Le pardon et la vengeance

Puis-je me réjouir de la mort de quelqu’un qui (m’) a causé du tort ?

Lisa Lombardi, par courriel

Pourquoi un individu se réjouirait-il de la mort d’un quidam qui n’aurait porté préjudice ni à sa personne, ni à son groupe, ni à une idée qui lui est chère. Dans ce cas, on serait en droit de s’interroger sur son état mental. Mais si, au moins subjectivement, il existe de bonnes raisons d’en vouloir à un homme, puis-je légitimement me complaire dans l’idée de son malheur, voire hâter une fin, à mes yeux, méritée. Si l’adultère est une faute grave, je ne dois pas seulement me réjouir du châtiment infligé mais jeter ma pierre. Par vertu !

Semblablement, n’ai-je pas le droit d’accueillir avec joie la nouvelle de la mort du violeur qui a blessé à jamais mon enfant ? Mieux, si son exécution dépend de ma décision, peut-on me reprocher d’avoir acquiescé à sa mise à mort ? Dans ces conditions, pratiquer le pardon n’est pas évident. Notre société, en établissant le règne de la loi, en évacuant û en principe û les attitudes qui légitiment la vengeance personnelle, renvoie à une entité abstraite (l’institution judiciaire) le soin de juger impartialement et sans haine. Un consensus existe à ce propos, même si certains crimes très médiatisés provoquent de temps en temps des bouffées de violence au moins verbale. Reste la cuisine intérieure d’une conscience qui se défoule en sacrifiant en pensée celui qu’il ne peut exécuter de ses mains. Là aussi, le judéo-christianisme joue un jeu ambigu. D’une part, il oblige au pardon, vertu essentielle dans l’économie du salut ; d’autre part, il refuse la différence entre l’acte et le désir qu’on en a. Ainsi, les 8e et 9e commandements du Décalogue proscrivent le vol et l’adultère, et le 10e déclare :  » Ne convoite pas la maison de ton prochain ; ne convoite pas la femme de ton prochain (…)  » (Ex. 20, 14).

Si, donc, le pardon est requis, il ne peut être altéré par un désir û fût-il un simple désir û de vengeance. Non seulement, je ne peux exercer de vengeance personnelle, mais je dois me conformer à un jugement qui me semblera toujours mal proportionné par rapport au dol subi et au chagrin vécu. N’est-ce pas accepter une sorte d’iniquité ?

La réponse tient dans un calcul politique. La dynamique de notre humanité considère, d’une part, notre individualité comme toujours plus digne de respect et, d’autre part, la société comme un invariant qui assure l’épanouissement de chacun en ignorant volontairement les exigences intimes qui pourraient blesser le corps social. Bref, en pensée, je peux me réjouir de la mort de celui qui m’a fait du mal, pour autant que cela n’entraîne aucune conséquence pratique.

Jean Nousse

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