L’Europe, elle, s’est réveillée

Du nord au sud, la crise de 2008 a forcé les gouvernements à pousser plus avant les réformes et la libéralisation des économies. Et les résultats sont là.

L’austérité paie. C’est, chiffres à l’appui, le message développé par les gouvernements de centre-droit de la péninsule Ibérique aux électeurs, à la veille des législatives qui se tiendront en octobre au Portugal et en décembre en Espagne. Jusqu’à l’an dernier placé sous tutelle d’une troïka (FMI, Commission, Banque centrale européenne), Lisbonne a dû se plier, quatre ans durant, à un sévère plan de rigueur en échange d’une injection de 78 milliards d’euros. Hausse de la fiscalité, baisse des salaires et des pensions des retraités, suppression des primes des fonctionnaires, la potion a été amère. Mais les résultats sont là. La croissance, quoique limitée, est revenue (+ 0,9 % en 2014, 1,6 % prévu en 2015) et, surtout, le chômage est en chute libre – il est passé de 17,5 % à 13 % dans les trente derniers mois.

Le  » feel good factor  » contribue à l’accélération de la reprise

De l’autre côté de la frontière, en Espagne, la quatrième économie de la zone euro, le retournement est encore plus spectaculaire. Si le gouvernement de Mariano Rajoy s’en tient prudemment à son objectif (déjà révisé) d’une hausse de 3,3 % du PIB en 2015, l’économie nationale croît aujourd’hui à un rythme de 4 %. Certes, l’effet de rattrapage joue : le PIB avait baissé de 8 % entre 2008 et 2013. Et, à 22,3 % (contre 26,3 % au début de 2013), le taux de chômage reste le plus haut de la zone euro, après celui de la Grèce. Mais le  » feel good factor « , comme disent les Anglo-Saxons, ce retour autoréalisateur de la confiance sur fond d’inversion de la courbe du chômage, contribue à l’accélération de la reprise. Au deuxième trimestre 2015, l’économie espagnole a ainsi créé 411 000 emplois – un niveau record depuis dix ans. Désormais, Madrid prévoit de revenir en trois ans à un taux de chômage de 10 %. Si la baisse de l’euro a contribué à doper les exportations et la fréquentation touristique (il n’y a jamais eu autant de passagers dans les aéroports espagnols que cet été), le gouvernement Rajoy n’est pas resté inactif – loin de là. Dès 2012, il adopte une batterie de mesures destinées à renforcer la compétitivité des entreprises, qui peuvent licencier plus facilement et s’émanciper de la contrainte des conventions collectives par branches pour leur politique salariale. Au même moment, le gouvernement baisse de 5 % les traitements de ses fonctionnaires et s’attaque à réformer son système de santé.

Espagnols et Portugais n’ont fait qu’appliquer les réformes mises en oeuvre dans le nord de l’Europe, et que la France attend toujours. Pour rétablir la confiance des ménages et des marchés, rien ne vaut un retour à l’orthodoxie budgétaire : cet axiome, théorisé par la chancelière allemande, Angela Merkel, a fait florès. Aux Pays-Bas, la baisse du déficit (1,6 % du PIB, cette année, 0,6 % en 2017) s’est accompagnée d’un retour de la consommation des ménages et de l’investissement des entreprises. Ce cercle vertueux se retrouve en Estonie, pourtant handicapée par les sanctions russes. Le  » consensus de Berlin  » s’exporte même hors des frontières de la zone euro. A peine élu, en 2010, le conservateur David Cameron dénonce l’envolée de la dépense publique (et du déficit) sous le gouvernement précédent et dégaine un ambitieux plan de coupes budgétaires, ministère par ministère. Les effectifs des fonctionnaires sont réduits tout comme les dépenses de fonctionnement. Le public souffre, mais entérine cette purge comme l’atteste la majorité remportée par le Parti conservateur aux élections du printemps dernier. La défaite de l’opposition travailliste doit beaucoup, elle, à la valse-hésitation qui est la sienne : à la différence du Parti social-démocrate allemand, le centre-gauche britannique n’ose pas encore faire pleinement sien ce souci de rigueur budgétaire. Dans le même temps, l’emploi a bondi. Avec 2 millions d’emplois supplémentaires créés en cinq ans (dont 3 sur 4 à temps plein), le taux de chômage outre-Manche est tombé à 5,7 %. Et, contrairement à une idée répandue, le taux des emplois précaires, les fameux  » contrats à zéro heure garantie  » où le salarié dépend de la demande de l’employeur, ne représente que 2 % de l’emploi total. La  » jobs machine  » britannique tourne à plein. Pas question pour autant de relâcher l’effort. Lors de la présentation de son dernier budget, au lendemain de la victoire électorale de son parti, en juillet, le chancelier de l’Echiquier, George Osborne, a fixé comme objectif de rabaisser d’ici à 2020 le poids de la dépense publique de 40 % du PIB aujourd’hui à 36 % (57 % en France, 54,3 % en Belgique). Soit le plus bas niveau depuis la Seconde Guerre mondiale. Mieux que Margaret Thatcher !

Baisse des cotisations sociales contre hausse de la TVA

Faire reculer l’Etat dans l’économie et faire baisser le coût du travail, le mouvement est double et mobilise la politique fiscale des gouvernements. Dès 2007, Angela Merkel a donné le la en abaissant les cotisations sociales qui pèsent sur le travail contre un relèvement de la TVA, qui passe de 16 à 19 %. Le mois dernier, c’était au gouvernement de Charles Michel d’annoncer un allégement substantiel des charges sur les salaires qui sera financé par un relèvement de diverses taxes sur la consommation.

Partout la crise de 2008 a servi de levier pour afficher un même cap : flexibiliser le marché du travail et désamorcer la bombe à retardement du financement des retraites en retardant l’âge du droit à la pension. Londres encourage le développement des travailleurs indépendants et sous-traite le suivi des chômeurs de longue durée à des entreprises payées au résultat, Dublin baisse les indemnités de chômage, Copenhague réduit de quatre à deux ans la période d’indemnisation du chômage, Madrid baisse le coût des licenciements, Lisbonne corrige les effets dissuasifs sur le travail des allocations-chômage. A peu près partout, des Pays-Bas au Royaume-Uni, l’âge du départ à la retraite est relevé à 65 ou 67 ans.

Durcissement des conditions d’indemnisation du chômage, boom des contrats à salaire modéré (les  » mini-jobs « ), essor du statut d’autoentrepreneur : ces réformes reprises en Europe ont au départ été adoptées outre-Rhin entre 2003 et 2005 par le chancelier social-démocrate Gerhard Schröder dans le cadre des lois Hartz, du nom de l’ancien DRH de Volkswagen. La prospérité actuelle de l’Allemagne, où les salaires augmentent, en découle. La plus grande économie d’Europe devrait croître de 2,1 % en 2015, selon les prévisions. Contre toute attente, le plan de charge des usines allemandes a été revu à la hausse en juin. Depuis avril, l’Allemagne bat de nouveaux records à l’exportation en vendant chaque mois plus de 100 milliards d’euros de biens et services au-delà de ses frontières.

L’Europe renoue avec l’optimisme. Le  » sentiment économique  » de la zone euro, l’indice de confiance établi par la Commission européenne, est passé, le mois dernier, au plus haut depuis quatre ans. Ce même mois, l’Irlande a retrouvé son niveau de PIB d’avant la crise : le  » Tigre celtique « , adepte d’une politique de coupes franches dans les budgets, de déflation salariale entre 2008 et 2013 et de révision de son modèle public – le nombre de collectivités locales a été divisé par quatre en 2014 – a enregistré une croissance de 5,2 % en 2014 et attend 4 % de croissance en 2015 et en 2016. Plus la crise a frappé, plus les gouvernements ont fait preuve d’audace dans la réforme.

La Grèce mise à part, seule l’Italie ne parvient toujours pas à s’extirper d’une maladie de langueur décennale. La croissance y est quasi nulle depuis quinze ans. Même si la Banque d’Italie prévoit un sursaut en 2015 et 2016, c’est, dit-elle, sous l’effet principal du  » contexte international  » et de la stimulation monétaire. Est-ce un hasard si cette stagnation frappe un pays où, malgré la fougue réformiste de son jeune président du Conseil, Matteo Renzi, la mise en oeuvre des réformes (marché du travail, réforme des collectivités locales…) se fait toujours attendre, notamment à cause des blocages dus à sa bureaucratie ?

Par Jean-Michel Demetz

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