Ces riches Suisses qui vont chercher leur bonheur fiscal à l’étranger

La Suisse, un paradis ? Certains Helvètes préfèrent s’installer sous des cieux à l’imposition plus douce. Comme le Royaume-Uni, le Portugal, Chypre ou en Asie.

Un vrai chassé-croisé : ils sont étrangers, riches, et sont venus en Suisse pour y profiter d’un forfait fiscal. Ils sont Suisses, fortunés, et sont partis à l’étranger pour payer, eux aussi, moins d’impôts. Leurs destinations : le Royaume-Uni, le Portugal, Chypre, ou encore les micro-Etats de Monaco et Andorre. Ils ont également choisi des lieux plus éloignés comme les Emirats arabes unis ou Singapour.

Rien de plus normal, diriez-vous, que le nomadisme fasse partie intégrante de la vie d’un homme d’affaires. Lorsque ces itinérants contemporains posent un pied sur terre, c’est pour développer leurs activités. Mais – curieux hasard ? – ces points de chute connaissent souvent une fiscalité des plus douces, notamment lorsque l’on est étranger, particulièrement quand on est riche.

 » La Suisse est l’un des derniers pays d’Europe à connaître l’imposition sur la fortune, relève l’avocat genevois Thierry Boitelle, de l’étude Bonnard Lawson. Une relocalisation devient intéressante fiscalement à partir d’une fortune de 20 millions de francs suisses ou d’un revenu annuel de 400 000 francs (NDLR : 16,2 millions d’euros ou 332 800 euros) « , poursuit-il.

Impossible, toutefois, d’évaluer avec précision le nombre de départs.  » Comment voulez-vous que nous sachions si une personne quitte la Suisse pour des raisons fiscales ? » plaide un porte-parole de l’Administration fédérale des contributions (AFC). Aucune statistique n’existe au niveau fédéral.

Des indices permettent cependant de se faire une idée de l’ampleur du phénomène. Le Département genevois des finances a, par exemple, enregistré en 2013 le transfert de 22 contribuables pour Monaco, principauté qui ne connaît pas d’impôt sur le revenu ni sur la fortune. De même, 154 personnes ont déménagé au Royaume-Uni, un pays qui permet de réduire parfois considérablement la charge fiscale individuelle grâce au statut de  » résident non domicilié  » (resident non domiciled ou resident non-dom, pour les familiers de la question).  » Nous ne pouvons dire, souligne le Département, combien sur ce nombre ont pu obtenir un statut de résident non domicilié.  »

Les destinations favorites

Les spécialistes de la relocalisation fiscale pour les personnes physiques ont cependant une idée assez précise des points de chute favoris des Suisses. En premier lieu, Londres et ses environs, grâce au statut de resident non-dom. Combien sont-ils ? Difficile à estimer la part d’Helvètes parmi les plus de 100 000 bénéficiaires de ce statut. Mais parmi eux, l’on trouve des poids lourds des affaires comme Jean-Claude Gandur, le fondateur de la société de courtage pétrolier Addax ; le financier Urs Schwarzenbach ou encore l’investisseur immobilier Gabriel Tamman.

 » Londres est un centre international, notamment pour le marché de l’art, aux côtés de New York. Ce simple fait justifie que l’on s’y établisse « , soutient Simon de Pury, fondateur et patron d’une société de ventes aux enchères.  » La fiscalité est un élément à prendre en compte au moment de choisir sa localisation, mais ce n’en est qu’un seul parmi la multiplicité des raisons d’emménager quelque part « , ajoute-t-il, sans faire de commentaires sur son statut personnel.

Un pays en pleine ascension est le Portugal. Son argument : le tout nouveau statut de  » résident non habituel « , qui autorise tout étranger à s’installer dans le pays sans y payer d’impôts sur le revenu pendant dix ans, à condition que ce dernier soit de source étrangère. Ce statut attire surtout les retraités aisés.

Quelques alternatives existent. La principauté montagneuse d’Andorre, entre l’Espagne et la France, permet à l’étranger d’échapper à l’impôt à la condition d’être  » résident sans permis de travail « . Exigence : séjourner au moins trois mois par an dans ce minuscule pays. Chypre, de son côté, ajoute au soleil et à ses plages le charme d’une imposition nulle des rentes perçues à l’étranger, et limitées à 5 % s’il s’agit de rentes de retraite. L’île d’Aphrodite a convaincu, entre autres, le photographe Jean-Marc Payot, héritier de la famille de libraires.

Monaco, classique résidence des allergiques à l’imposition sur le revenu, garde ses attraits. Le Vieux Continent compte encore quelques autres lieux accueillants pour les Suisses : Malte, la Belgique, certains pays de l’ancien bloc de l’Est…

D’autres cieux savent aussi développer leurs attraits. L’avocat genevois Dominique Warluzel a choisi en 2011 de s’établir aux Bahamas, où il a ouvert un cabinet de conseil fiscal pour entreprises à Nassau, la capitale de cet Etat insulaire au large de la Floride. Panama et les paradis fiscaux traditionnels des Caraïbes séduisent moins. Le premier en raison de la sulfureuse réputation de blanchisseur d’argent de la drogue acquise dès les années 1980, les seconds à cause de leur grande fragilité face aux Etats-Unis.

C’est l’Asie qui attire le plus. En premier lieu, les Emirats du Golfe. A Dubaï, le dynamisme des affaires allié à une fiscalité pour ainsi dire inexistante – pas d’impôts sur la fortune ni sur le revenu – a intéressé quelque 2 000 Suisses,  » surtout des Romands « , comme le relève l’avocat Giancarlo Rossi, qui se partage entre l’émirat et Genève. Des noms ? Citons l’horloger Maximilian Büsser, créateur de la marque du même nom, l’architecte d’intérieur Joakim de Rham ou encore Omar Danial, de la chaîne hôtelière Manotel.

Plus à l’est, Singapour diffuse l’éclat d’un centre d’affaires de tout premier plan. Avantage supplémentaire : les étrangers n’y sont pas taxés s’ils prennent la précaution de ne pas y travailler plus de 60 jours dans l’année. L’Asie et l’Océanie recèlent d’autres lieux accueillants comme Hong Kong et la Nouvelle-Zélande.

L’exil fiscal n’est pas forcément définitif. Dans certains pays, à commencer par le Royaume-Uni, l’obtention d’un statut est conditionnée au fait qu’il reste temporaire. Un resident non-dom ne peut bénéficier du statut que vingt ans tout au plus, à la condition de quitter le pays pendant trois ans au cours de cette période, avant d’y revenir.

Enfants prodigues

L’exil n’est pas non plus toujours une partie de plaisir. On ne compte pas les résidents monégasques qui passent le plus clair de leur temps à l’étranger, par exemple dans leur résidence secondaire suisse. L’un d’eux, le financier Esteban Garcia, se voit reprocher par le fisc fédéral suisse une résidence fictive sur le Rocher. Reproche qu’il conteste, selon le quotidien Le Temps. Il n’est pas le premier à se voir contraint de se défendre.  » L’introduction dès 2017 de l’échange automatique d’informations va obliger maints exilés fiscaux à se montrer très crédibles en matière de domiciliation « , observe l’avocat Thierry Boitelle. Plusieurs exilés fiscaux ont ainsi fait leur retour, plus ou moins volontaire. Ce fut le cas notamment de Daniel Borel, cofondateur de Logitech installé à Londres avant de revenir dans son village vaudois d’Apples.

La facture fiscale peut alors progresser de quelques crans. Mais il y a un moyen efficace d’adoucir le choc : créer une fondation d’utilité publique, laquelle sera défiscalisée, ou une fondation de famille, qui évite de disperser le patrimoine parmi les héritiers. En fin de compte, la Suisse a aussi quelques charmes.

Par Yves Genier (L’Hebdo)

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