La Syrie ou l’affreux compromis

Comment arrêter le carnage tout en évitant, pour l’heure, d’évoquer le sort d’Assad ?

Un pays tout entier est en train de disparaître en tant qu’entité constituée, à la grande honte d’un concert international qui n’a fait que cristalliser les conditions de son impuissance. En Syrie, le chiffre de 80 000 victimes est d’ores et déjà dépassé, près de 6 millions d’habitants ont quitté leurs lieux de vie et le flux des réfugiés gagne les Etats voisins, menaçant d’explosion tout le Moyen-Orient.

D’une part, la carte des zones occupées par les insurgés et des régions encore contrôlées par les forces gouvernementales évoque une peau de léopard qui laisse encore largement l’initiative à ces dernières : plus rien n’arrête le régime, ni le bombardement des hôpitaux ou de mosquées millénaires par l’aviation ni l’emploi de l’arme chimique contre les populations. D’autre part, les signes d’extension du conflit crèvent les yeux : implication croissante du Hezbollah libanais au côté du régime de Damas, attaque d’Israël sur le sol syrien pour empêcher des transferts de missiles iraniens en direction du Hezbollah, attentat massif perpétré en Turquie (dans la zone territoriale de l’ex-sandjak d’Alexandrette, revendiquée de tout temps par la Syrie), déstabilisation de la Jordanie, qui subit l’afflux le plus important de réfugiés syriens.

Le scénario de l’enfer, qu’avait promis Bachar el-Assad, est impeccablement en cours d’accomplissement et marque, si l’on peut dire, la réussite d’une clique qui a délibérément choisi le pire – et qui s’y tient. Il faut avoir l’honnêteté de l’admettre : le régime de Damas est, à la faveur du chaos total, en train de se reconstruire par le déchiquetage et la désolation. Pour preuve, l’embarras des rebelles après la dernière attaque israélienne, qui les contraint à désavouer la pire des agressions étrangères, celle de l' » ennemi sioniste  » commun, alors même qu’elle a pour effet de frapper le régime qu’ils combattent eux-mêmes.

Face au carnage, il n’est aucune initiative diplomatique qui n’ait échoué. Dans ce contexte, le nouveau dialogue entamé par les Etats-Unis et la Russie représente le dernier expédient. Sûrement pas en raison des espoirs qu’il soulève : la parole d’Obama est relativisée, puisque celui-ci avait défini l’emploi d’armes chimiques comme la ligne rouge au-delà de laquelle les Etats-Unis interviendraient militairement ; quant aux Russes, ils viennent de confirmer une nouvelle livraison de missiles à Damas. Mais l’impasse due au cynisme des vieilles superpuissances est telle que leur point d’entente reste la clef d’un déblocage. En l’absence de toute ligne de conduite de la part de la communauté internationale, l’idée de provoquer un deuxième rendez-vous à Genève, après celui de juin 2012, avec pour objectif de chercher une solution négociée autour d’un gouvernement de transition en Syrie, reste la seule hypothèse de travail. Moscou et Washington ont en commun de ne pas vouloir la dislocation de la Syrie, mais divergent sur les moyens d’y parvenir. Reste donc à trouver comment arrêter le carnage tout en évitant, pour l’heure, d’évoquer le sort d’Assad, ce qui contient un sinistre corollaire : peut-on faire admettre à l’opposition syrienne, qui n’offre toujours aucune garantie d’unité, que le départ du tyran ne peut plus constituer un préalable ? Plus qu’un dénouement improbable, un processus serait déjà une avancée.

Il en ressort que Vladimir Poutine a bel et bien réussi à s’imposer au fil des événements comme le leader de la crise syrienne. Recevant tour à tour le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, et le Premier ministre britannique, David Cameron, il a attiré toutes les parties sur son terrain. Entre autres effets désolants, la position de la France, qui s’est escrimée de plusieurs façons à structurer l’insurrection syrienne et à en faire émerger un leader, figurera tristement au registre des bonnes intentions – périmées.

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