ADN : retour sur une double hélice

La carte d’identité génétique fête ses 50 ans, au moment où le séquençage du génome humain est définitivement achevé. Etonnante histoire d’un grand pas pour la science

ADN,trois simples lettres qui rendent l’individu unique. A pour acide, D pour désoxyribo, N pour nucléique : ce sigle désigne ce que chaque être humain a de plus personnel, le support chimique de son hérédité. Véritable carte d’identité génétique, l’ADN sert à des tests, aujourd’hui très courants. Avec des objectifs variés : confondre un criminel, diagnostiquer la prédisposition à une maladie, prouver une paternité ou identifier les victimes d’une catastrophe.

Ces techniques découlent directement de la découverte faite, voilà un demi-siècle, par le Britannique Francis Crick et l’Américain James Watson. Ces deux chercheurs révélaient l’étonnante structure de l’ADN : deux rubans enroulés autour d’un axe formant ainsi une double hélice (voir le schéma ci-contre). Une révolution pour la biologie !  » La plus grande percée jamais effectuée dans la compréhension de la vie « , écrit Christian de Duve, Prix Nobel de médecine, dans A l’écoute du vivant (Odile Jacob). Le 50e anniversaire de cette avancée scientifique majeure vient d’être célébré à Lyon, lors du Forum BioVision.

Cette découverte est elle-même l’aboutissement de cinq décennies de recherches sur les mécanismes de l’hérédité. En 1903, Walter Sutton, un étudiant en zoologie de l’université Columbia (New York), émet, pour la première fois, l’hypothèse selon laquelle les facteurs héréditaires seraient véhiculés par les chromosomes. Ses travaux sont contestés. Découragé, il n’achève pas son doctorat et devient chirurgien. C’est Thomas Morgan, chercheur en biologie de la même université, qui validera cette théorie en 1910. L’étude de lignées de mouches drosophiles mutantes, dotées d’yeux blancs, lui permet en effet de localiser le gène porteur de l’anomalie. Véritable père de la génétique moderne, Thomas Morgan reçoit le prix Nobel en 1933.

Une question se pose alors : quelle est la substance chimique dépositaire du patrimoine génétique ? Est-ce une protéine ou un acide nucléique ? Longtemps les scientifiques ont privilégié la première hypothèse. En 1944, le Canadien Oswald Avery, de l’Institut Rockefeller (New York), impose la seconde. Conclusion de ses recherches sur la transmission des caractères chez la bactérie : le gène, c’est de l’ADN. La même année, le fondateur de la physique quantique, l’Autrichien Erwin Schrödinger, sort de son domaine d’expertise et publie un essai Qu’est-ce que la vie ? Son idée centrale : la cellule d’un être vivant contient une information génétique qui programme son existence.

James Watson, brillant étudiant de l’université de Chicago, est fasciné par la lecture de ce livre. Il décide de changer de domaine de recherche, abandonne l’étude des oiseaux pour celle des gènes. Pour lui, le mystère de l’hérédité réside dans la structure même de l’acide nucléique. Afin de percer cette énigme, il traverse, à 23 ans, l’Atlantique et rejoint l’université de Cambridge (Angleterre). Dont le laboratoire Cavendish est pionnier dans la cristallographie aux rayons X, celle qui permet de visionner les molécules en trois dimensions. Il y rencontre Francis Crick, de onze ans son aîné. Une de leurs collègues, Rosalind Franklin, a réalisé un remarquable cliché de l’ADN, suggérant la  » double hélice « . A son insu, Crick et Watson en prennent connaissance (voir l’encadré ci-contre). Cette image leur permet de compléter leurs travaux. En duo, ils écrivent un court article décrivant leur théorie. La revue Nature le publie dans son numéro du 25 avril 1953.

Au départ, la publication de Nature n’aura pas un grand retentissement. Cinq mois plus tard, un nouvel article, plus complet, est diffusé. Mais la communauté des biologistes ne prendra conscience de la portée de la découverte que quelques mois après, lors d’un congrès où James Watson, la chemise hors du pantalon, dans un style inimitable, fait forte impression. L’ère de la biologie moléculaire commence. D’autres avancées viendront, par la suite, préciser le fonctionnement du code génétique. En 1960, notamment, le Britannique Sydney Brenner et le Français François Jacob mettent en évidence l’ARN (acide ribonucléique) messager, la molécule qui permet la production des protéines (agents actifs de la vie et de la forme cellulaire) à partir de l’information contenue dans l’ADN.

Seulement 25 000 gènes chez l’homme

L’importance de la découverte de la double hélice tient moins dans la forme torsadée que dans la dualité des rubans. Ceux-ci contiennent la même information,  » sous des formes positives et négatives « , selon la métaphore photographique de Christian de Duve. Cette structure simple rend possible le stockage et la transmission de l’information génétique.

En 1953, Francis Crick proclamait :  » Nous avons découvert le secret de la vie.  » Cette vision a longtemps dominé la pensée des biologistes. Cette sacralisation réductionniste du gène est aujourd’hui contestée. Michel Morange, professeur à l’université Paris VI, consacre à ce sujet un passionnant ouvrage, La vie expliquée ? 50 ans après la double hélice (Odile Jacob). Il s’insurge contre ceux qui assimilent le programme génétique de l’organisme à un programme d’ordinateur.  » Alors que les séquences complètes des génomes s’accumulent à grande vitesse, écrit-il, nous n’en savons pas beaucoup plus sur la vie que lorsqu’elles étaient totalement ignorées.  »

Les résultats définitifs du décryptage du génome humain û qui viennent d’être publiés û vont dans ce sens. Lorsque l’opération de séquençage a été lancée, en 1990, les biologistes estimaient le nombre de gènes chez l’homme à environ 150 000. On n’en a finalement trouvé que 25 000. Seulement 12 000 de plus que dans la mouche drosophile ! L’ordre du vivant est donc non pas dans la structure des composants moléculaires, mais dans les relations complexes et coordonnées de ces éléments de base. James Watson en convient aujourd’hui. Pour lui, l’ADN n’est plus qu’un  » outil « . l

Jean-Marc Biais

ôLa plus grande percée effectuée dans la compréhension de la vie »

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