La grande parade des rois

Il a été plus longtemps palais que musée. Résidence parisienne des souverains Valois et Bourbon, le Louvre servait aussi à mettre en scène leur pouvoir. Comme nous l’explique Geneviève Bresc-Bautier, directrice du département des Sculptures depuis 2004.

Le Vif/L’Express : Comment retracer l’histoire du Louvre, remanié par presque tous les rois qui s’y sont succédé ?

Geneviève Bresc-Bautier : Avec beaucoup de minutie et de patience. L’histoire du Louvre est extrêmement complexe. Ce qu’on voit aujourd’hui ne correspond presque jamais au projet originel de tel ou tel règne. C’est un palimpseste architectural sans beaucoup d’équivalents dans le monde, une accumulation de couches que dissimule la relative harmonie du bâtiment actuel. A l’exception de la forteresse médiévale, d’une part, et de la pyramide de Pei, de l’autre, chaque architecte chargé d’embellir ou d’agrandir le palais, de François Ier à Napoléon III, a cherché à s’inscrire dans les pas de ses prédécesseurs. Même quand on détruit ou remanie une aile, on en reprend des éléments structurels ou décoratifs. D’où cette impression de continuité dans la discontinuité, particulièrement trompeuse pour le visiteur non averti.

Reprenons au début : pourquoi Philippe Auguste édifie-t-il ici une forteresse ?

Avant de partir pour la croisade, en 1190, il ordonne à ses bourgeois d’entourer sa capitale d’une enceinte, pour la protéger d’attaques éventuelles des Anglais qui occupent la Normandie. Au bord de la Seine, à la limite occidentale de Paris et face au danger qui pourrait venir du fleuve, il adosse sa muraille à un puissant verrou : la  » tour du Louvre « , une forteresse carrée, hérissée de tours et d’un donjon, occupant le quart sud-ouest de l’actuelle cour Carrée.

Quand cette forteresse devient-elle résidence royale ?

C’est 150 ans plus tard, au début de la guerre de Cent Ans, que Charles V, inquiet de l’agitation des Parisiens menés par Etienne Marcel, délaisse le vieux Palais de la Cité – l’actuel Palais de Justice – pour le Louvre, en marge de la ville, donc plus facile à défendre. Ce n’est que l’une des résidences royales, mais il y fait aménager des logis confortables, installe sa vaste bibliothèque dans l’une des tours d’angle. Le château est orienté vers le sud : la vue sur la Seine et la rive gauche, alors essentiellement rurale, est très agréable. C’est un palais bucolique.

Quand commence l’ère  » moderne  » ?

Avec François Ier. Après la guerre de Cent Ans, il est le premier roi qui retourne à Paris, quand ses prédécesseurs lui préféraient la Loire. Mais ce grand bâtisseur, qui travaille entre autres à Fontainebleau, Blois, Chambord, ne lance son projet de  » faire réparer et mettre en ordre le chastel  » du Louvre qu’un an avant sa mort, en 1546. Même son fils Henri II ne verra ce premier Louvre moderne achevé que l’année de sa disparition, en 1559. C’est à un architecte français, Pierre Lescot, qu’est confié le chantier. On se détache de l’influence italienne. Pendant plusieurs siècles, le Louvre, en perpétuels travaux, va servir de terrain de jeu aux meilleurs artistes français. La première aile Renaissance est construite à la place de l’aile ouest du château médiéval, dont on conserve toutefois les fondations. Au rez-de-chaussée, la salle des Cariatides, un des rares témoignages presque inchangés du Louvre des Valois, est à la fois le lieu où le roi reçoit, se montre en majesté, et où la cour festoie.

Après les guerres de religion, Henri IV intégre les Tuileries, palais construit, à partir de 1564, par Catherine de Médicis, au  » Grand Dessein  » qu’il forme pour le Louvre…

Quand Henri IV parvient à rentrer à Paris, en 1594, il entend affermir le pouvoir monarchique après des décennies de troubles. L’ambitieux projet qu’il nourrit pour le Louvre, devenu depuis Henri II la principale résidence royale, est l’un des volets de sa politique : il souhaite d’une part achever et fermer la cour Carrée, et de l’autre relier le Louvre aux Tuileries. Pour ce faire, il fait construire, sur plus de 500 mètres le long de la Seine, la Grande Galerie. Un projet mené à bien, au contraire de la fermeture de la cour Carrée, à peine entamée lorsque Henri IV est assassiné, en 1610. Louis XIII ne reprendra qu’assez tard dans son règne le  » grand dessein  » paternel. Louis XIV, en revanche, s’attache très tôt à l’achever.

C’est au Louvre que le Roi-Soleil développe son goût des bâtiments…

Il achève le quadruplement de la cour Carrée, qu’il clôt à l’est, face à la ville, par la célèbre colonnade, chef-d’oeuvre de l’architecture classique. Plus méconnue, la galerie d’Apollon, richement décorée par Le Brun, est un autre exemple éclatant de l’ambition de Louis XIV pour le Louvre. Mais le palais parisien ne sera qu’un laboratoire de Versailles, pour lequel il quitte Paris très tôt dans son règne, sans avoir pu lancer au nord un autre bras entre le Louvre et les Tuileries, pour répondre à la Grande Galerie. Quand empereurs et rois reviendront, au XIXe siècle, ils ne s’installeront plus au Louvre, mais aux Tuileries.

L’histoire royale du Louvre dégage au final une impression d’inachevé…

Les souverains qui l’habitent sont perpétuellement insatisfaits. Or, pour des raisons politiques, économiques, parfois sentimentales, leurs projets de rénovation ne sont presque jamais achevés. Le Louvre des rois est une succession de rêves dont la plupart échouent.

Dans notre numéro du 18 juillet :  » Deux siècles, deux visages « .

Entretien : Caroline Brun et Charles Giol

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire