Vol H5N1 pour Bruxelles

L’arrivée de la grippe aviaire en Belgique semble inéluctable. De là à croire qu’elle créera une hécatombe parmi les oiseaux sauvages et domestiques, il y a un pas. A ne pas franchir, sauf… si le virus révèle des surprises

C’est une sacrée saison qui s’annonce. Si les derniers frimas de l’hiver sont encore bien présents, le printemps, lui, risque d’être chaud sur le front de la grippe aviaire. A priori, en effet, les nouvelles sont mauvaises. Et, en Belgique, la médiatisation de ces derniers jours sur les mesures de confinement des oiseaux domestiques ne fait que renforcer cette impression. Il faut dire que l’Europe tout entière se prépare aux grandes migrations printanières : des millions de volatiles sont en train de s’ébrouer, depuis la France et l’Espagne jusqu’au sud du Sahel, avant d’entamer leur vol de retour vers leur aire de reproduction, chez nous ou dans le Grand Nord ( voir l’infographie ci-contre). La découverte récente, en France (département de l’Ain), d’un fuligule milouin malade, un petit canard plongeur bien connu dans notre pays, a confirmé la tendance observée depuis le début du mois : la grippe aviaire se rapproche inexorablement de la Belgique. A vrai dire, pas un spécialiste, chez nous, n’oserait parier une plume sur nos chances d’échapper à la progression du H5N1 parmi la faune sauvage. Au vu des routes migratoires suivies traditionnellement par les cygnes, les oies et les canards (les principales espèces connues qui, à ce jour, propagent le virus), la Belgique, les Pays-Bas et la Grande-Bretagne seront probablement à ranger, d’ici peu, sur la liste des pays touchés par la  » peste  » aviaire.

Panique à bord ? Pas si vite. A force de braquer tous les projecteurs sur les oiseaux migrateurs, on en oublierait presque le rôle des autres facteurs favorables à la propagation du virus : le commerce, le transport, le trafic de volatiles. Il y a deux semaines, on ne parlait que de ces causes  » humaines « . Il a fallu la découverte de plusieurs dizaines de cygnes malades, notamment en Italie et en Slovénie, pour qu’on réalise l’importance de ce nouvel élément dans le puzzle de l’influenza H5N1. Mais cette pièce-là s’avère bien étrange et, en réalité, plonge les scientifiques dans la perplexité. Si la présence de cygnes malades dans le sud de l’Europe est parfaitement explicable par les conditions météorologiques récentes, la découverte d’un fuligule malade dans l’Ain, à cette période de l’hiver, reste, elle, incompréhensible.  » De ce qu’on connaît des trajets migratoires de cette espèce, ce canard a vraisemblablement passé tout l’hiver dans le sud de la France et aurait dû, à la limite, tomber malade en automne. Mais pas à cette époque-ci « , commente Walter Roggeman, ornithologue à l’Institut royal des sciences naturelles de Belgique (IRSNB). Même mystère pour les cygnes morts sur l’île de Rügen (Allemagne) : en aucun cas, dans l’état actuel des connaissances, cette population baltique ne peut avoir croisé celle qui fréquente traditionnellement le sud de l’Europe, la voie d’entrée du virus sur le continent.

La découverte d’un autre fuligule, appelé  » morillon  » celui-là, au même endroit que les cygnes allemands, est tout aussi curieuse. Cette espèce est capable de parcourir, d’un seul coup, de grandes distances : cet oiseau serait-il l’un de ces volatiles porteurs du virus (et, donc, susceptibles d’infecter ses congénères) sans manifester le moindre signe clinique de la maladie, comme l’annonçait récemment l’Académie des sciences américaines ( lire Le Vif/L’Express du 17 février 2006 ) ?  » A part l’une ou l’autre exception troublante, tempère Thierry van den Berg, responsable du diagnostic de la grippe aviaire en Belgique (Cerva), les oiseaux sauvages ne donnent pas l’impression d’être très infectieux. En outre, lorsqu’ils sont malades, ils semblent excréter peu de virus. Même sur les lieux de grands rassemblements de cygnes, où des animaux malades ont été trouvés récemment, peu d’individus meurent ou montrent les signes cliniques de la maladie. Et, bien que l’eau soit le facteur idéal pour la propagation de la maladie, peu d’espèces, au total, semblent atteintes par le H5N1. Il n’y a pas, à ce stade, d’explosion du phénomène. Un peu comme si la nature reprenait spontanément le dessus.  »

Au rayon des bémols à apporter à l’inquiétude ambiante, le recours aux connaissances ornithologiques de terrain s’avère également précieux.  » Qu’il s’agisse des passereaux ( NDLR : non concernés, semble-t-il, par la grippe aviaire) ou des oies et des canards, la Belgique compte, à l’échelle mondiale, très peu de sites remarquables pour les haltes migratoires, explique Jean-Paul Jacob, collaborateur scientifique chez Natagora. Au printemps, une grande partie des oiseaux passe à plusieurs centaines, voire à plusieurs milliers de mètres d’altitude. Biologiquement prêts, ils sont pressés d’occuper les meilleures places pour la reproduc-tion. » A l’IRSNB, le son de cloche est de la même veine :  » Décimés par l’hiver, les oiseaux sont moins nombreux à migrer, commente Walter Roggeman. De plus, contrairement à l’automne, où ils longent davantage les côtes, ils coupent court à travers toute l’Europe, limitant leurs haltes  » ( voir l’infographie 15.). Cela n’exclut pas, pourtant, un scénario plus pessimiste pour les prochains jours : la découverte d’animaux morts en Espagne, au Portugal ou dans l’ouest de la France, voire au Sénégal ou en Mauritanie. Bref, plus à l’ouest, là où se concentrent une bonne partie des oiseaux d’eau qui nicheront, bientôt, dans nos régions.

A l’heure actuelle, essentiellement les anatidés (cygnes, oies, canards) semblent atteints par la maladie. Si l’on a vu des rapaces charognards se délecter d’oiseaux malades de l’influenza H5N1, ils se révèlent en fait des  » culs de sac épidémiologiques  » : malades, ils ne contaminent pas d’autres volatiles. C’est l’un des nombreux mystères de cette maladie, finalement peu connue sous sa forme la plus pathogène, que les vétérinaires sont impatients d’étudier via des programmes européens. En attendant, une chose est sûre :  » Accentuer la pression de la chasse sur les migrateurs constituerait une parfaite absurdité, explique Walter Roggeman. En effrayant les animaux, on favoriserait leur dispersion et… celle du virus dans la nature.  »

Philippe Lamotte

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