Paroles de mal-aimés

On ne vante pas souvent ses mérites. On l’accuse même de nombreux maux. On ne la croit pas, on la jalouse, on la suspecte. Et pourtant, on attend d’elle des miracles… L’industrie pharmaceutique ne serait-elle pas celle que l’on croit ?

L’idée d’un débat entre des responsables d’industries pharmaceutiques et Le Vif/L’Express est née chez pharma.be, l’association des entreprises du médicament en Belgique. Une fois le principe accepté, ils ont décidé d’y venir en nombre (6 interlocuteurs de 4 firmes). Le piège aurait été de tomber dans une action de lobbying, de se contenter de relayer les plaintes et complaintes éventuelles. Car ces acteurs économiques sont, aussi, en perpétuelle négociation : ils veulent que leurs trouvailles soient remboursées, au mieux, et le plus vite possible (rentabilité du temps de brevet oblige), par la société (l’Inami) et assurer ainsi (entre autres) de confortables revenus aux actionnaires. Surprise ! Ils n’ont pas tenu ce genre de discours convenus. Ils ont bien lancé deux ou trois piques, regretté diverses  » discriminations « , dénoncé quelques aberrations, esquivé des sujets plus sensibles. Mais ils ont, surtout, parlé de leur passion : mettre au point des molécules qui nous soignent. Ce qui n’est pas une mince affaire.

Voilà donc, grâce à la participation de Geert De Vriese et Michel Vandevelde (respectivement directeur médical et directeur des relations publiques chez Boehringer Ingelheim), Mimi De Ruyck et Xavier Thiriar (elle est directrice, il est manager chez Novartis), Christian Noël (directeur chez Sanofi Aventis), et Hughes Malonne (directeur chez MSD), quelques  » autres  » vérités sur les médicaments. Lors de ce débat, la concurrence industrielle a été, semble-t-il, rangée au placard, avec de fréquentes réponses unanimes. Voilà pourquoi ils parlent ici, généralement, d’une voix commune.

Le Vif/L’Express : Franchement, vous sentez-vous appartenir à une industrie mal aimée ?

E Oui ( NDLR :unanime !).  » Mais si nous sommes mal aimés, c’est parce que nous sommes méconnus. Et pour cause : nous ne communiquons jamais directement avec la personne qui bénéficie de notre produit  » (Mimi De Ruyck). Il existe aussi un paradoxe inhérent à cette industrie : elle doit créer, produire, apporter santé et bien-être mais  » une gêne subsiste entre cette notion sacrée de santé et l’idée que l’on doit la payer et/ou que des sociétés gagnent ainsi de l’argent !  » (Geert De Vriese).

 » La perception du médicament est également faussée par une autre donnée : celui qui choisit le produit ne le consomme pas (c’est le docteur). Celui qui le paie n’en bénéficie pas non plus (c’est la société, via son système de remboursement)  » (Hughes Malonne).

En fait, les utilisateurs réels du médicament comprennent mal la complexité du processus de développement d’une molécule. Mais ceux qui connaissent le mieux le produit, c’est-à-dire les industriels, n’ont pas le droit de communiquer directement et d’informer ainsi ceux qui en profitent !

… ce qui pourrait induire un risque de surconsommation et amener à ne privilégier que les substances qui ont les moyens de se faire connaître ! Les experts qui présentent les nouveaux produits sont des médecins et des spécialistes : ils connaissent la molécule. D’ailleurs, ils ont souvent participé aux études cliniques destinées à les tester. Indirectement, ne parlent-ils pas au nom de l’industrie ?

E  » Un expert, par définition, est aussi quelqu’un qui doute !  » (Hughes Malonne).

Autour du médicament, on rencontre différents partenaires : ils ont des responsabilités en commun. Nous sommes les inventeurs d’une molécule et nous l’étudions en permanence. Si un effet secondaire grave survient sur un malade à Tombouctou, nous le savons. Et nous en informons les autorités.  » Quant aux docteurs, ils sont les experts cliniques et thérapeutiques et donc les plus aptes à décider qui, parmi leurs malades, a besoin de telle ou de telle molécule  » (Christian Noël). Enfin, les autorités, qui donnent leur avis sur le plan de l’économie de la santé, détiennent aussi une partie de l’information : grâce aux médicaments, on évite des hospitalisations, des opérations, des pertes de qualité de vie.

Etre plus transparent sur les études cliniques, baisser le prix des médicaments hors brevet… vous n’avez pas été si prompts que cela pour y parvenir. N’avez-vous pas le sentiment d’être toujours en retard d’un combat et de n’appliquer certaines règles que quand on vous les impose ?

E Nous respectons toutes les lois et allons même souvent plus loin en matière d’information.

La découverte tardive d’effets secondaires dus à des médicaments inquiète souvent le grand public… A raison ?

E  » Si l’aspirine, qui a plus de 100 ans, était proposée aujourd’hui sur le marché, elle serait refusée en vente libre !  » (Michel Vandevelde). Les études cliniques au cours desquelles on teste les nouveaux produits sont menées sur des milliers de personnes. Leurs résultats sont transmis aux autorités compétentes et ils figurent également sur un site Internet ouvert à tous. Cela comporte d’ailleurs le risque de créer parfois de faux espoirs chez des patients en attente d’un traitement et qui suivent nos avancées à la loupe.

Certains effets secondaires sont détectés lors des essais et figurent dans les notices des médicaments. Mais, lorsque ceux-ci sont prescrits à des centaines de milliers ou à des millions de malades, d’autres conséquences se révèlent parfois.  » Le problème, c’est que si, par précaution, la firme retire le médicament de la vente, son produit est soupçonné du pire. Et idem si elle le laisse !  » (Hugues Malonne – dont la société produit le Vioxx).  » Certains médicaments ont objectivement de lourds effets secondaires : pourtant, ils aident considérablement des malades qui n’ont pas d’autre thérapie possible  » (Xavier Thiriar).

Ces six derniers mois, en Belgique, on a enregistré une cinquantaine de génériques (des médicaments dont les molécules, découvertes il y a vingt ans ou plus, ne sont plus sous brevet et peuvent être fabriquées  » librement « ) et seulement 5 nouvelles substances ou des produits avec de nouvelles indications. Un bilan mitigé pour l’industrie pharmaceutique ?

E Il démontre les difficultés de l’innovation ! Et les risques pris par l’industrie quand elle décide de développer un produit : 20 % du chiffre d’affaires de l’industrie sont réinvestis dans la recherche. Aucune industrie ne consacre un tel pourcentage à la découverte ! Sur 10 000 molécules, un seul  » candidat médicament  » émerge des recherches et sera mis sur le marché !

En Belgique, nous gardons l’espoir de voir les délais d’enregistrement et de mise sur le marché d’une molécule diminuer encore. Nous acceptons le principe selon lequel nous devons déterminer préalablement le nombre de malades susceptibles de bénéficier d’un traitement dont nous demandons le remboursement : si les prescriptions dépassent ce seuil théorique d’évaluation, elles sont en partie à charge de l’industrie ! On ne peut donc nous accuser de pousser à la surconsommation de produits nouveaux ou onéreux : cela nous coûterait !

Ce qui est stupéfiant, c’est de voir que les 5 nouveaux médicaments innovants qui viennent d’être admis au remboursement sont soumis à autorisation du médecin-conseil, ce qui complique le travail du prescripteur, retarde les traitements et pousse à restreindre le nombre de ceux qui en bénéficient, en dépit des besoins réels.

 » Le problème, c’est que l’aspect économique domine trop, au risque d’oublier de se poser la question essentielle : quel est le meilleur médicament pour le patient ?  » (Geert De Vriese). Autre injustice ou discrimination : dans certains cas, cette demande d’accord préalable imposée à des médicaments n’est pas exigée aux génériques qui leur ressemblent.  » Où est l’argument de santé d’une telle mesure ?  » (Mimi De Ruyck).

Quand une nouvelle substance, souvent onéreuse, apporte 2 ou 3 % d’améliorations par rapport à des produits déjà enregistrés, n’est-il pas légitime d’hésiter à la rembourser ?

E La question ne se pose pas dans de tels termes ! Il faut cesser de rendre le patient abstrait : chacun est différent. Pour certains, un nouveau produit aura peu d’impact par rapport à un ancien traitement. Pour d’autres, il apportera un grand progrès ou un espoir important. Le vrai débat, ce n’est pas de savoir ce qui est le moins cher, mais ce qui est le plus adéquat pour chacun, sans limiter la liberté de prescription qui permet au médecin de décider, au plus vite, de la thérapie la plus adaptée. Outre certains grands traitements, nous avançons, comme le reste de la médecine, à petits pas. De plus, on découvre souvent, après prescriptions, des indications de traitements insoupçonnées au départ. Voilà pourquoi le remboursement de l’innovation est essentiel.

On prétend que 30 % du prix d’un médicament couvriraient les coût commerciaux : son lancement, sa promotion, sa publicité…

E Ce qu’on ne peut oublier ou nier, c’est que le prix d’un médicament comporte le coût des échecs du passé : celui de toutes les molécules qui ne sont pas devenues des médicaments. Il englobe, aussi, les risques que l’industrie prendra, demain, avec l’espoir de trouver de nouveaux traitements.

Entretien : Pascale Gruber

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