La spirale russe

La crise ukrainienne mène la Russie à un stérile isolement, dont l’accélération du retour à l’autoritarisme aggravera les effets

La Russie va dans le mur, entraînée par nos erreurs et les siennes. Celle de M. Poutine est de s’être grossièrement ingéré dans la présidentielle ukrainienne et d’accuser l’Europe des conséquences de cette bourde.

L’Ukraine est liée à la Russie. Elle en dépend pour ses exportations agricoles comme pour ses besoins énergétiques. Elle lui est consubstantielle par l’histoire, la langue, la culture, par ces millions de familles qui sont à la fois ukrainiennes et russes.

Quelles qu’aient été ses connivences avec l’un des deux candidats en lice, aucune raison d’Etat n’obligeait, donc, le président russe à soutenir l’un contre l’autre. Il pouvait s’entendre avec l’un comme avec l’autre.

Il aurait pu rapprocher plus encore la Russie de l’Ukraine en respectant sa liberté, mais il a choisi de forcer les urnes, oubliant que ce pays était indépendant depuis plus de dix ans, qu’il avait, désormais, une frontière commune avec l’Union européenne et que sa diaspora américaine était trop nombreuse pour que ce comportement ne se paie pas au prix fort.

Aussi ravie que soit la Maison-Blanche de cette cassure entre Ukrainiens et Russes, elle n’est pas son £uvre. C’est le Kremlin qui l’a introduite et Vladimir Poutine ajoute maintenant la faute à l’erreur. Non content d’invectiver les Etats-Unis, d’admettre ainsi qu’il avait eu tort de tant tabler sur eux, il accuse aussi l’Union d’avoir joué, dans cette crise, les supplétifs de l’Amérique. D’un coup, par dépit, impulsivement, comme si gronder tous azimuts pouvait tenir lieu de politique, il met les deux Occidents dans le même sac et rompt avec la constante ambition russe de s’entendre avec l’Europe pour l’éloigner des Etats-Unis.

Où cela mène-t-il la Russie ? A rien. A rien d’autre qu’à un stérile isolement, dont l’accélération du retour à l’autoritarisme ne compensera pas mais aggravera les effets. Ce n’est plus la force de la Russie qui est à craindre. C’est l’impasse où la conduit cet autisme au moment même où l’émergence de l’Union permettrait aux deux pôles de l’Europe d’organiser leur complémentarité économique, d’assurer la stabilité continentale en se renforçant l’un l’autre.

Pour la Russie, pour l’Europe, pour le monde, la cécité du Kremlin est, avant tout, un manque à gagner, mais nous payons là, nous aussi, nos erreurs. Si nous avions su soutenir l’évolution gorbatchévienne au lieu d’investir à fonds perdus dans l’ivresse eltsinienne, si notre propre cécité n’avait pas conduit les Russes à assimiler la démocratie à l’oligarchie et l’économie de marché au vol organisé, nous n’aurions pas rendu Vladimir Poutine inéluctable.

Nous n’aurions pas permis que le plus grand pays du monde, notre voisin, l’un des premiers producteurs de pétrole, soit aujourd’hui gouverné par des sous-officiers sans vision, issus du KGB, nationalistes et brutaux.

Le mal est fait. Peut-être serait-il temps, pour l’Union, d’être sage pour deux, d’arrêter les frais, de savoir proposer un avenir à la Russie.

Bernard Guetta

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