Bush-Chirac : deux visions de l’ONU

Thierry de Montbrial est directeur général de l’Institut français des relations internationales (Ifri) et auteur de Quinze Ans qui bouleversèrent le monde. De Berlin à Bagdad (Dunod, octobre 2003)

L

‘unilatéralisme américain est-il une fatalité ou comme le pense la France, peut-on forcer un retour au multilatéralisme ?

E Non, on ne peut pas forcer un retour au multilatéralisme, et les discours de George W. Bush et de Jacques Chirac à l’ONU montrent bien à quel point leurs visions sont incompatibles. Les Américains considèrent l’ONU comme un instrument parmi d’autres de la politique internationale. Mais, à leurs yeux, il n’y a rien au-dessus des Etats, et plus précisément au-dessus des Etats-Unis ! La France d’aujourd’hui, ce qui n’était pas le cas à l’époque du général de Gaulle, estime, en revanche, qu’il doit y avoir un système international de droit, c’est-à-dire un Conseil de sécurité dont les membres permanents devraient constituer une sorte de directoire de la planète. Or, cela, je peux vous assurer que les Américains ne le voudront jamais !

Vous écrivez dans votre récent ouvrage que, si l’Europe ne parvient pas à s’organiser, le temps des malheurs reviendra…

E Quand un tissu commence à se défaireà Nous avons bien vu sur le continent européen, dans les années 1990, que des choses que l’on croyait définitivement abolies pouvaient se reproduire, comme ce fut le cas avec la décomposition yougoslave et son cortège d’horreurs. Tout peut se produire, tout peut se reproduire. Au risque de choquer, je crois que même le retour au nazisme fait partie du possible. Le devoir de mémoire, c’est se souvenir du passé pour essayer de s’organiser au mieux afin d’en éviter la répétition. Et, si nous laissons se décomposer l’Union européenne, tout est possible…

Fallait-il faire la guerre en Irak ?

E Je ne dis pas qu’il fallait la faire, mais la situation actuelle en Irak, quoique extrêmement préoccupante, n’a pas que du mauvais. Cela aidera peut-être les Américains à aborder de manière plus équilibrée les autres problèmes qui vont se présenter : je pense à l’Iran et à bien d’autres.

La France est-elle un pays en déclin ?

E La France doit résoudre ses problèmes intérieurs, pour le bien-être de sa population, mais aussi pour dégager de véritables marges de man£uvre qui lui permettent d’agir dans le monde. Car c’est bien de faire des discours, mais, si l’on n’a pas les capacités, notamment dans les domaines militaire et économique, le verbe ne permet pas, à lui tout seul, d’aller très loin ! l

De notre envoyé spécial

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire