atlantique, Elon Musk et ses acolytes de la Silicon Valley avancent à grands pas dans leur ambition de brancher le cerveau humain sur des circuits d’intelligence artificielle.  » Ce serait bien qu’on ne laisse pas le monopole de ces recherches aux Américains et qu’on laisse les scientifiques travailler dans un but qui ne soit pas forcément commercial.  »

Un cerveau modulable

Si le cerveau augmenté est à nos portes, les nouvelles technologies ont d’ores et déjà modifié notre fonctionnement cérébral.  » Il est clair que le cerveau de mes enfants est différent du mien, que leurs réactions quand ils jouent à un jeu vidéo sont, par exemple, beaucoup plus rapides que les miennes. Mais la véritable question est de savoir si ces technologies changent fondamentalement nos manières de penser et peut-être d’exister en tant qu’êtres humains « , commente Steven Laureys. Les découvertes sur la plasticité cérébrale – cette capacité que le cerveau a de se réorganiser en fonction de ses expériences et de son environnement – laissent a priori toutes les portes ouvertes.  » Nous devons continuer d’investir dans notre intelligence émotionnelle, notre éducation à l’empathie, à la compassion, ce qui est souvent négligé dans les cursus scientifiques.  »

Pour celui qui collabore avec le moine bouddhiste Mathieu Ricard – qui a  » prêté  » son cerveau de méditant de haute voltige au Coma Science Group – , il ne fait pas de doute que le cerveau peut être modifié dans un sens positif et humaniste. Car si les études scientifiques montrent que les personnes qui méditent ont une faculté nettement supérieure à maintenir leur attention lors de tâches simples de reconnaissance, elles prouvent aussi que la méditation est capable d’induire des modifications structurelles : après deux semaines de travail méditatif sur la compassion, on peut ainsi observer une réduction physique de l’amygdale, aire du cerveau qui traite la peur et la colère.

 » Si le cerveau est modulable, cela veut aussi dire qu’une partie de notre bonheur en dépend et qu’il est possible d’agir en ce sens. Notre matière première, ne l’oublions pas, est notre matière grise !  » Soumis à quantité de sollicitations psychotoxiques, le cerveau contemporain peut aussi cultiver les  » bonnes ondes « .  » Je suis optimiste et je pense que si nous gardons l’humain au centre, la science et la technique continueront d’augmenter notre qualité de vie. Je continue de croire qu’il vaut mieux être né en 2017 qu’il y a cent ans, qu’il y a cinq cents ans ou qu’il y a deux mille ans « , conclut Steven Laureys.

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