Angelich, Bach et les anges

Après ses interprétations brillantes du répertoire romantique, qui l’ont propulsé au rang des grands pianistes de son temps, Nicholas Angelich aborde, au disque et en concert, une ouvre redoutable de Bach, les Variations Goldberg. Rencontre dans son quartier général parisien, près de la Cité de la musique.

Démarche féline et douceur du geste, Nicholas Angelich porte bien son nom. Le regard sans cesse aimanté au ciel, il développe son propos lento, puis s’arrête au milieu d’une phrase. Un ange passe.  » Bach est mon jardin secret, je l’intègre souvent dans mes récitals. Mais c’est la première fois que je m’y risque au disque « , prévient-il. Et il ne choisit pas l’entrée la plus facile en gravissant la montagne mythique des Variations. Sa lecture suscite déjà la controverse dans le grand petit monde des critiques. Les uns lui reprochent de malmener la polyphonie en oscillant entre dilatations romantiques et ascèse. Les autres admirent son sens inédit de la diversité colorée. Chatoiement, éclat… Angelich est un passeur de lumière au gré des trente variations-vitraux de la cathédrale Goldberg.  » Elles illuminent celui qui les joue et celui qui les écoute « , se plaît-il à répéter.

 » Ce sommet de la musique pour clavier recèle une dimension universelle, mais impose aussi une lecture subjective. Les Goldberg sont d’une complexité et d’une envergure incroyables. Et que dire de leur abstraction… Bach n’a écrit aucune indication : au claviériste de juger.  » Pour le pianiste américain, elles condamnent à la liberté en même temps qu’elles forcent à la réflexion. Il faut sans cesse trouver des solutions pour les jouer. Il ajoute :  » Ces pièces ne demeurent en rien un exercice intellectuel, elles possèdent leur cohérence, leur structure émotionnelle, leur logique entremêlée d’un rapport sensuel à la danse, comme souvent chez Bach.  »

Epreuve initiatique

 » Pour les préparer, il m’a fallu deux ans de maturation intense.  » C’est le minimum pour comprendre le texte et développer une vision de l’£uvre.  » Je les travaillais, je revenais à ma vie normale de pianiste, puis j’y retournais.  » Nicholas Angelich en parle comme d’une épreuve initiatique :  » Il y a une vie avant et après les Goldberg « , assure-t-il. On dirait que l’£uvre programme dans son scénario le bouleversement de tout musicien qui s’y frotte. « Impossible d’en sortir indemne !  » D’ailleurs, Angelich lui-même rechigne à évaluer son dernier-né discographique.  » C’est très difficile de s’écouter après, estime-t-il, et mon autocritique est impitoyable. Graver un disque, c’est une sorte de psychanalyse accélérée. En quelques jours d’enregistrement, vous prenez votre personnalité en pleine figure.  »

En fait de personnalité, petit flash-back sur le parcours de ce pianiste né en 1970. A 13 ans, il débarque à Paris et s’y installe. Son rêve de travailler avec le grand Aldo Ciccolini se réalise.  » Aldo est un pédagogue hors pair, confie Nicholas Angelich. Il laisse une grande liberté tout en visant juste dans les remarques qu’il adresse à chacun et cela en dehors des modes. Une capacité d’adaptation extraordinaire ! Son enseignement était d’une simplicité lumineuse tout en pénétrant au c£ur des choses. Et puis, il nous insufflait le sens du texte.  » Si Nicholas Angelich s’est taillé une fameuse réputation dans le répertoire romantique, il ne souhaite pas s’y enfermer.  » Je m’intéresse de plus en plus à la musique contemporaine. Je trouve tellement précieux de pouvoir échanger avec les compositeurs vivants. « 

A 6 ans, Nicholas Angelich jouait le Concerto n° 21 de Mozart.  » Je me souviens que mes jambes étaient trop courtes pour atteindre les pédales.  » On raconte que ses ailes d’ange le maintenaient en équilibre.

J.S. Bach, Variations Goldberg, par Nicholas Angelich. Un CD Virgin.

PHILIPPE MARION

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