Le Belge le mieux protégé de la planète

Le magistrat belge Serge Brammertz dirige, depuis deux ans, l’enquête sur l’assassinat de Rafic Hariri. Récit d’une mission pas comme les autres.

Chargé par les Nations unies de l’enquête sur l’assassinat de Rafic Hariri, en juin 2005, l’Allemand Detlev Mehlis avait rapidement fui le somptueux hôtel Mövenpick, sur la Corniche de Beyrouth, trop difficile à sécuriser (et très cher), pour gagner les hauteurs de la capitale. Les Nations unies ont alors jeté leur dévolu sur l’hôtel Monte Verde (3-4 étoiles), dans les collines boisées dominant la capitale du Liban. Sous l’occupation, c’était le lieu de villégiature favori de la Mukhabarat, le redouté service secret syrien. Côté pile, l’hôtel dispose d’une vue soufflante sur Beyrouth et la Méditerranée. Côté face, il a été transformé en un véritable camp retranché. La  » base « , dans le jargon des enquêteurs onusiens.

Serge Brammetz et trois autres Belges ont participé au travail d’investigation. L’un d’eux se souvient du transbordement, en grand arroi, du Mövenpick au Monte Verde :  » L’armée libanaise avait mis en place, autour de l’hôtel Monte Verde, un dispositif de protection alternant concertina de barbelés, patrouilles pédestres, portiques de détection et barrages filtrants en profondeur.  » Idem lors de la guerre israélo-libanaise de l’été 2006, lorsque la commission internationale d’enquête a dû s’installer provisoirement sur l’île de Chypre.

Actuellement, l’armée libanaise contrôle l’accès à l’hôtel. Dans ses environs immédiats, c’est la sécurité onusienne qui prend le relais. Portiques de détection, dispositifs anti-explosifs, contrôles permanents, etc. La commission d’enquête est bien protégée. La sécurité est encore renforcée à l’étage réservé au staff du commissioner Brammertz et aux enquêteurs. Des agents de sécurité aguerris sont en faction en permanence.

Brammertz dispose de sa propre garde rapprochée, qui l’accompagne dans ses moindres déplacements, très rares et entourés de précautions dignes des meilleurs romans d’espionnage. Les membres de la commission d’enquête peuvent retourner dans leurs foyers tous les deux mois. Leurs allers-retours entre la  » base  » et leur pays d’origine ressemblent davantage à une opération d’exfiltration qu’à un aimable déplacement touristique. Rien n’est négligé pour que, malgré la tension, les hommes et les femmes qui composent cette mission hors normes tiennent le coup. L’équipe est ainsi organisée pour que chacun puisse faire du sport, de 40 à 50 minutes par jour, soit à l’hôtel Monte Verde, qui dispose d’une salle de fitness et d’une piscine, soit dans une salle de sport voisine. Chaque enquêteur peut communiquer régulièrement avec ses proches, par mail et webcam, comme dans les battle groups de l’armée.

La  » base  » dispose d’un encadrement administratif très attentif au bien-être du personnel ; le ciment du groupe reste la meilleure parade aux coups de blues ou aux coups de sang. Magistrat de métier et diplomate dans l’âme, Serge Brammertz affiche, dans cette situation extraordinaire, force mentale, qualités de stratège, et aptitude à maintenir une bonne cohésion dans son équipe, entièrement focalisée sur son but : faire aboutir l’enquête sur l’assassinat du Premier ministre libanais.

Une vie spartiate

Dans cette enquête, une première pour l’organisation, les Nations unies n’ont pas lésiné sur les moyens. Des salles d’audition ont été aménagées pour recevoir les victimes, les témoins, directs ou indirects, des attentats, ainsi que les suspects. Un officier de liaison libanais favorise les contacts avec la justice locale, également partie prenante dans l’enquête. Un service de traduction et d’interprétariat de haut niveau rassemble professionnels libanais et collaborateurs internationaux rompus aux missions de l’ONU. Le service de sécurité gère la protection des membres de la mission (gilet pare-balles, radios, armement, etc.) et planifie la sécurisation des membres de la commission, à l’arrivée de visiteurs ou lors des déplacements vers l’extérieur. Pour les membres de la  » base « , les conditions de vie sont spartiates. La place manquant dans l’hôtel – où une trentaine de chambres n’ont pas de fenêtres -, des conteneurs ont été installés à l’extérieur pour entreposer les objets saisis, offrir un toit aux membres de la sécurité et à certains enquêteurs.

Serge Brammertz peut compter sur plusieurs dizaines d’enquêteurs triés sur le volet et compétents dans divers domaines, certains issus d’Interpol ou de Scotland Yard. Ils travaillent sur la scène du crime, l’analyse des renseignements et les  » affaires spéciales « , c’est-à-dire les contacts avec les sources anonymes pour les informations  » sensibles « .

Nommé quatre mois après l’attentat contre Rafic Hariri, l’Allemand Mehlis s’était plongé dans la société libanaise pour mieux la connaître, subissant de manière consentante les jeux de séduction des différents clans. Pour cette mission de haut vol, Serge Brammertz a adopté un autre style. Il est invisible sur la scène beyrouthine. Entré en piste en décembre 2005, il ne rencontre de ressortissants libanais que dans le cadre strict de son enquête. Une discrétion qui désarçonne et irrite. Certains acteurs de la politique libanaise seraient prêts à tout pour lui arracher quelques bribes d’informations !

Des enquêteurs moins en vue, touchés par l’accueil des Libanais, se rendent sans problème en ville ou dans les montagnes environnantes. En dépit des lourdeurs et des dangers inhérents à cette mission chèrement payée (1), le charme libanais a franchi les barbelés du Monte Verde. Certains des officiers d’investigation revenus de mission ont la nostalgie de ce pays si beau mais si compliqué.

(1) Avec son rang de secrétaire général adjoint des Nations unies, Serge Bram- mertz perçoit au minimum 120 429 dollars par an.

Marie-Cécile Royen

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