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« Les francs-maçons sont plus nécessaires que jamais ! »

Pierre Jassogne
Pierre Jassogne Journaliste Le Vif/L’Express

Marc Menschaert nous a ouvert les portes du Grand-Orient de Belgique. Grand maître depuis 2015, l’homme est confronté à de multiples chantiers aussi passionnants que périlleux pour l’avenir de la maçonnerie.

Le Vif/L’Express :A quoi sert d’être franc-maçon en 2016, en Belgique ?

Marc Menschaert : Aujourd’hui, plus que jamais, la maçonnerie est nécessaire dans la société, avec ce qui s’y passe. On vit dans un monde de l’immédiateté. On réagit à des impressions, souvent avec des approximations. La maçonnerie est un laboratoire d’idées, une société de réflexion dans laquelle il n’y a aucun tabou. Tout sujet est abordé. La liberté est totale dans un atelier. La richesse de la franc-maçonnerie, c’est que rien n’est imposé. C’est la liberté de chaque frère de tirer ses propres conclusions sur n’importe quel sujet. On ne lui impose rien. C’est le seul endroit dans lequel vous pourrez rencontrer des gens que vous n’auriez jamais rencontrés ailleurs parce que ce n’est pas dans votre cercle d’amis, dans votre famille, dans votre milieu professionnel. On réunit des personnes qui vont d’un extrême à l’autre, que ce soit au niveau politique, idéologique, etc. C’est de cette diversité-là, reposant sur une totale liberté d’expression, qu’on peut se construire soi-même une attitude, une philosophie. Ce n’est que de cette façon-là que le maçon peut avoir une influence sur sa vie, sur la société qui l’entoure.

Vous êtes à la tête de l’obédience la plus importante de Belgique. Vu ce nombre important, il est difficile de savoir ce que pense vraiment le Grand-Orient. Pourtant, on vous prête toujours cette volonté d’influer sur les débats publics.

Le Grand-Orient de Belgique n’est pas une grande pieuvre. Je ne donne pas de coups de téléphone à l’un ou à l’autre pour dire ce qu’il doit penser. Chacun est libre de le faire. Chaque maçon interagit dans la société pour améliorer le monde dans lequel on vit. Nos idéaux sont ceux qui respectent la liberté de conscience, le respect des droits de l’homme, la dignité humaine. La maçonnerie est de ces combats-là. C’est pour cela, et plus que jamais, que la franc-maçonnerie doit intervenir.

Mais comment intervenir quand on est une société, si pas secrète, du moins discrète ?

Nous sommes effectivement une société discrète parce qu’on sait que tout ce qui sera dit dans nos ateliers n’en sortira pas. Prenons un simple exemple : vous auriez un homme politique qui veut vraiment utiliser ce laboratoire d’idées pour essayer les siennes. Il parlera librement parce qu’il sait que le journaliste à côté de lui ne reproduira pas ce qu’il dit en loge. Ce qu’on dit doit rester dans l’atelier, ce qui permet de travailler en toute confiance. L’autre raison, c’est qu’on veut se préserver par rapport à son milieu professionnel où ce n’est pas toujours bien vu d’être maçon. En ce qui me concerne, je travaille chez Umicore. J’ai dévoilé que j’étais maçon uniquement quand je suis devenu grand maître. Je n’en ai parlé qu’à ce moment-là, et quand je l’ai annoncé, cela s’est très bien passé.

L’extériorisation est un vieux débat, et le restera sans aucun doute. Pourtant, certains frères se dévoilent parfois sur certains sujets, au risque de se déchirer sur la place publique. Ce fut le cas ces derniers mois sur la question de l’islam. L’un d’eux se disait même islamophobe.

Sur le débat par presse interposée entre les deux frères, Denis Rousseau (sorti sur levif.be) et Edouard Delruelle (qui y a répliqué dans Le Soir), s’opposant sur l’islam, je regrette évidemment que cela se soit fait de la sorte. Mais je n’en dirai pas plus… Par contre, je pense que, plus que jamais, la franc-maçonnerie est nécessaire au débat quand il s’agit de défendre la démocratie. Les atteintes sont de plus en plus nombreuses en Europe, allant jusqu’à la fermeture des frontières, refusant l’accès aux réfugiés. Ce sont clairement des domaines dans lesquels les maçons interviennent.

Sur ces domaines, il y a l’alliance maçonnique européenne. Vous la dirigez pour le moment. Peut-on parler de lobby à son propos ?

C’est une association d’obédiences qui a comme ambition de défendre nos valeurs auprès de l’Europe et de ses institutions, à l’instar des lobbys religieux. Nous intervenons parce que nous estimons qu’aujourd’hui il faut le faire, alors qu’on assiste à la fermeture des frontières. Où est la dignité humaine quand on ne respecte plus l’article 1er de la Charte européenne des droits de l’homme ? On est en train d’envoyer une série de textes aux institutions européennes à ce sujet. Cela ne signifie pas que nous sommes un parti politique, mais nous travaillons aussi, par exemple, sur le rôle que peuvent avoir l’éducation et l’enseignement pour lutter contre le radicalisme et le fanatisme.

Ce sont des sujets aussi très locaux. Prenez le cas de Bruxelles, par exemple.

Tout à fait. À partir du moment où vous mettez dans des classes uniquement des enfants issus de l’immigration, dans une école où ils n’auront aucune chance en sortant parce qu’on n’arrive pas à les aider, on a un rôle à jouer. J’admets volontiers que le combat de la franc-maçonnerie pour un enseignement public, gratuit et de qualité, on l’a en partie raté sur certains points. Il reste du travail à faire. Le problème est aussi européen, ce n’est pas uniquement Bruxelles ou la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Le 29 mai, le Grand-Orient de Belgique organisera une rencontre publique avec le président de la Conférence des imams de France. Tout cela après les attentats de Bruxelles.

Oui, surtout qu’il s’agit d’un débat difficile. A mes yeux, il est important qu’on puisse montrer à ceux qui ne sont pas maçons le type de discussion qu’on peut avoir en franc-maçonnerie dans l’écoute et le respect, en évitant les idées simplistes et les amalgames qu’on peut avoir à propos de l’islam. Ces actes barbares sont le fait d’une minorité. L’islam est une religion de tolérance. Mais, comme pour l’éducation, il faut avoir une réflexion de fond, arrêter ces discussions de café du commerce, ces idées réductrices, et je pense que la franc-maçonnerie peut jouer un rôle.

Vous n’allez dialoguer qu’avec des représentants musulmans. C’est impossible avec des catholiques, par exemple ?

Nous sommes ouverts au dialogue. Nous n’avons rien contre les religions et nous respectons les convictions de chacun. Je suis disponible si l’archevêque de Malines-Bruxelles veut débattre avec moi. Je suis même prêt à aller jusqu’à Malines (rires). Par nos convictions, nous ne pouvons être ouverts qu’au dialogue. Les religions existent, il faut dialoguer avec elles. Ceci dit, elles veulent peser de plus en plus dans la société. Je ne m’attends pas à ce que les responsables religieux suivent tous nos idéaux, mais je suis vraiment ouvert au débat. C’est à l’image-même du maçon. Il n’y a aucun groupe en Europe qui a le même type de démarche que le nôtre. C’est un lieu sans tabou, et cela apporte beaucoup plus que ce qu’on peut rencontrer dans le monde profane. Plus que jamais, je suis persuadé qu’on est nécessaire dans une société qui bat en brèche nos valeurs. On est plus utiles à la société qu’hier.

La menace est donc extérieure…

Honnêtement, avec ce qui se passe autour de nous depuis deux, trois ans, je pense que nous dérangeons. Ce ne sont peut-être plus les mêmes ennemis qu’hier. Mais cela ne change rien. On dérange parce que nous sommes une société libre, qui s’exprime sans tabou. Certains maçons peuvent se sentir menacés. Il faut l’entendre et le respecter. Dans la société telle qu’elle évolue aujourd’hui, nous devons faire attention parce que le poids des partis populistes et d’extrême droite est toujours plus important.

L’intégralité de l’entretien dans le hors-série du Vif L’Express (100 pages) « Etre franc-maçon en Belgique en 2016 », actuellement en librairie

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