Les fantômes de Gaasbeek

Guy Gilsoul Journaliste

Au château de Gaasbeek, à Lennik, une exposition  » théâtrale  » joue sur tous les tableaux de l’émotion pour ressusciter l’âme de trois illustres hôtes. Poussez la porte du rêve.

En 2005, le Britannique Bill Mitchell fonde WildWorks, une compagnie théâtrale dont le but est d’investir des lieux afin d’en exprimer l’esprit. La mise en scène mêle les couleurs, les lumières, les sons, les meubles, les étoffes, les fleurs, les mannequins et même l’un ou l’autre acteur discret. Entre installations et performances, créations d’objets et détournements, l’art des membres de ce collectif fait appel aux yeux, aux oreilles mais surtout, comme ils le notent,  » au coeur « . A leur actif ? Des sites industriels abandonnés, des quartiers laissés pour compte, des hangars oubliés et aussi des palais  » enchantés  » comme celui de Kensington, à Londres, en 2010. Leur méthode : une étude préalable et rigoureuse de l’histoire du bâtiment et de ses habitants. Vient ensuite l’écriture d’un scénario poétique.

Au château de Gaasbeek, l’équipe de WildWorks explore tout un monde né voici 800 ans. Régulièrement abandonnée, voire détruite, la forteresse accueille, en 1565, le célèbre Lamoral (1522-1568), comte d’Egmont, décapité, trois ans plus tard, sur la Grand-Place de Bruxelles, avec le comte de Hornes sur ordre du duc d’Albe. A la fin du XVIIIe siècle, un richissime italien, le marquis Paul Arconati-Visconti (1754-1821) en fait, lui, sa résidence d’été.

Quant à la Française Marie Peyrat (1840-1923), qui avait épousé le marquis Giammartino Arconati-Visconti en 1873, elle fut la dernière châtelaine. Veuve trois ans après son mariage, elle décide, avec son amant antiquaire, de la restauration complète et quelque peu fantaisiste de la demeure en y accumulant de véritables trésors d’art et quelques leurres :  » En mes murs, lit-on à l’entrée de Once upon a castle, des rêves ont vu le jour…  » Ce sont eux qui guideront le visiteur vers les lumières ou les ombres les plus noires de ces trois vies.

Le parcours labyrinthique (claustrophobes, attention !) débute par une grande salle tapissée de rouge. Au centre, une bien étrange machine posée sur un disque rythmé par les douze signes zodiacaux brille d’ors et de verres. Elle s’élève en tournant légèrement sur elle-même, offrant à voir diverses mécaniques horlogères où s’accrochent miroirs, lampes, billes de cristal, astrolabes et planètes. Ailleurs, sur une large table, ce sont douze pendules et autres horloges de différentes époques qui nous invitent à rejoindre d’autres temps et libérer notre imaginaire.

Premier acte : le comte d’Egmont

Deux armures gardent l’entrée. Au centre d’un tableau ancien, un faisceau lumineux révèle le visage du comte. Au sol, le long des murs, une ligne de roses séchées nous guide vers l’épilogue de son funeste destin. L’espace s’assombrit. A la fenêtre, une silhouette est voilée de noir alors que gisent, couchées, diverses statues brisées. C’est alors qu’un acteur, couvert d’une tunique grise d’un temps révolu et jusque-là demeuré immobile, se lève, rejoint une niche devant laquelle il s’agenouille et entame une prière devant une tombe surmontée d’une croix chromée. Chevalier de l’ordre de la Toison d’or et serviteur du roi Philippe II d’Espagne, le comte d’Egmont avait osé en effet s’opposer à son maître catholique en défendant la cause d’un protestant condamné à mort. Sa dépouille, ou plutôt un portrait peint couché sur un lit de roses rouges nous attend dans la salle voisine avec, pour décor, des vases d’où s’échappent des bouquets de tiges auxquelles manquent les fleurs. Devant une fenêtre, une femme sans tête dont la robe si longue se répand sur un tiers de la chambre s’est assise. Mais qui est, plus loin, ce chevalier sans visage dont la particularité est de posséder quatre mains ? On songe au pouvoir des mannequins de l’époque surréaliste. Le climat se précise, inquiétant.

Deuxième acte : Paul Arconati-Visconti

Avec lui revient la lumière. La chambre est blanche, comme les draps du lit pour l’occasion éclairés du dessous par la magie de l’électricité. Une gardienne toute en gris berce un bébé en chantant avec douceur puis se lève, ferme les volets intérieurs et pose l’enfant (illuminé à son tour) sur le lit. Paul Arconati-Visconti rêve. Il rêvera toute sa vie. Son destin le fera voyageur et écrivain à la fois documentaliste et philosophe, voire visionnaire. Car il veut tout connaître du vaste monde et tout partager de ses observations, comme nous le révèle la séquence suivante. Dans ce salon, enroulé sur elle-même à la manière d’une spirale ascendante, se découvre sa passion des voyages via une sculpture en papier au coeur de laquelle se dressent ici un navire, là, une pyramide ou encore un arc de triomphe, un pavillon chinois ou une carte de géographie. Dans la pièce d’à côté, l’aventure vire à la folie. Un lit couvert de feuilles manuscrites s’est soulevé du sol, des vagues de mots déferlent ailleurs alors que trois longues silhouettes ont été pendues par-dessus un abîme (un escalier interdit). L’excentrique marquis perdait-il la raison ? Sans doute. Ses écrits détaillaient tout autant une recette de macaronis à la tomate qu’un projet politique visant à la paix mondiale.

Troisième acte : Marie Peyrat

Couloirs et escaliers servent d’antichambres à l’univers de cette révolutionnaire pauvre d’origine, richissime ensuite, libertaire autant que libérale, dont on retient surtout la passion pour le bel objet et les contes de fées. Ses  » chambres  » évoquent son goût pour la peinture du XIXe siècle, les meubles Renaissance ou encore le Rococo qui accompagne ses mondanités autant que ses fantasmes. Mais lorsque la vieillesse l’atteint, lorsque la guerre l’éloigne de Gaasbeek et de son dernier amant, elle songe à offrir tous ses biens. Une salle aux murs nus aligne des objets et du mobilier emballés, prêts pour être expédiés vers le musée du Louvre, à Paris. Une autre réunit en cercle, autour d’une vasque de verre et d’un mécanisme d’horlogerie, douze lits d’hôpitaux. Dans la chambre encore, sur un lit à baldaquin, derrière un voile sur lequel sont projetées des images fantomatiques du lieu, des centaines de fleurs aux coloris pâles forment un corps piqueté de bougies blanches…

Once upon a castle, au château de Gaasbeek, à Lennik, jusqu’au 9 novembre. www.kasteelvangaasbeek.be

Guy Gilsoul

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