Alain Minc  » Hollande doit affronter sa gauche « 

Pour l’essayiste proche de Nicolas Sarkozy, le président français a les moyens institutionnels d’imposer des mesures fortes à une partie de sa majorité.

Le Vif/L’Express : Le texte, très offensif, du PS français contre la politique allemande ne vous rajeunit-il pas de trente ans ?

Alin Minc : On revit le débat de 1983 sur  » l’autre politique « , c’est-à-dire cette illusion que l’on peut s’exonérer du monde entier, à laquelle croient encore une partie des socialistes. Hollande s’est mis lui-même dans cette situation absurde. On ne peut pas penser qu’un tel texte existe sans l’aval de l’Elysée, ou alors c’est que le système ne fonctionne vraiment pas. On ne peut pas, à Paris, faire endosser l’anti-germanisme par le Parti socialiste et, à Bruxelles, tenir des propos conformes à la doxa européenne. Ce double jeu est caractéristique du hollandisme. Ainsi, le 29 avril, le président annonce une réduction de la fiscalité sur les plus-values et les entrepreneurs s’en réjouissent. Dans la foulée, il valide une proposition de loi sur la vente des sites rentables, insupportable pour le patronat.

N’est-ce pas du pragmatisme ?

Penser qu’on peut sublimer les contradictions est une illusion.

Sur le fond, les questions du PS ne sont-elles pas pertinentes ?

Il faut les poser différemment. L’Allemagne a sûrement connu son apogée de compétitivité cette année. Désormais, les Allemands demandent la rémunération de leurs efforts et leurs salaires augmentent plus que l’inflation. De plus, les pénuries de main-d’oeuvre vont accentuer le phénomène. Cette relance par les salaires est beaucoup plus efficace qu’une relance budgétaire. Les syndicats allemands sont les meilleurs alliés des autres pays européens.

Et sur l’austérité en France ?

Les Français seraient légitimes pour réduire plus lentement leurs déficits budgétaires si, en échange, ils retardaient l’âge de la retraite à 64 ans, s’ils touchaient significativement aux 35 heures et s’ils faisaient un transfert massif vers la TVA des charges pesant sur les entreprises.

Comment gérer un tel tournant ?

L’Europe doit se gérer d’abord par un premier accord franco-allemand, étendu ensuite aux grands pays de la zone euro, et que l’on essaie d’imposer, enfin, à l’ensemble de l’Union. L’idée de faire des deals de revers avec des pays du Sud est une plaisanterie. Quand François Hollande sort du bureau de M. Rajoy [NDLR : le Premier ministre espagnol], que fait ce dernier ? Il appelle la patronne, c’est-à-dire Mme Merkel. Il y aurait matière d’être plus intelligent avec l’Allemagne. La chancelière a approuvé l’intervention au Mali en disant que nous l’avions faite pour le bien de l’Europe. Nous pourrions arguer :  » Nous dépensons 1,8 % de notre PIB pour la défense, vous 1 % seulement. Ayez l’obligeance d’en tenir compte dans le calcul de nos déficits.  » Ce serait le moyen de valoriser le seul succès de la présidence Hollande, le Mali.

Les marchés semblent pourtant approuver la politique actuelle.

Les marchés accordent leur crédit à tous les gouvernements car il y a énormément d’argent à placer : tous sont, pour l’instant, à l’abri d’un emballement des taux d’intérêt. Ce n’est donc pas la politique de François Hollande qui est approuvée. J’espère que le chef de l’Etat français a conscience de cela, mais il hésite à prendre les bonnes mesures, par crainte d’affronter l’extrême gauche et la gauche de sa majorité. A tort. Les hollandais devraient cesser de dire que le groupe socialiste a été forgé par Martine Aubry. Le président peut très bien présenter une loi d’habilitation d’ordonnances et la faire passer sous menace du 49-3 [le texte passe sauf si le gouvernement est renversé par une motion de censure]. On verrait bien si les députés socialistes ont envie d’une dissolution qui serait, par parenthèses, le meilleur moyen pour Hollande d’être réélu en 2017 !

PROPOS RECUEILLIS PAR CORINNE LHAÏK

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire