UN MARCHÉ TRÈS CONVOITÉ

Confrontés à une forte hausse de la demande, les laboratoires belges négocient des stocks d’huiles essentielles aux quatre coins de la planète. Un business où la concurrence est rude.

La production d’huiles essentielles n’arrive plus à satisfaire la demande. En cause : l’engouement pour les matières premières naturelles, le boom du marché de l’aromathérapie et l’incapacité de certaines régions d’exploitation à produire plus. Résultats : des hausses de prix et des opérations spéculatives. Il existe d’ailleurs une bourse aux matières aromatiques, comme il y en a pour le cacao, le café ou le coton.  » Les quantités produites dépendent de paramètres liés à la nature et à la géopolitique, explique un expert : une sécheresse, des feux de forêt, l’instabilité politique ou la corruption dans la région de production peuvent faire flamber les prix.  »

Si la demande explose, c’est aussi parce qu’aux pays consommateurs traditionnels – Royaume-Uni, France, Allemagne, Belgique francophone, Suisse, Italie, Espagne, Portugal… – s’ajoute, depuis peu, des nations émergentes : le marché américain décolle et la Chine n’est pas en reste.  » Une firme américaine cherche à mettre la main sur d’énormes quantités d’huiles essentielles de giroflier et d’immortelle « , révèle un spécialiste du marché. Une certitude : si, demain, l’aromathérapie se répand dans la pratique médicale occidentale, les volumes disponibles d’huiles essentielles seront totalement insuffisants. Et cela, même s’il reste sur la planète des surfaces non exploitées qui pourraient accueillir des cultures de plantes aromatiques. Les besoins risquent d’autant plus d’exploser que l’on a désormais recours à l’aromathérapie non seulement pour soigner les hommes, mais aussi pour traiter les animaux et même les plantes. Une société belge met ainsi actuellement au point une huile biocide à pulvériser sur des plantes malades.

Avoir la confiance du producteur

Confrontés à cette hausse de la demande, les laboratoires belges envoient leurs émissaires négocier des stocks aux quatre coins de la planète.  » Un jour, je suis au Maroc avec un distillateur local pour acquérir une tonne d’huile essentielle d’origan, raconte l’un de ces envoyés très spéciaux. Un autre jour, je pars à la rencontre de cultivateurs corses d’hélichryse, ou de producteurs malgaches de menthe poivrée. Nous tentons d’établir une relation de confiance pérenne avec nos partenaires fournisseurs.  » Pour sécuriser ses approvisionnements jugés stratégiques (ravintsara, saro…), la firme belge Pranarôm a créé une filiale à Madagascar, pays où elle a acquis une plantation de 50 hectares. De même, elle finance, en Corse, des récoltes d’hélichryse, plante rare dont la culture est liée à un biotope particulier.

 » Le thym tujanol, l’hélichryse et d’autres produits de niche sont difficiles à obtenir, constate Dominique Baudoux, patron de la société wallonne. Il faut anticiper la production, car une plante met plusieurs années à prendre du volume. Il ne faut jamais dépendre d’une seule source d’approvisionnement. Si l’origan manque au Maroc, je dois être sûr d’en trouver en Grèce.  » Les revers, Dominique Baudoux connaît : en septembre 1992, sa société perd 100 000 plants de thym tujanol à Vaison-la-Romaine, lors de la crue exceptionnelle de l’Ouvèze. En juillet 2003, le jour de la récolte d’hélichryse italienne en Corse, il apprend que son principal producteur local est arrêté par la police dans le maquis : l’homme n’est autre que l’assassin du préfet Erignac ! En juin 2013, 60 000 géraniums et 10 000 ravintsara de son exploitation malgache sont grillés en une seule nuit par le gel. La température est tombée en quelques heures de 15 à – 6 degrés !

De puissants groupes industriels

La concurrence est donc rude entre laboratoires du secteur des huiles essentielles, mais aussi et surtout entre ces derniers et les grands groupes industriels. Le marché de l’aromathérapie ne représente en effet que 3 à 4 % du commerce mondial des huiles essentielles. Les principaux utilisateurs mondiaux sont les industries de la parfumerie fine, de la cosmétique (savons, shampoings, gels douche, crèmes) et du nettoyage. Ces firmes industrielles recourent en général à des huiles de synthèse, mais certaines commercialisent aussi des eaux de toilette bio et autres produits aux huiles essentielles naturelles.  » Ainsi, la marque de cosmétiques L’Occitane achète une partie non négligeable de la production d’immortelle, constate un spécialiste. De même, Coca-Cola rafle la production turque d’origan.  » Car l’industrie agroalimentaire utilise, elle aussi, des huiles essentielles, comme exhausteurs de goût ou pour leurs fragrances.

PAR OLIVIER ROGEAU

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