Des taches brunes à effacer

Sans commune mesure avec la déferlante du Vlaams Blok, au nord du pays ( lire les analyses en page 34), de vilaines taches brunes sont venues salir la carte électorale de la Belgique francophone, dimanche dernier. Parti d’extrême droite, le Front national (FN) a doublé le nombre de ses élus au parlement bruxellois (il passe de 2 à 4 sièges) et quadruplé ses sièges à l’assemblée wallonne (de 1 à 4).

Une vaguelette. Avec un score de 8,1 % en Wallonie et de 5,4 % à Bruxelles, le FN reste un petit parti. Isolé sur la scène politique et médiatique, il est et restera hors jeu, et rien n’indique que ses élus se montreront, durant cette législature, moins insignifiants que sous la précédente. A Bruxelles, les deux députés bruns n’ont jamais ouvert la bouche en cinq ans, se contentant d’arriver dix minutes avant les votes de 17 heures pour repartir sitôt le bouton pressé. Il leur fallait, en effet, accomplir ce travail minimum pour toucher les indemnités parlementaires. A Namur, où cette règle n’est pas de mise, le député FN doit garder comme un trophée la page de son agenda indiquant le 16 février 2000 : c’était, à cette date, la seule des 77 séances de vote à laquelle il a daigné participer, selon un comptage arrêté fin avril. Tout cela indique assez que les extrémistes ne pèseront pas lourd au Sud et qu’il n’y a pas lieu de surestimer politiquement le phénomène. Les francophones ne sont pas confrontés soudain à l’hydre de la xénophobie triomphante.

Pour autant, il ne faudrait pas fermer les yeux sur des réalités sous-régionales parfois inquiétantes et ignorer les messages implicites de ces votes extrêmes.

Pourquoi quelque 180 000 francophones ont-ils choisi le FN ? Avec, en plus, les 10 000 voix du Front nouveau de Belgique, vieille dissidence du FN, l’extrême droite a recueilli en Région wallonne davantage de suffrages que les Ecolos. Dans le canton de Charleroi, le Front national s’est classé en deuxième position derrière le PS. A Bruxelles, il dépasse Ecolo dans les cantons d’Anderlecht et de Molenbeek.

Le vote FN ne relève pas d’une adhésion à un projet. Comment cela serait-il possible, d’ailleurs, concernant un parti sans programme régional et communautaire spécifique, sans leader, sans visibilité et sans cohérence interne ? Mélange de racisme, de nostalgie du temps jadis, de protectionnisme économique et de moralisme flou, les 36 pages qui lui tiennent lieu de programme enfilent des perles comme  » le rétablissement des frontières entre Etats membres « ,  » récompenser les parents belges et autres européens qui, en se consacrant à l’éducation de leurs enfants, libèrent des postes de travail « , ou  » mettre fin au financement de productions culturelles qui heurtent le bon goût et sont soumises au conformisme cosmopolite et marxiste « . Contrairement aux électeurs du Vlaams Blok, dont beaucoup ne se prononcent pas seulement contre les partis en place mais aussi pour les promesses d’un nationalisme égoïste, des francophones votent FN parce que Verhofstadt annonce 200 000 emplois tandis qu’eux perdent le leur ; parce que l’ancien ministre Daniel Ducarme a négligé ses devoirs fiscaux ; parce que des voyous lancent des pavés sur les autobus ; parce qu’il y a trop de ministres ; parce que les non-Européens pourront voter un jour dans leur commune ; parce qu’ils n’ont pas de nouvelles de leur plainte en justice après une agression… Réceptacle du  » vote-bras d’honneur « , le FN est le parti des dégoûtés, des sans-repères, de ceux qui s’abstiendraient si le vote n’était pas obligatoire, et dont certains, vraisemblablement, avaient donné leur voix à Ecolo en 1999 avec le même état d’esprit.

Face à cette nouvelle donne électorale, il n’y a pas 36 solutions. Tant pis pour la banalité du propos, mais les partis démocratiques, dans la majorité comme dans l’opposition, portent la responsabilité d’effacer demain û on vote pour les communales dans deux ans û les taches brunes de la carte. C’est une question de politique concrète, avec des priorités économiques et sociales débarrassées des petits jeux de pouvoir. C’est aussi une affaire de comportement. Et là, les états-majors des partis ne sont pas les seuls concernés. Le fonctionnaire, le policier, le journaliste, le syndicaliste, l’employeur, le juge ou l’enseignant ont chacun quelque chose à faire.

de Jean-François Dumont Rédacteur en chef adjoint

Côté francophone, le poids politique de l’extrême droite restera négligeable. Mais il faut écouter le désarroi de ses 180 000 électeurs et assurer, partout, les priorités économiques et sociales

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